Alors que le gouvernement chypriote s’apprête à annoncer demain l’assouplissement des restrictions liées au COVID-19, Amnesty International appelle les autorités chypriotes à lever l’interdiction totale des manifestations, qui est illégale et disproportionnée.
Cet appel intervient quelques jours après que les autorités, pour faire respecter l’interdiction, ont roué de coups des manifestant.es pacifiques dénonçant la corruption et utilisé à leur encontre un canon à eau, des irritants chimiques et des grenades assourdissantes. Des entretiens avec des personnes ayant participé à la manifestation, au cours de laquelle une femme a subi une lésion permanente affectant sa vue, ainsi qu’un examen des éléments audiovisuels disponibles, revèlent un bilan inquiétant en ce qui concerne la violence exercée contre des manifestant.es pacifiques.
« Les brutalités policières choquantes infligées à des manifestant.es pacifiques le 13 février étaient un recours inutile et excessif à la force », a déclaré Kondylia Gogou, chercheuse sur la Grèce et Chypre à Amnesty International.
« Les brutalités policières choquantes infligées à des manifestant.es pacifiques le 13 février étaient un recours inutile et excessif à la force »
« Ces actions violentes de la police montrent jusqu’où les autorités chypriotes sont prêtes à aller pour faire respecter cette interdiction injustifiée de toute manifestation. Elles participent également d’une tendance profondément préoccupante à Chypre, où les droits humains sont la cible de nombreuses attaques. »
Parallèlement, la société civile du pays a également été attaquée, avec l’annulation de l’enregistrement et la menace de dissolution de KISA, une organisation antiraciste qui soutient les personnes réfugiées et migrantes depuis plus de 20 ans. Le 3 mars, un tribunal statuera sur l’appel interjeté par cette l’organisation contre la révocation de son enregistrement.
« Il y avait des gens par terre, qui crachaient du sang, incapables de respirer »
Une manifestation contre la corruption a eu lieu à Nicosie le 13 février. Amnesty International s’est entretenue avec un certain nombre de manifestant.es, qui ont indiqué que toutes les personnes présentes portaient des masques et respectaient les règles de distanciation physique.
Les personnes interrogées ont dit qu’il y avait une forte présence policière, et que la police les avait « nassées » et averties que la manifestation serait dispersée 15 minutes plus tard. À peine 10 minutes après, la police a attaqué les manifestant.es qui tentaient de rejoindre une rue latérale, utilisant des irritants chimiques, des grenades assourdissantes, des matraques et un canon à eau.
« Nous étions encerclés par des policiers et les gens leur demandaient de nous laisser passer. À ce moment-là, ils ont commencé à taper avec leurs matraques, en portant des coups à la tête, et nous avons eu peur », a déclaré à Amnesty International Anastasia Demetriadou, une des manifestantes.
« Ce qui reste gravé dans ma mémoire, c’est l’image d’une petite fille - de six ans à peu près - que son père serrait très fort. La police lançait des grenades assourdissantes dans la foule. Il y avait des gens par terre, qui crachaient du sang, incapables de respirer. »
« À ce moment-là, ils ont commencé à taper avec leurs matraques, en portant des coups à la tête, et nous avons eu peur »
Anastasia Demetriadou a été grièvement blessée à l’œil gauche vers la fin de la manifestation. Le jet d’un canon à eau l’a frappée alors qu’elle faisait de grands gestes pour protester contre le comportement de la police.
Les autorités chypriotes ont interdit toute manifestation via un décret ministériel en juin 2020, invoquant la pandémie de COVID-19 pour justifier cette décision. Des décrets ultérieurs ont reconduit cette interdiction jusqu’à la fin du mois de février.
Les pouvoirs publics peuvent légitimement prendre des dispositions pour restreindre le droit de réunion pacifique afin de protéger la santé publique, mais uniquement dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires et proportionnées. Elles doivent également être évaluées au cas par cas. L’interdiction totale des manifestations est disproportionnée et par conséquent illégale.
« Les ministres devraient tirer parti de cette occasion pour annoncer la levée de l’interdiction générale disproportionnée des rassemblements »
Ce mépris à l’égard des droits humains relève d’une tendance chez les autorités chypriotes, qui ont durci les politiques en matière d’asile et d’immigration l’année passée et menacent désormais également la liberté d’association en envisageant la dissolution de KISA.
« Les ministres devraient tirer parti de cette occasion pour annoncer la levée de l’interdiction générale disproportionnée des rassemblements et inverser la tendance à la dégradation de la situation des droits humains à Chypre. Les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique doivent être rétablis de toute urgence », a déclaré Kondylia Gogou.
« Les autorités de Chypre doivent également prendre des dispositions d’urgence pour que les violations des droits humains commises par la police chypriote au cours de la manifestation du 13 février donnent lieu sans délai à des enquêtes approfondies et impartiales. »
Complément d’information
Une audience prévue le 3 mars se prononcera sur le recours formé par l’association KISA contre la décision du ministère de l’Intérieur d’annuler l’enregistrement de l’association pour non-respect de dispositions administratives nouvelles introduites via une modification législative en août 2020. La décision de révoquer l’enregistrement de cette association constitue une restriction disproportionnée du droit à la liberté d’association et suscite de profondes inquiétudes pour la société civile à Chypre.
Le personnel et les bénévoles de KISA jouent un rôle essentiel dans la défense et la promotion des droits humains à Chypre, en apportant un soutien vital aux personnes migrantes et réfugiées.