« Les autorités colombiennes doivent garantir le droit de réunion pacifique et s’abstenir de pointer du doigt et de réprimer les manifestations ayant lieu à travers le pays depuis le 28 avril. La garantie du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique des personnes qui manifestent de manière pacifique doit être au cœur de l’action des autorités, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Amnesty International a précédemment dénoncé certains agissements, comme par exemple lorsque les forces de sécurité ont employé des armes létales et à létalité réduite sans discernement. Malgré le tollé international provoqué par ces événements, l’organisation continue à recenser des cas graves de recours excessif à la force contre des manifestant·e·s. Après la vérification et l’analyse de séquences audiovisuelles, l’organisation a, par exemple, pu établir que des membres de l’unité antiémeutes de la police (ESMAD) ont tiré des grenades de gaz lacrymogène très près des manifestant·e·s à Cali. Dans un autre cas confirmé par Amnesty International, la police de Bogotá a utilisé une arme à feu contre une personne tandis que celle-ci fuyait. L’organisation a également reçu des signalements selon lesquels, le soir du 4 mai, dans le quartier Siloé de Cali, des manifestant·e·s ont été directement visés par des tirs d’arme à feu, et ont été victimes de menaces et d’actes de torture.
Au 6 mai, l’organisation non gouvernementale Temblores avait recensé [1] 37 morts violentes, 1 708 cas de recours abusifs à la force, 26 personnes blessées à l’œil, 234 victimes de violences physiques et 934 détentions arbitraires visant des manifestant·e·s. Cette organisation a également signalé que 11 personnes ont subi des violences sexuelles. Pour sa part, le défenseur du peuple [2] a lancé l’alerte au sujet de la disparition de 87 personnes dans le cadre de ces manifestations. Ce chiffre n’est peut-être déjà plus d’actualité. Au 4 mai, la Table de travail sur la disparition forcée convoquée par des organisations de victimes avait recueilli des informations [3] sur 135 cas de disparitions forcées présumées. Au moins 28 des personnes concernées ont été localisées depuis lors.
« Les autorités colombiennes doivent garantir le droit de réunion pacifique et s’abstenir de pointer du doigt et de réprimer les manifestations ayant lieu à travers le pays depuis le 28 avril »
De nombreuses personnes ont dit avoir subi des agressions sexuelles aux mains des forces de sécurité en détention. Une femme qui avait manifesté à Cali le 30 avril a par exemple déclaré sur les réseaux sociaux que des membres de l’ESMAD l’ont agressée sexuellement [4]. Lors d’un affrontement, divers agents ont utilisé du gaz lacrymogène afin de disperser les manifestant·e·s, et bien que cette personne ait levé les bras afin d’afficher ses intentions pacifiques, les membres de l’ESMAD ont séparé les femmes et les hommes, et un agent lui a fait subir une agression sexuelle devant ses collègues.
« Nous amplifions la voix de toutes les personnes ayant été victimes de violences liées au genre dans le cadre des manifestations en Colombie. Le président Iván Duque, en sa qualité de chef de la force publique, doit se prononcer sur ces affaires. Le silence n’accomplit rien d’autre que jeter un voile d’impunité et de complicité sur ces agissements. Nous avons pris connaissance de plusieurs cas d’abus sexuels perpétrés par des membres de l’ESMAD, et nous condamnons très fermement le recours à la force sur le corps des femmes comme forme de châtiment », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
« Les autorités colombiennes doivent enquêter sans délai et de manière impartiale et approfondie sur les allégations de violations des droits humains et de crimes de droit international, tout en garantissant les droits et la sécurité des victimes et témoins. Ces faits d’une grande gravité ne doivent pas rester impunis. »
Les normes internationales relatives aux droits humains disposent que le recours à la force dans le cadre du maintien de l’ordre, lors de manifestations, ne doit constituer qu’un dernier recours pour la police, et respecter les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et d’obligation de rendre des comptes. L’utilisation de la force dans le but de maintenir l’ordre face à des situations ne représentant pas une menace concrète pour la vie ou l’intégrité physique de tiers constitue un recours disproportionné à la force, et est par conséquent contraire aux normes internationales.
Si la majorité des manifestations sont pacifiques, des destructions et dégradations de mobilier urbain public et privé ont été signalées, ainsi que le blocage de voies publiques. Quelques violences isolées ne sont toutefois pas une raison suffisante pour jeter l’opprobre sur toutes les manifestations, ni pour les réprimer brutalement.
« Les autorités colombiennes doivent enquêter sans délai et de manière impartiale et approfondie sur les allégations de violations des droits humains et de crimes de droit international, tout en garantissant les droits et la sécurité des victimes et témoins »
Amnesty International est préoccupée par le fait que les autorités gouvernementales ont déclaré publiquement que les manifestations ont un objectif « terroriste » et que le recours excessif à la force contre le peuple est donc justifié. Par ailleurs, les appels des autorités locales [5] demandant aux civil·e·s de prendre les armes contre les manifestant·e·s sont alarmants et semblent justifier l’utilisation de stratégies paramilitaires. Non seulement cela enfreint les normes relatives aux droits humains, mais il s’agit en outre d’un affront à toutes les victimes de groupes paramilitaires, dans un pays qui est le théâtre du plus grand conflit armé interne du continent. La stigmatisation de la protestation sociale débouche sur la répression et des violations des droits humains, ainsi que sur une atmosphère de méfiance envers les autorités qui n’est pas propice à l’établissement véritable du dialogue.
Amnesty International a signé une pétition mondiale aux côtés de 650 organisations [6] de la société civile demandant une enquête exhaustive sur les violations des droits humains commises dans le contexte de cette répression, et appelant la Commission interaméricaine des droits de l’homme à déposer une requête auprès de l’État colombien, afin qu’il soit possible de se rendre dans le pays et de mettre en place un mécanisme indépendant réunissant des spécialistes, qui coopère avec l’enquête et garantisse justice pour les victimes.
Complément d’information
Amnesty International a recueilli de nombreuses informations attestant un recours disproportionné à la force de la part de membres de la police nationale en Colombie. L’organisation a dénoncé les actes de torture et le recours excessif à la force dans le contexte de manifestations pacifiques survenues en novembre 2019 et en septembre 2020.
En septembre dernier, la Cour suprême colombienne a rendu un arrêt historique [7] ordonnant aux forces de sécurité de s’abstenir d’intervenir systématiquement de manière arbitraire et violente face aux manifestations publiques, après avoir établi des faits de violence survenus en novembre et décembre 2019. Selon plusieurs organisations et réseaux de défense des droits humains, les autorités colombiennes ne se sont pas encore conformées à cet arrêt.
Les autorités colombiennes sont tenues de respecter le droit à la liberté de réunion et de manifestation pacifique, qui est étroitement lié aux droits à la liberté d’expression et de participation politique. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a signalé que le fait de ne pas respecter et garantir le droit à la liberté de réunion pacifique est souvent un signe de répression.