Déclaration publique
Index AI : AMR 23/038/2008
ÉFAI
Des communautés indigènes de Colombie organisent depuis un mois des manifestations de grande ampleur afin de protester contre la persistance des violations de leurs droits fondamentaux et demander que soit respecté leur droit à la terre. Ces mouvements s’inscrivent dans le cadre d’une campagne plus large dans laquelle sont mobilisées des communautés paysannes et d’origine africaine qui réclament le respect de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Les préoccupations soulevées par le mouvement indigène risquent toutefois d’être occultées par les violences qui, ces jours derniers, ont émaillé plusieurs des manifestations. Selon certaines informations, l’Escuadrón Móvil Antidisturbios (ESMAD, unité antiémeute de la police) a utilisé une force excessive contre des manifestants dans le département du Cauca. Un protestataire au moins est mort et des dizaines d’autres ont été blessés. Des dizaines de membres des forces de sécurité auraient également été blessés. Amnesty International condamne le recours à une force excessive par les forces de sécurité ainsi que toute violence perpétrée par des manifestants.
Les communautés indigènes, paysannes et d’origine africaine vivant dans les zones en proie au conflit armé qui déchire la Colombie depuis quarante ans n’ont cessé d’être victimes d’atteintes graves à leurs droits fondamentaux. Celles-ci sont perpétrées par les forces de sécurité, par des paramilitaires – agissant seuls ou avec la complicité ou l’assentiment des forces de sécurité – et par des groupes de guérilla. Ces communautés sont bien souvent prises pour cible parce qu’on les accuse d’aider l’une ou l’autre partie au conflit. Plus de 1 000 indigènes ont été tués au cours de ces cinq dernières années. Dans l’immense majorité des cas, les homicides n’ont pas fait l’objet d’une enquête appropriée et leurs auteurs présumés n’ont pas été traduits en justice.
Une grande partie des régions de Colombie présentant un intérêt économique sont habitées par des populations indigènes ou d’origine africaine. Les violations des droits humains perpétrées contre elles correspondent souvent à des tentatives en vue de les chasser de ces secteurs. Entre trois et quatre millions de personnes ont été déplacées de force de leurs terres et de leurs habitations depuis 1985. Ces déplacements forcés ont permis à des paramilitaires, mais aussi dans certains cas à des groupes de guérilla, de s’emparer de terres sur lesquelles ils n’ont aucun droit. Entre quatre et six millions d’hectares pourraient avoir été ainsi dérobés par des paramilitaires,souvent dans des zones riches en minerais ou en pétrole, ou à fort potentiel agro-industriel. Au lieu de garantir la restitution des terres volées, certaines des politiques mises en œuvre par le gouvernement pourraient au contraire permettre aux groupes paramilitaires et à ceux qui les soutiennent de devenir officiellement propriétaires de ces terres.
Les atteintes aux droits humains dont sont victimes les indigènes sont liées pour l’essentiel à leurs actions pour la défense de leur droit à la terre. Le département du Cauca, dans le sud-ouest du pays, constitue un exemple frappant. L’importante population indigène qui y vit est bien organisée, de même que les mouvements paysans présents. Ces acteurs se sont mobilisés en faveur de la réforme agraire et de revendications foncières, effectuant de multiples manifestations, occupations de terres et autres actions en vue d’obtenir le respect de leurs droits à la terre.
Les autorités de l’État, les forces de sécurité et le gouvernement ont à de nombreuses reprises considéré ces actions comme des actes subversifs. Ces accusations ont souvent été suivies d’homicides, de disparitions forcées et de menaces de mort perpétrées par des groupes paramilitaires et par les forces de sécurité. En août 2008, une menace de mort anonyme a été diffusée dans le département du Cauca. Elle annonçait une campagne de militarisation et d’extermination contre les membres du groupe indigène nasa et les dirigeants du Consejo Regional Indígena del Cauca (CRIC, Conseil régional indigène du Cauca),accusés d’être des terroristes, des criminels et des alliés majeurs des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie, mouvement de guérilla). De nombreux responsables indigènes et membres d’organisations paysannes du département du Cauca ont depuis reçu des menaces. Certains ont été tués.
Le 28 septembre 2008, Raúl Mendoza, le gouverneur du cabildo (conseil indigène) Peñón de la municipalité de Sotará (département du Cauca) a été abattu chez lui, dans la ville de Popayán. Il participait activement à un mouvement visant à reprendre possession de terres dans la ferme de Los Naranjos.
Le 13 octobre 2008, César Hurtado Tróchez, un indigène de la réserve de Guadalito, dans le département du Cauca, a été tué par balles par quatre hommes qui ont fait irruption dans sa maison. Le 12 octobre 2008, Nicolás Valencia Lemus, le frère d’un dirigeant indigène local connu, a été tué après avoir été intercepté sur la route reliant El Palo à Toribío par des membres du groupe paramilitaire des Águilas Negras (Aigles noirs). Les meurtriers ont inscrit les mots Águilas Negras sur les vitres de sa voiture avant de s’enfuir. Le 11 octobre, on a découvert près de la route entre Toribío et Jambaló le corps d’un indigène résidant dans cette dernière localité, Celestino Rivera. Il avait été tué par balles.
Amnesty International a également reçu des informations faisant état de nombreux homicides perpétrés ces derniers mois contre des indigènes et des personnes d’origine africaine dans d’autres régions du pays.
Le 6 octobre 2008, trois membres de la communauté indigène emberá-chamí ont été tués et un autre a été blessé par des paramilitaires portant des brassards les identifiant comme des Aigles noirs . Les faits se sont déroulés près de la municipalité de Riosucio, dans le département de Caldas. Selon les informations recueillies par Amnesty International, des membres de la communauté avaient signalé aux autorités locales que, les jours précédents, des tracts avaient été diffusés dans la municipalité sur lesquels figurait une liste de plus de 60 noms de personnes, notamment indigènes, menacées par le groupe paramilitaire.
Le 26 mai 2008, un indigène accusé d’être un informateur de l’armée, Oscar Dogirama Tequia, a été tué par les FARC dans la municipalité de Riosucio (département du Chocó).
Le 14 octobre 2008, Walberto Hoyos Rivas, dirigeant de la communauté d’origine africaine du bassin du Curvaradó (département du Chocó), a été tué par des paramilitaires dans la zone humanitaire de Caño Manso. Walberto Hoyos avait mené des actions de lutte pour la protection des droits fonciers collectifs des communautés d’origine africaine du bassin du Curvaradó. Le 17 septembre 2007, son frère et lui avaient échappé à une tentative de meurtre. Il s’apprêtait à témoigner dans le procès de deux paramilitaires impliqués dans le meurtre d’un autre dirigeant communautaire.
Ces dernières semaines, des attaques contre les personnes qui défendent les droits économiques, sociaux et culturels des paysans se sont ajoutées aux meurtres de militants indigènes et d’origine africaine.
Les autorités colombiennes doivent diligenter des enquêtes exhaustives et impartiales sur les attaques perpétrées contre les communautés indigènes, paysannes ou d’origine africaine, et déférer devant la justice les auteurs présumés de ces actes. Les forces de sécurité et les groupes de guérilla doivent eux aussi respecter le droit de tous les civils, y compris ceux qui militent en faveur du droit à la terre, de ne pas être entraînés dans le conflit.