Commission africaine. Déclaration orale d’Amnesty International sur la situation des droits humains en Afrique

Déclaration publique

AFR 01/005/2007 (Public)

Nigéria

Amnesty International est préoccupée par la détérioration persistante de la situation en matière de sécurité dans la région du delta du Niger. En août 2007, des violences entre bandes armées ont fait plusieurs morts à Port-Harcourt (État de Rivers), dont plusieurs personnes qui n’étaient pas impliquées dans les affrontements. Une force de frappe conjointe (comprenant des membres de l’armée de terre, de la marine, des troupes aériennes et de la police mobile) est alors intervenue avec des hélicoptères et des mitrailleuses lors d’une opération qui a fait au moins 32 morts – des membres des groupes armés, des agents des forces de sécurité et de simples passants. Selon certaines informations, un grand nombre de personnes qui n’avaient rien à voir avec les affrontements ont par ailleurs été arrêtées. En février 2005 déjà, des opérations menées par la force conjointe à Odioma (État de Bayelsa) avaient fait au moins 17 morts et donné lieu à d’autres violations des droits humains, notamment des viols.

La récente flambée de violence à Port-Harcourt n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une série d’affrontements entre bandes armées dont la fréquence s’est accrue depuis les élections d’avril 2007 et qui ont fait de nombreuses victimes. Selon les informations recueillies, des responsables politiques ont, durant la campagne électorale, apporté leur soutien à des groupes de jeunes gens armés et incité à des actes de violence contre leurs adversaires politiques. La violence s’est poursuivie après le scrutin et Amnesty International craint qu’elle ne redouble dans les deux mois à venir, durant lesquels des élections locales doivent avoir lieu.

Les affrontements ont par ailleurs provoqué le départ de Port-Harcourt de plusieurs centaines de personnes qui redoutaient de nouvelles attaques. D’autres pourraient être contraintes de quitter leur foyer si le gouvernement de l’État de Rivers va jusqu’au bout du projet de démolition des habitations du quartier du front de mer, qui, selon l’ancien gouverneur, ont servi de refuge aux bandes à l’origine de la flambée de violence. Un nouveau gouverneur a été nommé le 26 octobre dans l’État de Rivers. Tout en maintenant, « pour l’instant », le couvre-feu imposé à Port-Harcourt depuis le mois d’août, il a assuré que le projet de démolition allait être suspendu.

Un rapport de la police nigériane dressant le bilan des cent premiers jours de fonction de l’actuel Inspecteur général de la police fait état de plus de 260 malfaiteurs armés tués par les forces de l’ordre dans tout le pays. D’autres informations donnent à penser que ce chiffre pourrait en fait être plus élevé. En octobre 2007, le directeur de la police du territoire de la capitale fédérale aurait donné aux policiers l’ordre de tirer à vue sur les individus qu’ils soupçonnent d’être des malfaiteurs armés.

La torture et les mauvais traitements restent monnaie courante au sein du système de sécurité du Nigéria. Des délégués d’Amnesty International se sont rendus dans 10 prisons du pays en juillet 2007 et ont recueilli de nombreux témoignages de détenus indiquant qu’ils avaient subi des tortures destinées à les pousser à passer des « aveux ».

Les différentes déclarations concordaient entre elles et les représentants de l’organisation ont constaté dans certains cas la présence de blessures tendant à confirmer les allégations des prisonniers. Les délégués se sont en outre entretenus avec des femmes qui leur ont indiqué avoir été torturées – et violées pour certaines – par des policiers lors de leur garde à vue.

Bien que le Nigéria ait ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [ONU], de très nombreux témoignages émanant de détenus, d’avocats, d’ONG et de représentants des pouvoirs publics – et relayés par la presse – indiquent que la police a couramment recours à la torture durant les interrogatoires de suspects. Des responsables de la police fédérale ont déclaré aux délégués d’Amnesty International qu’ils ont connaissance de l’existence de cas de torture et qu’ils « prennent des mesures contre ces méthodes d’interrogatoire anormales ».

