Cette lettre [1] est rendue publique alors que Michelle Bachelet fait le point sur la situation dans le monde lors du Conseil des droits de l’homme le 8 mars, et plusieurs mois après que le Conseil a été informé de ce que l’évaluation par son bureau des violations des droits humains commises dans le Xinjiang était en cours de « finalisation ».
« Dans le cadre de la répression systématique des autorités chinoises dans le Xinjiang, des gens ordinaires peuvent être enfermés pendant des années et soumis aux conditions les plus cruelles pour des activités tout à fait légales, a déclaré Joanne Mariner, directrice du programme Réaction aux crises d’Amnesty International.
« Les crimes contre l’humanité imputables au gouvernent chinois ciblant les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités ethniques à majorité musulmane qui vivent au Xinjiang sont bien connus, mais nous attendons que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies se saisisse réellement de la situation.
En septembre 2021, face à la frustration croissante suscitée par le relatif silence de son bureau sur la situation désastreuse au Xinjiang, la haute commissaire a fait savoir au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève que son bureau « finalis[ait] son évaluation des informations disponibles sur les allégations de violations graves des droits humains au [Xinjiang], en vue de les rendre publiques ».
« Les crimes contre l’humanité imputables au gouvernent chinois ciblant les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités ethniques à majorité musulmane qui vivent au Xinjiang sont bien connus »
Six mois plus tard, malgré les assurances de son porte-parole en décembre indiquant que le rapport serait publié dans les semaines à venir, il n’est toujours pas disponible.
« Les victimes et leurs familles ne peuvent plus attendre. La haute commissaire Michelle Bachelet doit publier son rapport sur le Xinjiang et rendre compte aux États membres de ses conclusions avant la fin de la session actuelle du Conseil des droits de l’homme. Aucun État, aussi puissant soit-il, ne devrait être au-dessus d’un examen pour des crimes aussi graves », a déclaré Joanne Mariner.
La session actuelle du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a débuté le 28 février et se poursuivra jusqu’au 1er avril.
Défendre les détenu·e·s
Les preuves s’accumulent qui pointent les terribles violations perpétrées par le gouvernement chinois contre les minorités musulmanes dans le Xinjiang, où près d’un million de personnes sont détenues de manière arbitraire dans des camps d’internement et des prisons en raison de leur origine ethnique et de leur religion, depuis le net durcissement de la répression en 2017.
En 2021, Amnesty International a lancé une campagne réclamant la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement dans les prisons et les camps d’internement au Xinjiang. Soutenue par des centaines de milliers de citoyen·ne·s à travers le monde [2], cette campagne présente plus de 70 cas individuels [3]. Ces histoires ne représentent qu’une fraction des hommes et des femmes – un million, voire davantage – qui auraient été arrêtés arbitrairement par les autorités chinoises dans le Xinjiang depuis 2017.
Après le lancement de sa campagne, Amnesty International a appris qu’au moins deux de ces détenu·e·s ont été libérés et au moins sept ont été autorisés à communiquer avec des proches en Chine par appel téléphonique ou visio. Il est difficile d’obtenir régulièrement des informations du fait des risques accrus pour la sécurité dus à la surveillance systématique exercée par la Chine dans la région et des risques de graves répercussions pour ceux qui communiquent avec des personnes à l’extérieur du pays.
En mars 2022, l’organisation a ajouté six nouveaux cas à sa campagne, après avoir réalisé des entretiens avec des membres de leurs familles.
Une femme, Mevlude, a déclaré que sa sœur Mahire Nurmuhammad [4] a été condamnée à 16 ans et demi de prison pour avoir envoyé de l’argent à son fils, étudiant en Égypte. Du fait de ce virement bancaire, les autorités chinoises l’ont inculpée de « soutien et financement du terrorisme ».
En octobre 2018, les autorités ont informé Mahire qu’elle serait arrêtée dès qu’elle pourrait cesser d’allaiter son bébé. Le mois suivant, elles procédaient à son interpellation, chez elle.
Mahire souffre d’un problème cardiaque et de troubles de santé mentale, et Mevlude craint qu’elle n’ait pas accès à des soins médicaux adaptés en détention.
Aziz, autre membre de la famille d’un détenu avec lequel Amnesty International s’est entretenu, a raconté que son frère Alim Sulayman [5] était censé se marier en juin 2016. Deux semaines avant son mariage, il a été arrêté. Alim a été emmené loin de chez lui et condamné à 17 ans de prison.
On ignore pourquoi Alim a été arrêté, mais selon Aziz, qui vit désormais aux États-Unis, c’est à cause de la courte période pendant laquelle il a vécu à l’étranger, en Turquie.
Amnesty International a déjà recensé des centaines de cas de détenus placés en détention pour des comportements qui paraissent parfaitement licites, comme le fait de posséder une image religieuse, de voyager à l’étranger ou de communiquer avec une personne se trouvant à l’étranger.
« Silence relatif » face aux violations graves perpétrées dans le Xinjiang
En juin 2021, Amnesty International a publié un rapport détaillé dévoilant que les Ouïghours, Kazakhs et autres minorités ethniques à majorité musulmane du Xinjiang sont en butte à l’emprisonnement, la torture et les persécutions infligés à grande échelle et de manière systématique par l’État, s’apparentant ainsi à des crimes contre l’humanité. Fondé sur des dizaines de témoignages, ce rapport décrit « un enfer dystopique » incluant de graves violations des droits des détenus, une surveillance systématique de millions de personnes par l’État et des mesures prises pour éradiquer les traditions religieuses, les pratiques culturelles et les langues locales des groupes ethniques musulmans de la région.
Le gouvernement chinois se montre très réticent à reconnaître, et encore moins à enquêter sur la réalité de la situation dans le Xinjiang – tout en entravant l’accès à la région pour les observateurs indépendants des droits humains, y compris pour le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.
En 2020, un nombre sans précèdent d’experts indépendants des droits humains ont publié une déclaration historique [6] faisant part de leurs préoccupations quant aux violations perpétrées en Chine, notamment dans le Xinjiang, et demandant à l’ONU de prendre des mesures décisives et de diligenter une enquête exhaustive sur la situation.
En 2020 également, un groupe de 321 organisations du monde entier, dont Amnesty International, a lancé un appel analogue [7] au Conseil des droits de l’homme, lui demandant d’organiser une session spéciale et de diligenter une enquête sur la crise des droit humains en Chine, y compris au Xinjiang.
La lettre publiée aujourd’hui par près de 200 organisations indique : « Nous sommes préoccupés par le relatif silence du bureau [de Madame Bachelet] face à ces graves violations, hormis les mises à jour de procédure sur le statut des négociations en vue d’obtenir la réelle possibilité de se rendre au Xinjiang, qui, de [son] propre aveu, n’ont pas progressé. »
Si les critiques des violations généralisées des droits imputables à la Chine ont pris de l’ampleur ces dernières années, les États membres de l’ONU n’ont toujours pas pris de mesures significatives afin de remédier à la crise en adoptant une résolution sur la tenue d’une enquête internationale indépendante. Pour beaucoup, le rapport très attendu de Michelle Bachelet sera la référence pour faire progresser une telle action.
Ces dernières années, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a publié des rapports de sa propre initiative en vue de résoudre des crises urgentes des droits humains au Jammu-et-Cachemire [8], au Venezuela [9] et au Myanmar [10]. Ces rapports constituent une documentation essentielle et fournissent une orientation primordiale aux États membres de l’ONU sur la meilleure façon de répondre aux crises.