COLOMBIE : Selon l’organisation, une implication accrue de la population risquerait de provoquer une guerre civile

Index AI : AMR 23/054/02

Au vu des circonstances qui ont entouré le récent massacre en Colombie et des propositions qu’ont formulées certains candidats à la présidence, il apparaît que la population civile de ce pays est de plus en plus vulnérable et impliquée dans le conflit armé, ce qui augmente le risque de guerre civile, a signalé ce jour Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International, à l’issue de sa première visite dans ce pays.

« Le massacre de Bojayá, dans le département du Chocó, qui a coûté la vie à plus de 100 civils dont une cinquantaine d’enfants, constitue l’une des plus graves atteintes au droit international humanitaire enregistrées durant ce long et douloureux conflit. En outre il est une nouvelle preuve du peu d’importance accordée à la protection de la population civile. Une priorité absolue doit être donnée à la conclusion, entre les parties au conflit, d’un accord humanitaire qui écarterait les civils des hostilités, a indiqué Irene Khan.

« Dans ce contexte nous ne pouvons que nous alarmer devant la proposition qui est faite de convertir un million de Colombiens en informateurs des forces armées, ce qui les entraînerait encore davantage dans le conflit. Un autre fait hautement inquiétant est qu’il est question de mesures qui risquent de porter atteinte au pouvoir déjà faible dont disposent les organes judiciaires pour juger les responsables de violations des droits humains. »

Par sa secrétaire générale, l’organisation a encore une fois condamné énergiquement l’action menée par les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie) à Bojayá ; Mme Khan les a enjoints de ne plus utiliser des bonbonnes de gaz comme armes quand des civils risquent d’être touchés, comme ce fut le cas dans l’église de Bojayá. Elle a en outre condamné l’atteinte grave au droit international humanitaire commise par les paramilitaires lorsqu’ils ont utilisé comme boucliers humains les civils qui s’étaient réfugiés dans l’église.

« Cette tragédie confirme de plus l’ampleur de la responsabilité qui incombe aux autorités colombiennes, qui ne sont pas intervenues pour protéger la population alors qu’elles avaient été prévenues, par le système officiel d’alerte, du risque élevé qu’elle courait dans la région de Bojayá. Cette grave omission de la part des autorités civiles et militaires met encore une fois l’accent sur le manque manifeste de volonté de la part du gouvernement colombien de respecter l’obligation qui est la sienne aux termes de la Constitution, à savoir de protéger la population civile sans défense », a déclaré Irene Khan. La secrétaire générale de l’organisation a lancé un nouvel appel aux parties au conflit, les exhortant à lever le blocus qui, à la date de la rédaction de ce communiqué, empêchait l’aide humanitaire d’arriver jusqu’à la population qui en avait pourtant besoin de façon extrêmement urgente.

« Nous partageons l’horreur ressentie par la société colombienne et nous condamnons avec elle ce massacre. Toutefois, nous tenons à rappeler que, malheureusement, il ne constitue pas un fait isolé mais une nouvelle confirmation de l’atrocité qui caractérise ce conflit. Celui-ci a déjà tué plus de 60 000 civils depuis 1985 et coûte la vie à une centaine de personnes chaque année ; malgré cela les responsables de ces actes n’ont pas été traduits en justice.

« Dans le climat actuel, la classe politique insiste de plus en plus sur la nécessité de garantir la sécurité de l’État. Cependant, il est fondamental de rappeler qu’il ne peut y avoir sécurité sans respect total des droits humains. Si ces droits sont sacrifiés au nom de la sécurité, cela entraînerait pour la Colombie une augmentation de la violence et des violations des droits humains. »

Lundi 6 mai Mme Khan a participé à une table ronde avec les principaux candidats à la présidence de la République afin de débattre des droits humains qui jusqu’alors n’avaient malheureusement pas été évoqués dans le cadre de la campagne électorale.

« Au vu de la détérioration croissante du conflit ainsi que de la crise humanitaire et des droits humains qui ne cesse de s’intensifier, ce sujet devrait occuper une place prépondérante dans le débat politique », a ajouté la secrétaire générale de l’organisation.

Bien que les candidats aient formulé des engagements au sujet des droits humains, Mme Khan a regretté l’absence de propositions concrètes sur la manière de les faire respecter. En outre, il n’y a eu aucun engagement ferme et sans équivoque quant au respect total des recommandations des Nations unies et de plusieurs organismes nationaux et internationaux : mettre fin à l’impunité, combattre les groupes paramilitaires et briser leurs liens avec les forces armées, ainsi que protéger les défenseurs des droits humains et les secteurs les plus vulnérables de la société colombienne.

« Les propositions présentées par au moins deux candidats, qui visent à faire participer plus directement les citoyens dans la lutte pour la sécurité, sont particulièrement inquiétantes. Ces plans finiraient par entraîner encore davantage la population dans le conflit, a-t-elle ajouté.

« Il est indispensable que quiconque assume la présidence de l’État s’engage sans hésiter dans les prochains mois à protéger les droits de tous avec des mesures concrètes et immédiates, et à maintenir toute mesure de sécurité à l’intérieur d’un cadre où les droits humains seraient entièrement respectés.

« En quittant aujourd’hui la Colombie, je ressens une profonde inquiétude devant les atteintes de plus en plus graves aux droits humains et au droit international humanitaire que commettent tous les jours les forces armées, les groupes paramilitaires qui agissent souvent avec le soutien de ces dernières, et les groupes de guérilla, a déclaré Mme Khan.

« Je pars aussi de plus en plus convaincue que, compte tenu de l’urgence qui règne en Colombie sur le plan humanitaire et dans le domaine des droits humains, ce serait une erreur d’accroître l’aide militaire sans poser en même temps des conditions claires et inéluctables en matière de droits humains et sans que la protection de ces droits n’ait enregistré des progrès vérifiables, en particulier pour la population civile. » Irene Khan a ainsi exprimé sa préoccupation quant au débat qui vient de reprendre au Congrès des Etats-Unis au sujet de la suppression de toute condition à l’utilisation de l’aide militaire américaine.

« La tuerie de Bojayá a levé pour quelques jours, dans la communauté internationale, le voile du silence qui recouvrait la crise humanitaire et des droits humains en Colombie. Plus que jamais, la Colombie doit demeurer le point de mire de la communauté internationale et celle-ci doit assumer sa responsabilité, qui est d’accompagner le gouvernement colombien dans l’adoption de mesures concrètes avec lesquelles il pourra faire face, avec fermeté et urgence, à la situation des droits humains dans son pays ». Mme Khan a aussi rencontré des victimes, des organisations non gouvernementales ainsi que des représentants du corps diplomatique et des Nations unies.

Exprimant sa solidarité avec les militants qui œuvrent pour le respect des droits humains et avec les représentants de la société civile, la secrétaire générale d’Amnesty International a terminé par ces propos : « Nous le devons aux millions de Colombiens qui souffrent des conséquences du conflit ainsi qu’à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui risquent leur vie pour défendre les droits de tous. »

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International, à Londres, au +44 20 7413 5566 ou consulter notre site web : www.amnesty.org

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