Les constatations d’Amnesty International confirment celles du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture qui, à l’issue de sa visite au Nigéria en mars 2007, a conclu que la torture et les mauvais traitement étaient couramment pratiqués durant la garde à vue, notamment dans les services de police judiciaire, où ces agissements avaient un caractère systématique.

Amnesty International demande à la Commission africaine de condamner publiquement les violations des droits humains perpétrées par le gouvernement nigérian et les organes chargés du maintien de l’ordre public dans le pays. La Commission africaine doit également demander au Nigéria :

• de veiller au respect intégral et à la protection des droits humains inscrits dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

• d’enquêter sur toutes les allégations d’atteintes aux droits humains et, lorsque les moyens de preuve recevables sont suffisants, de poursuivre en justice les auteurs présumés des actes dénoncés ;

• de garantir un procès équitable dans un délai raisonnable aux personnes accusées d’une infraction pénale, conformément aux normes internationales et régionales d’équité et sans recourir à la peine de mort.

Zimbabwe

La situation des droits humains continue de se détériorer au Zimbabwe, malgré la médiation entreprise en mars par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Les autorités entravent toujours l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Des défenseurs des droits humains et d’autres détracteurs du gouvernement, en particulier des membres du principal parti d’opposition, le Movement for Democratic Change (MDC, Mouvement pour le changement démocratique), ont notamment été arrêtés arbitrairement, placés en détention et frappés au moment de leur interpellation et durant leur garde à vue. Amnesty International a par ailleurs reçu des informations crédibles, corroborées par des éléments médicolégaux, relatives à des cas de détenus torturés par des policiers. Enfin, la politique du gouvernement plonge la population dans une misère chaque jour plus grande.

En février, la police a interdit pour trois mois les rassemblements publics dans certains quartiers de Harare, une mesure qui est de toute évidence contraire aux dispositions de la Loi relative à l’ordre public et à la sécurité prévoyant qu’une telle interdiction ne peut être imposée que pour une période n’excédant pas un mois.

En signe de protestation contre l’interdiction, un collectif d’organisations de la société civile appelé Save Zimbabwe Campaign a organisé un rassemblement de prière le 11 mars à Highfield, un faubourg pauvre de Harare. Quarante-neuf personnes ont été arrêtées à cette occasion, parmi lesquelles se trouvaient des dirigeants du MDC, Morgan Tsvangirai et Arthur Mutambara, et les militants Sekai Holland et Grace Kwinjeh. Des responsables d’organisations de la société civile ont également été appréhendés, notamment le président de la National Constitutional Assembly (NCA, Assemblée constitutionnelle nationale), Lovemore Madhuku.

Brutalisés durant leur garde à vue au poste de police de Machipisa, plusieurs militants, dont Morgan Tsvangirai, Sekai Holland, Grace Kwinjeh et Lovemore Madhuku, ont subi des blessures graves – fractures et lacérations profondes, en particulier. Le même jour, un membre de la NCA, Gift Tandare, a été abattu par des policiers. Les forces de l’ordre ont également ouvert le feu lors des funérailles de celui-ci, blessant grièvement deux personnes.

La police a arrêté une trentaine de membres du MDC le 28 mars et aux alentours de cette date, parmi lesquels le député Paul Madzore. Les personnes appréhendées, qui ont passé entre deux et trois mois en détention, ont été accusées d’avoir commis des actes de sabotage, notamment des attentats à la bombe contre des postes de police, et d’avoir suivi un entraînement militaire en Afrique du Sud. Plusieurs ont été torturées par la police. En mai, la police a appréhendé deux avocats des détenus du MDC, Andrew Makoni et Alec Muchadehama, qui sont restés privés de liberté durant trois jours bien qu’un tribunal ait jugé que leur arrestation était illégale.

