Colombie : La justice reste la seule voie pour élucider massacres et disparitions

La gouvernement colombien doit concentrer tous ses efforts pour créer les conditions qui permettront à la vérité d’éclater au grand jour dans l’affaire concernant l’assassinat de huit membres de la communauté pacifique de San José de Apartadó, dans le département d’Antioquia, le 21 février et plus de 150 autres homicides et « disparitions » de membres de la communauté au cours des huit dernières années, a déclaré Amnesty International, réagissant aux récentes déclarations faites par le président Alvaro Uribe, qui a accusé les dirigeants de la communauté de collaborer avec des groupes de la guérilla.

Le 20 mars, le président Uribe a accusé certains des dirigeants de la communauté pacifique de San José de Apartadó de servir de force auxiliaire au groupe de la guérilla des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie) et de chercher à faire obstruction à la justice. Il a déclaré également que l’armée entrerait dans la communauté dans les vingt jours.

« Accuser des membres de la communauté pacifique de collaborer avec des groupes de la guérilla fait courir à la communauté un plus grand risque de se faire attaquer par des paramilitaires soutenus par l’armée. Ces déclarations, ainsi que les commentaires faits par le ministre de la Défense, qui a nié toute responsabilité de l’armée dans le massacre de février, soulèvent également des interrogations quant à la tenue d’une enquête approfondie et impartiale sur le massacre », selon Amnesty International.

Selon un témoin oculaire, les auteurs du massacre se seraient eux-mêmes présentés comme étant membres de l’armée colombienne. Selon d’autres témoins, après le massacre, des soldats auraient dit aux habitants sur place que si ces homicides n’avaient pas été portés à la connaissance du public, davantage de civils auraient été tués et que les huit victimes étaient des « guérilleros morts » (« puro guerillero muerto »).

« Il est urgent que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées pour découvrir l’identité des auteurs de ce massacre et savoir si l’armée colombienne était impliquée. Cela est particulièrement important du fait que des opérations militaires étaient en cours dans la région de San José de Apartadó plusieurs jours avant le massacre. »

Toute enquête judiciaire devra être menée exclusivement par la justice civile et non par la justice militaire, qui a prouvé à de nombreuses reprises son manque de détermination à traduire en justice des membres des forces armées impliqués dans de graves violations des droits humains, même lorsqu’existent des présomptions suffisantes. Seules deux personnes ont été placées en détention, alors que plus de 150 homicides ont été perpétrés au cours des huit dernières années par toutes les parties au conflit, mais essentiellement par des paramilitaires soutenus par l’armée. Les enquêtes devront également prévoir un dispositif visant à garantir la sécurité des témoins entendus par les autorités judiciaires.

La déclaration du président Uribe, selon laquelle la communauté pacifique n’aurait pas collaboré avec la justice passe sous silence le fait que la communauté a toujours maintenu le dialogue avec les différents gouvernements de Colombie sur les questions touchant à la sécurité de la communauté et visant à permettre des enquêtes approfondies et impartiales sur les assassinats et « disparitions » à répétition.

L’administration actuelle a constamment rejeté le droit des civils à se tenir à l’écart du conflit et a activement cherché à impliquer davantage la population civile dans le conflit. Cela menace d’exposer des communautés civiles à des attaques des forces de la guérilla qui s’est toujours montrée incapable de respecter le droit international humanitaire, selon lequel toutes les parties à un conflit armé doivent établir une distinction entre combattants et civils.

« La seule façon de garantir une protection à long terme aux habitants de la communauté pacifique de San José de Apartadó est de mettre fin à l’impunité qui a protégé les responsables d’exactions et d’atteintes aux droits humains contre les membres de la communauté. »

Complément d’information

Au cours de plus de huit années d’existence, la communauté pacifique de San José de Apartadó n’a cessé d’insister sur le fait que toutes les parties au conflit doivent respecter le droit des civils à rester à l’écart des hostilités. À cette fin, elle a insisté pour que les combattants restent à l’écart de ses zones d’habitation et d’agriculture. La réaction des forces de sécurité et des hauts responsables de l’État et du gouvernement a été d’accuser la communauté de subversion. Pour leur part, les FARC ont interprété le refus de la communauté de collaborer avec elles comme une forme de collaboration avec l’ennemi.


