Les autorités qatariennes [1] doivent libérer immédiatement Abdullah Ibhais [2], un ressortissant jordanien [3], ancien directeur de la communication pour la Coupe du monde masculine 2022.
Abdullah Ibhais, ancien directeur de la communication du Conseil suprême pour la remise et l’héritage chargé d’organiser la Coupe du monde au Qatar, a été arrêté en 2019, quelques mois après avoir exprimé ses préoccupations quant au traitement réservé aux travailleurs migrants sur les chantiers de construction de la Coupe du monde. La FIFA, organe mondial de gouvernance du football, a refusé de soutenir publiquement les appels en faveur d’un procès équitable pour Abdullah Ibhais alors qu’il a affirmé être visé par des poursuites destinées à lui nuire. Il a de nouveau été arrêté en novembre 2021 et purge une peine de trois ans de prison pour des faits de corruption.
« La FIFA s’est lavé les mains du sort réservé à Abdullah Ibhais un mois avant la Coupe du monde au Qatar, malgré des preuves évidentes d’un procès inique dans le cadre de la procédure intentée par ses partenaires qatariens, a déclaré Nick McGeehan, codirecteur de FairSquare, qui suit l’affaire depuis le début. Cette décision faisant autorité devrait les obliger à agir et à appeler publiquement à ce qu’il soit libéré et puisse retourner dans sa famille, auprès de ses enfants. »
« Mentir n’est pas la manière de faire du Qatar, et ne devrait pas l’être »
En août 2019, de nombreux travailleurs migrants résidant dans le camp de travail d’al Shahaniya se sont mis en grève pour protester contre les salaires impayés, et Abdullah Ibhais a fourni des éléments à ses collègues du Conseil suprême pour la remise et l’héritage attestant que certains d’entre eux avaient participé à la construction du stade pour la Coupe du monde 2022. Il a recommandé au Conseil suprême de reconnaître publiquement l’implication de ces travailleurs et de se concentrer sur la résolution de la situation.
« Mentir n’est pas la manière de faire du Qatar, et ne devrait pas l’être », a-t-il écrit à un supérieur dans un message. Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, en novembre 2019, que les organisateurs de la Coupe du monde au Qatar ont présenté à la police un rapport alléguant qu’Abdullah Ibhais s’était livré à des actes de corruption dans l’intention de porter atteinte à la sécurité de l’État.
Abdullah Ibhais a demandé l’aide de la FIFA via sa plateforme de lancement d’alerte en ligne en septembre 2021. En novembre 2021, la FIFA déclarait que « toute personne mérite un procès équitable » et qu’elle « continuerait de suivre cette affaire de près » [4], mais n’a pris aucun engagement s’agissant d’apporter une aide supplémentaire à Abdullah Ibhais.
Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire s’est saisi de l’affaire, la famille d’Abdullah Ibhais ayant soumis une requête en décembre 2022 au motif qu’il avait été emprisonné arbitrairement, sur la base d’un procès des plus iniques.
Dans une décision officielle [5] rendue publique début juillet 2024, le Groupe de travail a publié un avis de 13 pages sur l’affaire, concluant que sa détention ne reposait sur aucun fondement juridique, que sa privation de liberté résultait de l’exercice de ses droits et que son droit à un procès équitable avait subi de multiples violations, notamment le refus d’enquêter sur ses allégations d’aveux obtenus sous la contrainte, de lui accorder l’assistance d’un avocat et de lui permettre d’avoir accès aux éléments de preuve.
Le gouvernement qatarien a eu deux mois pour répondre au Groupe de travail et contester ces graves allégations ; il n’en a rien fait. Le Groupe de travail lui a demandé de libérer Abdullah Ibhais et de lui accorder un droit exécutoire à des indemnités et d’autres réparations, conformément au droit international.
La détermination de l’ONU fait écho aux rapports de FairSquare [6], Human Rights Watch [7] et Amnesty International, qui font valoir que l’affaire soulève de vives préoccupations.
Abdullah Ibhais, père de deux garçons, doit être libéré en octobre 2024, mais comme le tribunal a assorti sa peine d’emprisonnement d’une amende, elle pourrait être prolongée jusqu’en avril 2025 s’il ne peut pas régler cette amende.
Human Rights Watch a déclaré [8] que l’accusation n’avait présenté aucun élément crédible prouvant qu’il avait commis un crime. La cour d’appel a confirmé que les seuls éléments de preuve sur lesquels ils se sont appuyés étaient ses aveux, alors qu’il s’était rétracté devant le tribunal, affirmant qu’ils lui avaient été extorqués sous la menace et la contrainte.
« Tout son parcours éprouvant, marqué entre autres par l’absence de procédure régulière, le refus des visites familiales et l’utilisation d’aveux forcés, est une parodie de justice qui doit cesser sur-le-champ »
Selon Amnesty International, son procès était inique et les allégations selon lesquelles Abdullah Ibhais a été menacé et contraint de faire des aveux où il s’accusait lui-même doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et efficace.
« Le Groupe de travail des Nations Unies a confirmé avec force ce que nombre d’entre nous disent depuis des années : il est temps que les autorités qatariennes libèrent Abdullah Ibhais, annulent sa condamnation et garantissent son droit à un recours effectif, notamment à une indemnisation adéquate. Tout son parcours éprouvant, marqué entre autres par l’absence de procédure régulière, le refus des visites familiales et l’utilisation d’aveux forcés, est une parodie de justice qui doit cesser sur-le-champ », a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire est mandaté pour enquêter sur les cas de privation de liberté imposée de manière arbitraire ou incompatible avec les normes internationales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et les instruments juridiques internationaux reconnus par les États concernés. Il se compose de cinq experts indépendants issus d’une représentation géographique équilibrée qui enquêtent sur des cas individuels et produisent des rapports et des avis afin de remplir leur mandat.
« L’absence de réponse des autorités qatariennes face à la détermination du Groupe de travail sur les violations du droit à un procès équitable dans le procès d’Abdullah Ibhais en dit long, a déclaré Minky Worden, directrice des Initiatives mondiales au sein de Human Rights Watch. Abdullah Ibhais a fait l’objet de représailles pour s’être inquiété des atteintes généralisées et étayées que subissent les travailleurs migrants, comme les retards de salaire. Les autorités qatariennes doivent le libérer immédiatement et l’indemniser pour la persécution injuste qu’il a subie. »