Commerce des armes : la future majorité wallonne ne doit pas sacrifier les droits humains

Suite à la présentation le 11 juillet des priorités pour la législature 2024-2029 par les partis politiques qui formeront la prochaine majorité gouvernementale wallonne, Amnesty International fait part de ses plus vives inquiétudes concernant le recul sans précédent en matière de droits humains que pourrait enregistrer la compétence régionale du contrôle des exportations d’armes

La Déclaration de politique régionale (DPR) annonce en effet une révision du décret de 2012 relatif à l’importation, à l’exportation, au transit et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense, en vue « de ne plus pénaliser les industriels wallons dans leurs exportations au regard du cadre appliqué au niveau intra-belge et européen et en s’en tenant strictement à ce dernier ».

« Si ce recul devait se confirmer, nous entrerions dans une période sombre pour les droits humains, avec des conséquences qui seraient dramatiques et vécues de manière très concrète par de nombreuses personnes qui pourraient être victimes de graves violations de leurs droits commises avec des armes wallonnes », alerte François Graas, coordinateur des campagnes et du plaidoyer de la section belge francophone d’Amnesty International.

« Considérer que l’application d’un tel principe de précaution revient à “pénaliser les industriels wallons dans leurs exportations” relève d’une vision du monde qui fait du respect des droits humains un obstacle à dépasser »

Le texte de la DPR semble opposer le droit wallon et le droit européen ; or, le principal mérite du décret relatif au commerce des armes a consisté à faire entrer dans le droit wallon les huit critères définis au niveau européen dans la Position commune définie par le Conseil de l’Union européenne en 2008. L’un de ces critères concerne le respect des droits humains et prévoit que les autorités refusent d’accorder une licence d’exportation lorsqu’il existe un risque manifeste que les armes concernées servent à commettre des violations des droits humains ou du droit international humanitaire.

« Considérer que l’application d’un tel principe de précaution revient à “pénaliser les industriels wallons dans leurs exportations” relève d’une vision du monde qui fait du respect des droits humains un obstacle à dépasser, alors qu’il devrait s’agir de la boussole de toutes les politiques publiques », insiste François Graas.

Tandis que les précédents gouvernements wallons ont échoué à appliquer correctement le décret sur les armes, en permettant à de nombreuses reprises des transferts d’armes présentant de sérieux risques de violations des droits humains, le prochain gouvernement semble vouloir s’affranchir des règles définies au niveau européen.

« À l’heure où le monde voit de nombreux conflits violents donner lieu à de graves violations des droits de millions de personnes, les autorités wallonnes – si elles confirment cette orientation – s’apprêtent à tourner le dos aux droits humains et à prioriser des intérêts économiques. Un tel choix politique constituerait une grave faute historique », prévient François Graas.

Amnesty International s’inquiète également du fait que la DPR ne porte aucune attention à l’enjeu de la transparence des pratiques des autorités concernant le commerce des armes. L’organisation de défense des droits humains rappelle qu’il s’agit pourtant d’un aspect crucial de cette matière, pour lequel la Wallonie présente justement de sérieuses faiblesses. Ainsi, les rapports annuels du gouvernement sur le commerce des armes sont publiés systématiquement avec retard et les informations qu’ils contiennent sont insuffisantes pour que les parlementaires et la société civile assurent un réel contrôle.

« Le message est on ne peut plus clair : le respect des droits humains passe par la transparence en ce qui concerne les ventes d’armes »

Dans un rapport qu’il a publié récemment, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a appelé les États à « rendre publiques suffisamment d’informations, sous des formes accessibles, afin de permettre l’exercice d’un contrôle public sur les transferts d’armes », et ce, afin que « les États puissent contribuer efficacement à la prévention et à l’atténuation des effets néfastes des transferts d’armes sur les droits de l’homme et remédier à ces effets ».

« Le message est on ne peut plus clair : le respect des droits humains passe par la transparence en ce qui concerne les ventes d’armes. Ce message s’adresse également aux autorités wallonnes, qui doivent donc s’en saisir concrètement en vue de se montrer dignes des valeurs qu’elles prétendent défendre », insiste François Graas.

Amnesty International regrette enfin le mutisme de la DPR en ce qui concerne le transit d’armes. Pourtant, comme l’a montré l’actualité récente avec des révélations faisant état du transit de tonnes de matériel militaire à destination d’Israël par l’aéroport de Liège, le cadre légal wallon en la matière est pour le moins lacunaire. Par conséquent, Amnesty International appelle la prochaine majorité wallonne à apporter des réponses solides à ces lacunes, afin d’éviter que les infrastructures de la Région facilitent l’acheminement d’armes pouvant servir à commettre de violations des droits humains et du droit international humanitaire.

« Dans le cadre de la campagne électorale et suite aux élections, Amnesty International et d’autres organisations de la société civile ont partagé à plusieurs reprises des propositions qui permettraient un plus grand respect des droits humains dans le domaine du commerce des armes. Si nous avons bénéficié d’une écoute attentive, force est de constater que la nouvelle majorité wallonne a malheureusement fait le choix de prioriser les intérêts de l’industrie, alors même que les programmes des deux partis de la future majorité n’annonçaient pas d’affaiblissement du décret wallon sur le commerce des armes. »

« Dans la mesure où aucune mesure concrète n’a été prise à ce jour, il est encore temps pour le Mouvement réformateur et les Engagés de se ressaisir, en faisant des droits humains la boussole réelle de leurs politiques. Nous les appelons à le faire dès à présent ; dans le cas contraire, le message sera délivré régulièrement, avec force et sous toutes les formes possibles au cours des cinq prochaines années », conclut François Graas.

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