Les civils des zones de conflit se sont trouvés de plus en plus impliqués dans les hostilités contre leur volonté, les forces de la guérilla et les forces gouvernementales et leurs auxiliaires paramilitaires exigeant d’eux soutien et collaboration. Soutenir une des parties au conflit, même contre sa volonté, signifie fréquemment des représailles de la part de l’autre partie. Afin de pouvoir rester à l’écart du conflit, certaines communautés se sont organisées ces dernières années pour exiger que les parties au conflit respectent leur droit de ne pas prendre partie et leur droit à la vie en tant que civils.

Certaines de ces communautés se sont déclarées elles-mêmes communautés pacifiques, s’engageant à ne pas porter d’armes et à ne fournir ni renseignements ni soutien logistique à aucune des parties au conflit. En retour, elles exigent que les différentes parties respectent les limites de leur territoire et respectent leur droit à la vie, leur statut de civils et leur décision de ne pas participer ni collaborer avec aucune des parties au conflit.

En 2000, le gouvernement a accepté de créer une Commission spéciale d’enquête judiciaire pour enquêter sur les homicides et « disparitions » de membres de la communauté pacifique de San José de Apartadó et faire en sorte que les auteurs présumés de ces actes soient traduits en justice, mais peu de progrès ont été effectués. Des témoins entendus par la Commission ont eux-mêmes été victimes de graves atteintes aux droits humains ou d’actes d’intimidation par les forces de sécurité, tandis que d’autres personnes qui avaient dénoncé des violations des droits humains ont eu à subir des actes d’intimidation.

Le 15 avril 2004, la Cour constitutionnelle a accepté un recours en protection (acción de tutela) de ses droits constitutionnels présenté par la communauté pacifique. La Cour a demandé à l’État colombien de garantir la sécurité de la communauté pacifique, conformément à la résolution de la Cour interaméricaine des droits de l’homme relative aux mesures conservatoires provisoires, adoptée en 2000 et reconduite en 2004. Cette résolution stipule que l’État colombien doit prendre en considération la position de la communauté en mettant en place ces mesures provisoires.

Amnesty International demande au gouvernement colombien de respecter pleinement les termes des mesures provisoires adoptées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme et de veiller à ce que les autorités colombiennes ne prennent aucune mesure susceptible d’entraîner davantage dans le conflit les membres de la communauté pacifique.

En 2004, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a demandé au gouvernement colombien : « d’exiger de l’État de Colombie qu’il adopte sur le champ toute mesure nécessaire visant à garantir aux personnes visées par ces mesures de pouvoir continuer à vivre sur leur lieu habituel de résidence » et « d’exiger de l’État de Colombie qu’il permette aux requérants de participer à la planification et à la mise en application des mesures [conservatoires provisoires]. »

La décision de la Cour interaméricaine des droits humains d’adopter des mesures conservatoires provisoires pour la communauté pacifique a été prise après l’intervention de la Commission interaméricaine des droits de l’homme le 3 octobre 2000 en faveur du respect de l’exigence formulée par la communauté pacifique de voir les combattants rester en dehors de leurs zones d’habitation : « Que les mesures conservatoires soient acceptées d’un commun accord par l’État, les membres de la communauté et les requérants. En ce sens, et afin de garantir leur efficacité et leur pertinence, il est nécessaire de prendre en considération la compatibilité des mesures de garantie offertes avec la nature de l’expérience de la Communauté de Paix, la protection personnelle et armée de ces personnes pouvant mettre en danger les principes de neutralité collective et de zone humanitaire à la base de leur existence et susciter des réactions violentes de la part des acteurs armés du conflit dans la région. »

Dans une déclaration rendue publique le 22 mars, le Bureau du haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en Colombie a appelé l’État de Colombie à adopter toutes les mesures nécessaires visant à protéger les membres de la communauté pacifique de San José de Apartadó, conformément aux mesures provisoires adoptées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

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