Pendant des années, Angélica Bello, défenseure colombienne des droits humains, a rarement passé un jour seule – cela aurait simplement été trop dangereux.
Les menaces qu’elle recevait en raison de son travail de soutien aux nombreuses victimes de violences sexuelles – des femmes prises au piège du conflit armé qui déchire la Colombie depuis des décennies – rendaient tout trajet trop dangereux à entreprendre seule pour cette femme de 45 ans, mère de quatre enfants.
En 2000, deux de ses filles ont été enlevées et ont servi d’esclaves sexuelles à des paramilitaires ; elles n’ont été relâchées qu’après qu’Angélica Bello soit intervenue personnellement.
En novembre 2009, elle a elle-même été victime d’abus sexuels aux mains, semble-t-il, de paramilitaires qui entendaient ainsi la punir pour son action de défense des droits humains.
Cette agression est survenue à la suite d’une série de menaces proférées contre elle. Ces menaces et agressions l’ont forcée à déménager à travers le pays à plusieurs reprises.
Début 2010, le nombre de menaces et d’attaques visant Angélica Bello est devenu si inquiétant qu’elle a demandé à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, une instance régionale de défense des droits humains, que des mesures de protection lui soient accordées.
En avril 2011, les autorités colombiennes lui ont fourni deux gardes du corps armés et une voiture blindée.
Mais rien de tout cela n’a permis de la protéger efficacement.
Angélica Bello est en effet morte samedi 16 février à 22 h 50 à son domicile, dans la ville de Codazzi (département du Cesar, nord de la Colombie).
Selon certaines informations relayées par des médias locaux, elle a mis fin à ses jours avec l’un des pistolets de son garde du corps.
Les autorités disent enquêter sur ce décès, après que plusieurs organisations de défense des droits humains eurent émis des doutes sur le fait qu’Angélica Bello se soit suicidée.
Quelques jours à peine avant sa mort, elle avait reçu des menaces. Il lui avait notamment été ordonné de quitter la zone où elle vivait.
Début janvier, elle avait participé, en tant que porte-parole des victimes de violences sexuelles liées au conflit, à une réunion avec le président Santos afin de faire entendre ce que ces femmes ont à dire dans le cadre du débat sur l’application de la loi relative aux victimes et à la restitution de terres.
Cette loi a été élaborée dans le but de garantir que certaines des terres confisquées durant le conflit – soit des millions d’hectares en tout – soient restituées à leurs propriétaires légitimes, et que des réparations soient accordées à certaines victimes.
Angélica Bello avait entre autres demandé au président de mettre en place en urgence des mesures de soutien psychosocial destinées aux victimes, notamment à celles ayant connu la violence sexuelle.
« Ils m’ont ordonné de ne pas le signaler aux autorités »
Le danger ne lui était pas étranger et les menaces n’avaient rien de nouveau pour elle.
Elle était bien connue en Colombie. En 2006, elle a créé la Fondation nationale pour la défense des droits des femmes. Elle a œuvré à protéger quelques-unes des milliers de femmes ayant subi des violences sexuelles dans le cadre du conflit armé sanglant que connaît la Colombie.
« Être une militante en faveur des droits humains en Colombie, c’est comme être un kamikaze en Irak », avait-elle déclaré à une équipe d’Amnesty International fin 2011.
Se souvenant des abus sexuels auxquels elle avait été soumise en 2009, en représailles contre son travail de défense d’autres femmes, elle a dit :
« J’avais très peur. Quand ces hommes ont abusé de moi et m’ont frappée, ils m’ont avant tout ordonné de ne pas le signaler aux autorités. Ils m’ont dit que je devais bien regarder leur visage, parce que je pourrais les revoir à tout moment. »
En 2010, un groupe d’hommes a suivi et agressé l’une de ses filles, qui s’était rendue à Bogotá, la capitale, pour s’inscrire à l’université.
Angélica Bello a eu le courage de porter ces menaces et agressions sexuelles à la connaissance des autorités, mais celles-ci n’ont pas fait grand-chose pour enquêter sur cette affaire et traduire les responsables en justice.
Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont dénoncé le fait que les différentes parties au conflit armé colombien menacent, violent, voire tuent des défenseures des droits humains et militantes des droits sociaux dans le but de contraindre ces femmes au silence.
« À travers la Colombie, de courageuses défenseures des droits humains s’efforcent de protéger les droits de milliers de femmes qui sont quasiment traitées comme des trophées de guerre. Ces défenseures sont agressées, menacées et parfois même tuées, sans que personne ne les protège », a déploré Marcelo Pollack, spécialiste de la Colombie à Amnesty International.
Une protection inefficace
Comme d’autres défenseurs des droits humains bénéficiant d’un système de protection similaire, Angélica Bello avait expliqué que sa vie sociale et familiale s’en trouvait fortement perturbée, et qu’elle vivait dans la peur constante que quelqu’un n’infiltre sa sécurité.
En dépit de ce mécanisme de protection, les menaces et le harcèlement ont continué. Ces dernières années, elle avait reçu des menaces de mort à plusieurs reprises, dont au moins deux tracts signés par un groupe paramilitaire.
« On dit qu’après le troisième tract, ils commencent à tuer – voyons ce qui va se passer », avait-elle dit à Amnesty International fin 2011.
« La mort d’Angélica Bello rappelle une nouvelle fois de manière sinistre qu’à moins que les atteintes aux droits humains ne fassent l’objet d’enquêtes et que les responsables présumés ne soient déférés à la justice, les autorités colombiennes continueront à envoyer le message que ces violations sont permises », a souligné Marcelo Pollack.
Amnesty International exhorte les autorités colombiennes à diligenter dans les meilleurs délais une enquête indépendante afin de faire toute la lumière sur la mort d’Angélica Bello, pour que les défenseurs des droits humains en Colombie puissent mener leur travail à bien sans crainte de représailles.
Les autorités colombiennes doivent prendre des mesures fermes afin que les défenseures des droits humains victimes de menaces puissent bénéficier d’une protection efficace spécifique à leur genre – notamment d’un soutien psychosocial prodigué par un personnel formé.