Colombie. L’état de droit ébranlé par les paramilitaires infiltrés au sein des institutions d’État

Déclaration publique

AMR 23/048/2006

Au cours du mois dernier, les autorités judiciaires ont établi qu’existaient des liens entre des groupes paramilitaires soutenus par l’armée et au moins neuf parlementaires appartenant à des partis pro-gouvernementaux. Cela fait plusieurs dizaines d’années que des groupes paramilitaires sont tenus pour responsables de certaines des pires atrocités en matière de droits humains perpétrées en Colombie et de la mort de dizaines de milliers de civils. Ce scandale politique menace d’ébranler encore davantage l’état de droit en Colombie.

Le 28 novembre, la Cour suprême a ordonné à six parlementaires de répondre des charges pesant contre eux concernant leurs liens avec des paramilitaires. Le 9 novembre, le même tribunal a ordonné l’arrestation de trois autres parlementaires, Álvaro Garcia Romero, Jairo Merlano et Erik Morris Taboada pour leurs liens présumés avec les paramilitaires et, pour ce qui est d’Álvaro Garcia, pour avoir ordonné, semble-t-il, le massacre par des paramilitaires de 15 personnes à Macayepo, dans le département de Bolívar, en 2000.

Ce scandale, dernier en date d’une série de révélations similaires au cours des mois écoulés, confirme ce qu’Amnesty International (AI), les Nations unies et les groupes colombiens de défense des droits humains affirment depuis longtemps et que les gouvernements colombiens successifs ont systématiquement nié, l’existence depuis longtemps de liens entre les paramilitaires et des membres des forces de sécurité, des services du renseignement, du parlement, du gouvernement local et des administrations publique et judiciaire.

Les autorités judiciaires de Colombie, notamment la Fiscalía General de la Nación (qui chapeaute le système judiciaire) et la Procuraduría General de la Nación (organe de l’État qui contrôle la conduite des fonctionnaires et mène des enquêtes pour faute disciplinaire) connaissent depuis longtemps l’existence de ces liens étroits entre fonctionnaires –et hommes politiques au niveau régional et national – et paramilitaires mais n’ont pas réellement pris de mesures concrètes en vue d’enquêter de manière effective et vigoureuse sur la question. Il semble que la découverte d’un ordinateur qui aurait appartenu à Rodrigo Tovar, alias « Jorge 40 », dirigeant du groupe paramilitaire Bloque Norte, leur ait forcé la main. Cet ordinateur aurait révélé une liste de noms de fonctionnaires ayant des liens avec des groupes paramilitaires ; des hommes politiques, des juges et des membres des forces de sécurité figureraient sur cette liste.

Une enquête approfondie et impartiale est d’autant plus importante que des groupes paramilitaires sont impliqués depuis 2003 dans un processus de démobilisation de leurs combattants, parrainé par le gouvernement. Plus de30 000 paramilitaires auraient été démobilisés à ce jour, selon les chiffres du gouvernement. Toutefois, Amnesty International a fait part à de nombreuses reprises de son inquiétude face à la poursuite des opérations menées par nombre de ces groupes qui continuent de tuer et de menacer la population civile ; le cadre légal mis en place pour faciliter le processus de « démobilisation » ne répond pas aux normes internationales et ne respecte pas le droit des victimes à la vérité, à la justice te à des réparations, il ne comprend aucune disposition visant à identifier et traduire en justice de tierces parties, notamment les membres des forces de sécurité et les hommes politiques qui ont soutenu les paramilitaires sur le plan logistique et financier au cours de toutes ces années.

Nombre de paramilitaires infiltrés dans l’appareil d’État colombien

Selon de récents articles de presse, la Fiscalía General procèderait à l’examen de plus d’une centaine de dossiers de collusion présumée entre paramilitaires et personnalités politiques, membres des administrations publique et judiciaire et forces de sécurité. La Procuraduría General de la Nación aurait annoncé la création d’une unité spéciale afin d’enquêter sur les liens présumés entre employés de la fonction publique et groupes paramilitaires. Plusieurs dirigeants paramilitaires auraient affirmé contrôler environ un tiers du Congrès colombien.


Hommes politiques au niveau national et régional

Selon la presse du 27 novembre, information confirmée par certains des législateurs soupçonnés d’être impliqués, au moins neuf parlementaires auraient participé en 2001 à une réunion avec des paramilitaires de haut rang en vue de la création d’un mouvement politique soutenu par les paramilitaires. Les hommes politiques présents à cette réunion auraient signé un document approuvant la création du mouvement, qui devait s’appeler le Movimiento Nacional Comunitario, Mouvement national communautaire.

Les services du renseignement

En novembre, la Procuraduría General de la Nación a accusé l’ancien directeur du Département administratif de sécurité (DAS), la police secrète d’État, Jorge Noguera, d’entretenir des liens avec les paramilitaires. Les accusations provenaient d’un autre responsable de la DAS, Rafael Garcia, qui avait déclaré dans les médias début 2006 que la DAS avait fourni une liste comportant les noms de 24 dirigeants syndicaux au Bloque Norte. Plusieurs des personnes figurant sur la liste ont été tuées, menacées ou soumises à un processus judiciaire arbitraire.

Les forces de sécurité

Le 22 mai, des soldats de l’armée ont tué 10 fonctionnaires de la police judiciaire (DIJIN)ainsi qu’un indicateur de la police et un civil à Jamundí, dans le département du Valle del Cauca. La Fiscalía General a inculpé 15 membres de l’armée pour leur rôle présumé dans ces homicides, qui auraient été perpétrés sur l’ordre de trafiquants de drogue liés aux paramilitaires. Les enquêteurs judiciaires chargés de l’affaire auraient fait l’objet de menaces.

Amnesty International salue les efforts actuels, longtemps repoussés par les autorités judiciaires, pour enquêter sur ces allégations graves. L’organisation espère que ces enquêtes seront menées de manière exhaustive et impartiale et que les responsables présumés des violences seront traduits en justice. Les conclusions de ces enquêtes devront être rendues publiques. Tout fonctionnaire, civil ou militaire, faisant l’objet d’une enquête formelle en raison de liens supposés avec des paramilitaires ou avec tout autre groupe armé illégal, devra immédiatement être suspendu de ses fonctions jusqu’à la conclusion de l’enquête.

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