COLOMBIE : Ceux qui violent les droits humains doivent être démis de leurs fonctions et jugés

Index AI : AMR 23/070/2002

Amnesty International a exprimé aujourd’hui (mardi 9 juillet 2002) l’inquiétude qu’elle ressentait face à l’arrêt rendu par le Conseil d’État colombien, qui annule la décision de destitution prononcée contre le général de brigade des forces armées colombiennes Alvaro Hernán Velandia Hurtado, impliqué dans la « disparition », la torture et la mort, en 1987, de Nydia Erika Bautista de Arellana.

Le 23 mai 2002, le Conseil d’État a laissé sans suite la décision prise le 5 juillet 1995 par le procureur délégué aux droits humains de l’époque, qui avait prononcé la destitution d’Alvaro Hernán Velandia Hurtado, pour sa responsabilité dans la « disparition », la torture et la mort de Nydia Erika Bautista de Arellana, ainsi que le décret présidentiel du 11 septembre 1995, qui entérinait cette sanction. L’arrêt du Conseil d’État n’a été rendu public que le 4 juillet 2002.

« La décision du Conseil d’État n’exonère en rien le général de ses responsabilités dans cette affaire de « disparition », » a expliqué Amnesty International.

L’arrêt se fonde sur le fait que la décision du parquet n’avait pas notifiée à l’intéressé personnellement et dans les délais prévus par la loi, ce qui invalidait toute la procédure. Le général de brigade se serait caché, afin d’éviter justement que la décision le concernant ne puisse lui être notifiée en personne. Or, dans d’autres cas analogues, la justice colombienne a estimé que la clause ne prescription ne s’appliquait pas.

Il faut maintenant espérer que le gouvernement colombien tiendra compte du fait que la décision du Conseil d’État ne remet pas en cause la responsabilité de l’ancien officier dans la « disparition », la torture et l’exécution extrajudiciaire de Nydia Erika Bautista, établie par le procureur délégué aux droits humains. Dans sa décision de 1995, le procureur de l’époque avait conclu qu’Alvaro Hernán Velandia Hurtado avait eu la possibilité d’empêcher ce crime odieux, puisqu’il était tout à fait au courant de la détention, de la « disparition » et finalement de l’exécution de Nydia Erika, par un groupe de soldats qui se trouvait sous ses ordres, alors qu’il commandait la 20e brigade.

Amnesty International demande au gouvernement colombien d’appliquer la résolution du Comité des droits de l’homme des Nations unies en date du 13 novembre 1995, qui déclarait l’État colombien directement responsable de la « disparition » de Nydia Erika Bautista de Arellana, ainsi que le jugement du tribunal administratif de Cundinamarca, en date du 22 juin 1995, qui reconnaissait également la responsabilité de l’État colombien dans la « disparition » et la mort de la victime.`

Il faut se rappeler que le procureur général avait divulgué, le 20 février 1983, une liste de 58 membres des forces armées impliqués dans la création et l’organisation d’un groupe paramilitaire baptisé Muerte a Secuestradores (MAS, Mort aux ravisseurs). Alvaro Hernán Velandia Hurtado figurait sur cette liste, qui avait été publiée par la presse colombienne.

« Au vu des conclusions de l’enquête disciplinaire et de la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans cette affaire, et étant donné les antécédents dans le domaine paramilitaire, le gouvernement colombien doit assumer sérieusement et de façon cohérente l’obligation qui est la sienne de lutter contre l’impunité. Conformément aux recommandations des Nations unies et d’un certain nombre d’organisations non gouvernementales, dont Amnesty International, nous demandons au gouvernement actuel et futur de faire usage de son pouvoir discrétionnaire, prévu par la loi colombienne, pour destituer de ses fonctions Alvaro Hernán Velandia Hurtado. »

En agissant ainsi, les autorités ne feraient qu’appliquer les recommandations internationales, qui préconisent d’écarter de tout service actif tout membre de la force publique impliqué dans des violations des droits humains.

« Concernant la « disparition », la torture et la mort de Nydia Erika Bautista, l’enquête judiciaire a été délibérément entravée. Les témoins, les proches, les avocats de la famille et même le procureur délégué ont fait l’objet de menaces et d’agressions, » a rappelé Amnesty International.

Les autorités colombiennes doivent prendre toutes les mesures appropriées pour que cette affaire particulièrement grave ne reste pas impunie et pour que les auteurs de ce crime, ainsi que leurs complices, soient jugés et sanctionnés par la justice.

« En destituant Alvaro Hernán Velandia Hurtado et en lui interdisant toute possibilité de réintégrer le service actif, le gouvernement, actuel et futur, donnerait un signe fort de sa volonté de faire respecter les droits humains et de lutter contre l’impunité. Il est temps que les membres de la force publique impliqués dans des violations graves des droits humains et dans des activités paramilitaires soient, quel que soit leur grade, traduits devant les tribunaux civils et démis de leurs fonctions au sein de l’armée ou de la police. »

Complément d’information
Nydia Erika Bautista de Arellana a été enlevée le 30 août 1987, peu après avoir quitté le domicile de ses parents, dans le quartier de Casablanca, à Bogotá. Elle venait de dire au revoir à un ami, à un arrêt d’autobus, lorsqu’elle a été abordée par un groupe d’hommes armés habillés en civil et circulant en voiture. Ses agresseurs, qui appartenaient à un service de missions secrètes de la 20e brigade, l’ont emmenée avec eux.

