Communiqué de presse

À Chypre, les migrants irréguliers sont traités comme des criminels

Chaque année des centaines d’hommes et de femmes qui fuient la guerre, les persécutions et la pauvreté et gagnent Chypre pour y chercher asile et protection sont placés sous les verrous par les autorités de l’île, en violation des obligations internationales qui sont les leurs, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport.

Intitulé Punishment without a crime : Detention of migrants and asylum-seekers in Cyprus (En anglais), ce document examine les faiblesses de la législation et des pratiques chypriotes, qui se traduisent par des violations des droits des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile. Il demande aux autorités chypriotes de mettre la législation en conformité avec les normes internationales.

« Le placement en détention ne doit pas être un instrument de contrôle de l’immigration, a déclaré Jezerca Tigani, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. Les autorités chypriotes violent délibérément le droit international et la législation de l’Union européenne lorsqu’elles placent en détention des migrants sans examiner de quelconques solutions de remplacement ni démontrer que la privation de liberté est effectivement nécessaire.

« Il est courant à Chypre de priver les migrants de liberté pendant des mois, voire des années, non pas parce qu’ils ont commis un crime ou un délit, mais simplement pour mettre en œuvre leur expulsion. Dans certains cas la détention intervient alors même que l’expulsion n’est pas possible. »

Le plus souvent les migrants sont détenus pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, dans de mauvaises conditions et sans accès à des soins médicaux dignes de ce nom. Du fait de l’extrême indigence de l’aide juridictionnelle, ils sont généralement dans l’impossibilité de contester la légalité de leur détention. Les autorités chypriotes refusent fréquemment de remettre des personnes en liberté, même après une décision de la Cour suprême le leur ordonnant.

En visitant de nouveau les sections 9 et 10 de la prison centrale de Nicosie et celle de Lakatamia à la mi-juin 2012, une délégation d’Amnesty International n’a constaté aucune amélioration substantielle des conditions de détention en matière de surpeuplement et d’hygiène, ces conditions étant par ailleurs exacerbées par les premières chaleurs de l’été.

Certains demandeurs d’asile restent détenus pendant toute la durée de la procédure d’examen de leur dossier. Amnesty International a connaissance de cas dans lesquels des demandeurs d’asile ont été renvoyés alors qu’un recours était en instance devant la Cour suprême.

« Les demandeurs d’asile dont le dossier est en cours d’examen se trouvent dans une position extrêmement vulnérable et ne devraient pas être placés en détention, sauf dans des circonstances très exceptionnelles, comme le requièrent le droit et les normes internationaux et régionaux », a souligné Jezerca Tigani.

La légalité, la nécessité et le caractère proportionnel de chaque placement en détention doivent être automatiquement et régulièrement examinés par un tribunal ou un autre organe de ce type, compétent, indépendant et impartial ; la personne concernée doit bénéficier d’une assistance juridique appropriée.

Cela n’est pas le cas à Chypre et des centaines de personnes sont ainsi privées de leur liberté sans nécessité, donc illégalement, pendant des mois.

Exemples de cas

K., une Iranienne mère de trois enfants, a fui son pays en 2003. Elle a demandé l’asile dès son arrivée à Chypre, l’année suivante, mais sa demande a été rejetée. En 2008 elle a épousé religieusement un réfugié reconnu à Chypre. Elle a donné naissance à une fille cette même année. En août 2011, elle a été arrêtée par la police sur un marché car ses papiers n’étaient pas en règle. En décembre 2011, K., détenue depuis cinq mois à la prison centrale de Nicosie, a déclaré à Amnesty International : « Ma fille pense que sa mère l’a abandonnée et a beaucoup de problèmes psychologiques. » En janvier 2012, les autorités ont remis K. en liberté provisoire. Elles lui ont donné trois mois pour régulariser sa situation et contracter un mariage civil avec son époux. Les fonctionnaires de la municipalité l’ont toutefois informée qu’il lui fallait à cette fin produire un passeport en cours de validité. Afin d’établir celui-ci, l’ambassade d’Iran a besoin d’un certificat de naissance. K. ne peut l’obtenir dans le délai imparti.

« La dernière fois que je me suis rendue aux services de l’immigration, nous a-t-elle déclaré, on m’a dit de ne pas m’inquiéter. On m’a dit qu’à l’issue de ma période de liberté sous conditions, je serai de nouveau placée en détention pour six mois, puis remise en liberté pour trois mois. Ils pensent que c’est très bien comme ça, mais ce n’est pas bien du tout ! Que vont devenir mes enfants ? »

O., un Sierra-Léonais débouté de sa demande d’asile, est arrivé à Chypre en 2001 en provenance de son pays natal. Il avait fui la Sierra Leone en raison de problèmes dus à la guerre civile qui a ravagé le pays pendant 10 ans, a-t-il expliqué. Les autorités chypriotes ont classé son dossier en 2004, affirmant qu’elles n’étaient pas parvenues à le joindre afin d’examiner sa demande. O. a été arrêté en février 2005. Les autorités ont tenté à quatre reprises au cours des trois années suivantes de l’expulser. Après 39 mois consécutifs en détention, O. a été remis en liberté en mai 2008. Au bout d’un certain temps, il a été contraint d’accepter un travail non déclaré.

En octobre 2010, il a de nouveau été arrêté, pour « séjour et travail irréguliers ». En août 2011, il a saisi la Cour suprême d’un recours contre sa détention prolongée. Il a obtenu gain de cause et la Cour a ordonné sa remise en liberté immédiate. Toutefois, il a été arrêté de nouveau alors même qu’il se trouvait encore dans l’enceinte de la Cour suprême. Le mandat d’arrêt était daté de la veille du jour où la décision de la Cour a été rendue. O. a été expulsé vers la Sierra Leone en février 2012, après avoir passé au total plus de quatre ans derrière les barreaux à Chypre.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit