« La réforme des carabineros est la meilleure mesure de garantie de non-répétition, et l’État doit l’engager. Les victimes et la société dans son ensemble doivent avoir l’assurance que les autorités font le nécessaire pour que les crimes commis pendant le soulèvement social ne se reproduisent pas. Malheureusement, à ce stade, la volonté de l’État dans ce domaine est plus qu’incertaine. Il est urgent que l’État comprenne que la réforme des carabineros doit avancer et doit être profonde et structurelle », a déclaré Rodrigo Bustos, directeur d’Amnesty International Chili.
Bien que le gouvernement de Gabriel Boric ait présenté quelques projets liés aux activités policières, notamment celui visant à réglementer le recours à la force dans le cadre du maintien de l’ordre et de la sécurité publique dans le pays, la réforme structurelle des carabineros peine à avancer. Amnesty International a signalé à plusieurs reprises que la nature militaire et la structure même de l’institution sont des obstacles considérables à l’exercice de ses fonctions, ce qui se reflète dans les atteintes aux droits humains généralisées commises pendant les mobilisations sociales de 2019.
Quatre ans après la crise sociale au Chili, lors de laquelle de nombreuses personnes ont été tuées, blessées et mutilées par le recours disproportionné à la force des carabineros, Amnesty International présente, le 17 octobre 2023, un nouveau rapport intitulé Reformar para avanzar. Recomendaciones para la reforma de Carabineros desde una perspectiva de derechos humanos. Ce rapport explique l’importance d’adopter une réforme profonde de l’institution des carabineros, prévoyant des changements au niveau réglementaire et culturel. L’exercice correct des fonctions policières favorise la sécurité et le bien-être social, il n’y a donc pas de raison pour que les organismes responsables ne donnent pas la priorité à une réforme qui est aussi urgente que nécessaire.
« De plus, le compte à rebours de la prescription des affaires de violences policières tourne, ce qui signifie que les enquêtes sur une grande partie des affaires ne pourront pas se poursuivre passé le délai de cinq ans après les faits »
Les mesures que l’État a prises en ce qui concerne les réparations pour les victimes d’atteintes aux droits humains commises pendant le soulèvement social ont été limitées et aucune politique de réparations complètes n’a été mise en œuvre. Amnesty International appelle l’État à élaborer une politique publique de réparations complètes fondée sur les normes internationales en la matière, prévoyant des mesures adaptées pour garantir sa mise en œuvre et sa durabilité. Son coût devra en outre être pris en charge par le budget national et de véritables mécanismes transparents et publics de participation des victimes devront être prévus.
« Clairement, la situation est plus désolante que les années précédentes, puisque seulement 0,2 % des victimes d’atteintes aux droits humains ont obtenu justice, sur les 1 056 personnes ayant porté plainte. Les condamnations prononcées sont au nombre infime et inquiétant de 27. De plus, le compte à rebours de la prescription des affaires de violences policières tourne, ce qui signifie que les enquêtes sur une grande partie des affaires ne pourront pas se poursuivre passé le délai de cinq ans après les faits. En effet, au titre du droit chilien, l’État peut faire valoir une période de prescription de cinq ans pour dispenser ses représentants de rendre des comptes devant la justice, ce qu’Amnesty International dénonce fermement », a déclaré Rodrigo Bustos.
La cruauté de la violence étatique a été recensée par Amnesty International dans son rapport Ojos sobre Chile : Violencia policial y responsabilidad de mandos durante el estallido social, qui démontre que les méthodes et techniques employées par la hiérarchie des carabineros ont donné lieu à des atteintes généralisées au droit au respect de l’intégrité de la personne. Cependant, à ce jour, aucun haut responsable des carabineros n’a été mis en examen pour sa responsabilité présumée.
« Il est temps que le ministère public décide s’il existe des motifs de poursuivre les hauts responsables pour leurs actions et omissions dans le cadre de la gestion du soulèvement social »
Les commandants des carabineros peuvent être tenus responsables pour trois raisons, toutes prévues par le droit international relatif aux droits humains. D’une part, à plusieurs reprises, les hauts responsables savaient ou auraient dû savoir que des atteintes aux droits humains étaient commises par personnes sous leur commandement. C’est-à-dire qu’ils avaient connaissance des violences policières. D’autre part, les hauts responsables des carabineros n’ont pas perdu le contrôle des unités au sein de l’institution. C’est-à-dire qu’ils étaient en capacité de prévenir les atteintes aux droits humains, mais qu’ils ne l’ont pas fait. Enfin, les hauts responsables n’ont pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les atteintes aux droits humains, spécifiquement en ce qui concerne l’utilisation de munitions dangereuses, l’absence de protocoles opérationnels adaptés, le maintien des plans opérationnels internes inchangés, les ordres imprécis et l’absence de sanctions.
« Il est temps que le ministère public décide s’il existe des motifs de poursuivre les hauts responsables pour leurs actions et omissions dans le cadre de la gestion du soulèvement social. L’ouverture d’une procédure pénale est essentielle pour assurer une obligation de rendre des comptes exhaustive, et, quatre ans après le soulèvement social, il est important de mettre un terme à l’impunité et d’ouvrir la voie à la justice », a déclaré Rodrigo Bustos.