Chili, Pinochet, crimes contre l’humanité et compétence universelle

Augusto Pinochet a été arrêté au Royaume-Uni le 16 octobre 1998. Son arrestation a eu des répercussions positives sur l’application et l’interprétation du droit international relatif aux droits humains. Elle a conduit à réaffirmer plusieurs principes fondamentaux, parmi lesquels ceux de compétence universelle et d’absence d’immunité de poursuites pour les anciens chefs d’État accusés de crimes tels que les crimes contre l’humanité et la torture.

Le coup d’état sanglant de 1973 par le général Augusto Pinochet et la junte militaire

Le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet a mené un coup d’état sanglant au Chili et sa junte militaire s’est immédiatement engagée dans un programme de répression : les garanties constitutionnelles ont été suspendues, le Congrès a été dissout et l’état de siège a été décrété dans tout le pays. La torture était systématique et la « disparition » est devenue une politique d’État.

En novembre 1974, Amnesty International a publié son premier rapport sur les violations flagrantes des droits humains au Chili, après avoir mené une mission d’établissement des faits dans le pays dès les premiers mois ayant suivi le coup d’état. Depuis lors, l’organisation a publié des centaines de documents et d’appels au nom des victimes, et soutenu la lutte des victimes et de leurs proches pour établir la vérité et obtenir justice.

Torture, élimination, exécution des opposants : des milliers de disparus

Le sort de la plupart des personnes ayant « disparu » au Chili durant le régime militaire demeure inconnu. Cependant, de très nombreux éléments permettent d’établir que ces « disparus » ont été victimes d’un programme gouvernemental d’élimination des opposants présumés. Les longues recherches menées par des proches de victimes ont permis de découvrir des restes humains dans des tombes clandestines, et des centaines d’anciens détenus ont fait des déclarations confirmant que les « disparus » se trouvaient dans des centres de détention.

Lorsque les civils sont revenus au pouvoir en 1990, deux institutions ont été créées pour contribuer à l’établissement de la vérité sur les « disparitions », les exécutions extrajudiciaires et les morts sous la torture aux mains d’agents de l’État. La Commission nationale pour la vérité et la réconciliation et le Comité national de réparation et de réconciliation, qui lui a succédé, ont rassemblé des informations sur plus de 3 000 victimes de ces violations des droits humains.

Pendant plus de trente ans, les proches de victimes ont mené campagne au Chili pour que la vérité soit connue et la justice rendue. Ils ont buté sur plusieurs mécanismes garantissant l’impunité aux responsables de ces agissements et empêchant l’ouverture d’enquêtes judiciaires au Chili. Le gouvernement du président Eduardo Frei Ruiz-Tagle a cherché toutes les voies possibles pour obtenir la libération et le retour d’Augusto Pinochet au Chili et empêcher qu’il soit jugé en Espagne. Le gouvernement du Chili a affirmé agir au nom de la souveraineté nationale, du droit des Chiliens à gérer eux-mêmes leur passé et de la réconciliation nationale.

Le long combat des victimes contre l’immunité parlementaire et loi d’Amnistie

Tandis que les autorités chiliennes ne cessaient de répéter qu’Augusto Pinochet pourrait être jugé au Chili, rien n’était fait sur place pour lever les obstacles à la tenue d’un tel procès. Parmi les éléments empêchant la tenue d’un tel procès au Chili figuraient le fait qu’Augusto Pinochet, en tant que sénateur à vie, jouissait de l’immunité parlementaire ; que les affaires impliquant des membres et d’anciens membres des forces armées relevaient des tribunaux militaires ; et que les tribunaux civils et militaires étaient soumis à l’application de la Loi d’amnistie.

Les crimes commis au Chili entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978 sont en effet couverts par une loi d’amnistie décrétée par le général Augusto Pinochet en 1978, alors qu’il était président du Chili. Cette loi d’amnistie a été déclarée constitutionnelle par la Cour suprême du Chili, mais la Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme des Nations unies ont tous deux statué qu’elle était incompatible avec les obligations du Chili aux termes du droit international. La Loi d’amnistie, qui ne peut être annulée que par le Congrès, garantit l’impunité à ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits humains systématiques et à grande échelle pendant cette période ; elle a constitué un obstacle majeur à la traduction en justice d’Augusto Pinochet au Chili. La Loi d’amnistie est toujours en vigueur aujourd’hui et elle a été appliquée par la Cour suprême chilienne en décembre 2007.

L’enquête judiciaire ouverte par la justice espagnole à la demande de victimes et de proches de victimes, le dépôt par le gouvernement espagnol d’une demande formelle d’extradition d’Augusto Pinochet, ainsi que les décisions de la Chambre des Lords revenant sur l’immunité de poursuites d’Augusto Pinochet à titre d’ancien chef d’État ont constitué certains des événements les plus marquants dans le domaine des droits humains depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948.

La décision du juge britannique Ronald Bartle et le principe de compétence universelle

La décision du juge britannique Ronald Bartle du tribunal de Bow Street à Londres, autorisant l’extradition d’Augusto Pinochet, a constitué une nouvelle étape dans l’acceptation du principe de compétence universelle dans les affaires de violations des droits humains, et du caractère universel des normes internationales relatives aux droits humains. Le juge a considéré que les effets d’une « disparition » sur les proches des « disparus » s’apparentaient à de la torture mentale et a autorisé la justice espagnole à prendre la décision finale.

Certains mécanismes internationaux relatifs aux droits humains comportent une telle définition. L’article 1(2) de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de décembre 1992, dispose que : « Un tel acte de disparition forcée soustrait l’intéressé à la protection de la loi et lui cause de graves souffrances ainsi qu’à sa famille. Il constitue une violation des règles de droit international qui garantissent notamment à chacun […] le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

La Cour interaméricaine des droits humains, la Cour européenne des droits humains, le Comité des droits humains des Nations unies et la Commission interaméricaine des droits humains ont tous déclaré que les « disparitions » violaient le droit des proches du « disparu » à ne pas être soumis à la torture ou à une autre forme de mauvais traitements.

L’affaire Pinochet a montré que le droit international n’était pas un ensemble d’accords pouvant être foulés au pied mais un mécanisme essentiel pour la protection des individus. Les décisions des tribunaux britanniques ont créé un précédent extrêmement important pour le futur des droits humains. Elles ont également donné une lueur d’espoir à toutes les victimes et les proches de victimes cherchant toujours à obtenir justice.

Les crimes contre l’humanité commis au Chili à partir de 1973 relèvent de la compétence universelle. Le principe de compétence universelle pour juger les crimes contre l’humanité quel que soit l’endroit où ils ont été commis a été reconnu aux termes du droit international avant même la création du Tribunal militaire international de Nuremberg. Aujourd’hui, une grande majorité d’États reconnaissent le principe de compétence universelle. Cependant, ils sont beaucoup trop peu à exercer cette compétence même lorsque des suspects notoires se trouvent sur leur territoire. Il reste encore beaucoup à faire. Aujourd’hui, Amnesty International publie le premier d’une série de rapports sur chacun des 192 États membres des Nations unies, décrivant ce que ces États ont fait pour que la compétence universelle devienne une réalité pour leurs tribunaux ; ces rapports contiennent également des recommandations détaillées sur les réformes juridiques à engager pour qu’aucun pays ne constitue un havre de paix pour ceux qui se sont rendus coupables des crimes les plus odieux dans le monde.

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