Nydia Erika Bautista avait trente-deux ans au moment de sa « disparition ». Elle avait milité dans les milieux étudiants et avait appartenu au Movimiento 19 de Abril (M-19, Mouvement du 19 avril), une organisation de lutte armée. Elle avait été arrêtée le 25 mai 1986, dans la ville de Cali (département du Valle del Cauca), par une unité militaire appartenant à la 3e brigade. Selon certaines informations, elle aurait à l’époque passé trois semaines de détention au secret et aurait été torturée. Elle avait été remise en liberté après avoir signé une déclaration, dans laquelle elle reconnaissait avoir été bien traitée tout au long de sa détention. Plusieurs autres activistes du M-19, dont Cristóbal Triana, un ami de Nydia Erika, ont également « disparu » juste avant ou juste après la jeune femme.

Les témoignages et les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête ont permis d’établir que Nydia Erika a été conduite dans une hacienda, où elle est restée deux jours. Elle a ensuite été emmenée dans la région de Quebradablanca (municipalité de Guayatebal), où elle a été ligotée, avant d’être abattue d’une balle dans la tête.

Le sergent Bernardo Alfonso Garzón Garzón, qui faisait partie, au moment de l’enlèvement de Nydia Erika, de l’unité de renseignements « Charry Solano » de la 20e brigade de l’armée colombienne, a déclaré le 22 janvier 1991, devant le procureur général, que le service des opérations spéciales de son unité était responsable de la « disparition » de Nydia Erika Bautista.

Selon certaines informations, le sergent Garzón Garzón avait déserté et, craignant pour sa sécurité, s’était spontanément présenté devant les services du procureur général. Il a donné dans son témoignage les noms des personnes ayant organisé et exécuté la « disparition », la torture et l’assassinat de Nydia Erika Bautista. Il a notamment affirmé que cette « disparition » avait eu lieu avec l’accord d’Alvaro Hernán Velandia Hurtado, qui était à l’époque colonel. Le sergent Garzón Garzón a indiqué dans son témoignage l’emplacement exact de la fosse commune dans laquelle a été retrouvé le corps de Nydia Erika.

Les pouvoirs publics ont exhumé le 26 juillet 1990 un cadavre, qui avait été retrouvé le 12 septembre 1987, sur le territoire de la municipalité de Guayatebal, dans le département de Cundinamarca. Les examens médicolégaux pratiqués ont permis d’établir qu’il s’agissait bien de la dépouille de Nydia Erika Bautista.

Le 6 juillet 1995, le procureur délégué aux droits humains, Hernando Valencia Villa, a fait connaître les conclusions d’une enquête disciplinaire menée sur la « disparition », la torture et l’assassinat de Nydia Erika Bautista. Il a demandé que soient rayés des cadres de l’armée le général de brigade Alvaro Hernán Velandia Hurtado et un homme ayant grade de sergent.

Le procureur délégué a conclu que le général Velandia, qui était alors colonel et commandait la 20e brigade, dont dépendait l’unité « Charry Solano », était au courant de la détention, de la « disparition » et de l’assassinat de Nydia Erika Bautista, dont s’étaient rendus responsables des hommes qui se trouvaient sous ses ordres. Il a estimé que l’officier avait alors « le devoir, le pouvoir et la possibilité d’empêcher que ne soit commis ce crime grave ». Le procureur délégué aux droits humains a démissionné de ses fonctions le 1er septembre 1995 et est parti se réfugier à l’étranger, après avoir reçu à plusieurs reprises des menaces de mort.

Le président Ernesto Samper Pizano a signé le 11 septembre 1995 le décret 1 504, mettant fin de manière définitive aux fonctions au sein des forces armées d’un « officier général de l’armée ».

C’était la première fois dans l’histoire de la Colombie qu’un général en activité se voyait démis de ses fonctions au sein de l’armée pour sa responsabilité dans des violations des droits humains. Dans les cas, exceptionnels, où des militaires sont reconnus responsables d’exécutions extrajudiciaires, de « disparitions » ou d’actes de torture, les seuls à être sanctionnés sont généralement les sans grade et les officiers subalternes. Les officiers donnant les ordres ont toujours, jusqu’à présent, réussi à échapper à leurs responsabilités.

Le décret présidentiel a été promulgué malgré les manœuvres menées par Alvaro Hernán Velandia Hurtado pour empêcher que ne soit appliquée la décision du procureur délégué aux droits humains et pour tenter de l’invalider. Alvaro Hernán Velandia Hurtado a introduit au moins quatre pourvois en annulation, quatre requêtes en tutela – demande de protection rapide, présentée devant les tribunaux, par une personne estimant que ses droits constitutionnels ont été violés ou risquent de l’être –, quatre procédures en appel de la décision prise en juillet 1995 par le procureur délégué et deux recours disciplinaires contre ce dernier. Le tribunal du contentieux administratif du Valle del Cauca a rejeté le 20 juillet 1997 un recours introduit en 1995 par Alvaro Hernán Velandia Hurtado, par lequel celui-ci entendait obtenir l’annulation de la décision de juillet 1995 le concernant et sa complète réintégration au sein de l’armée. Alvaro Hernán Velandia Hurtado n’a pas renoncé à obtenir gain de cause.

Le décret présidentiel a été promulgué à la suite de pressions exercées par un certain nombre d’organisations non gouverne-mentales tant colombiennes qu’interna-tionales. Le général de brigade n’a toutefois pas été exclu sans avoir auparavant été solennellement décoré, lors d’une cérémonie qui a eu lieu le 4 août 1995.

L’enquête judiciaire, entamée il y a quinze ans, en est toujours au stade préliminaire.

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