En juin, le gouvernement a ordonné arbitrairement une baisse des prix. Cette décision a provoqué des réactions de panique dans les magasins et une pénurie des produits de première nécessité, notamment du maïs, l’aliment de base. Les commerçants se sont plaints d’être obligés de vendre à perte, et plus de 7 000 d’entre eux ont été arrêtés et inculpés d’infraction à la réglementation des prix.

Nous demandons à la Commission africaine de condamner publiquement le non-respect persistant par le gouvernement du Zimbabwe des obligations en matière de droits humains qu’il a souscrites en ratifiant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en particulier l’utilisation courante par la police de la torture et des traitements inhumains et dégradants contre des défenseurs des droits humains et des opposants politiques. Nous demandons également à la Commission africaine de faire le bilan de la mise en œuvre par le Zimbabwe des recommandations qu’elle avait émises à la suite de sa mission dans le pays en juin 2002.

République démocratique du Congo

Amnesty International craint vivement que l’escalade de la violence dans la province du Nord-Kivu, où s’affrontent les forces gouvernementales et les fidèles du général dissident Laurent Nkunda, ne donne lieu à de nouveaux massacres interethniques et à d’autres atteintes aux droits humains.

Des personnes ayant fui les combats ont signalé des viols et des homicides de civils à Amnesty International. Le recrutement et l’utilisation d’enfants par les groupes armés se poursuivent dans le Nord et Sud-Kivu.

Plus de 176 000 personnes ont été contraintes de quitter leur foyer ces dernières semaines. Amnesty International est convaincue que la poursuite des violences dans l’est de la RDC découle directement de ce que le gouvernement de ce pays et la communauté internationale n’ont rien fait pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient systématiquement les auteurs d’atteintes aux droits humains.

Ancien haut responsable du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), Laurent Nkunda est accusé de crimes de guerre, en particulier à Kisangani en 2002 et à Bukavu en 2004. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le gouvernement de la RDC en septembre 2005. Les Nations unies l’ont accusé d’avoir violé l’embargo sur les armes à destination de la RDC. À ce jour, ni le gouvernement de la RDC ni les Nations unies n’ont mené d’opération pour l’arrêter.

Il a pu jusqu’à maintenant se déplacer librement dans certaines parties du Nord-Kivu et au Rwanda. Laurent Nkunda prétend que ses forces sont là pour protéger la population tutsie de la province contre les attaques des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais insurgé. Il reproche au gouvernement de la RDC de ne rien faire pour chasser les FDLR de l’est de la RDC. Les FDLR sont également à l’origine de graves atteintes aux droits humains commises en RDC.

Le gouvernement de la RDC a récompensé d’autres hommes soupçonnés d’être des criminels de guerre en leur donnant des postes de commandement dans l’armée. Il y a peu d’espoir que l’armée gouvernementale parvienne à protéger les civils de manière professionnelle et impartiale si rien n’est fait pour suspendre ces personnes de leur poste et les juger. La communauté internationale, qui fournit une aide financière et technique considérable au programme de réforme de la sécurité en RDC, doit insister sur cette nécessité.

La police, les services de renseignements et l’armée de la RDC ne cessent de commettre des violations graves des droits humains : arrestations arbitraires, actes de torture et autres mauvais traitements, viols, disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires et utilisation excessive de la force entraînant la mort.

Amnesty International demande à la Commission africaine de condamner publiquement les violations persistantes des droits humains et du droit humanitaire perpétrées par les autorités de la RDC. L’organisation engage aussi la Commission africaine à demander au gouvernement de la RDC :

• de veiller à ce que toutes les forces impliquées dans les combats respectent le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains, cessent d’attaquer les civils et permettent aux agences humanitaires de venir en aide à tous les civils pris dans les violences ;

• de lancer immédiatement une enquête indépendante sur les arrestations, les actes de torture et les meurtres perpétrés de manière systématique par les forces de sécurité contre les opposants politiques en RDC ;

• de mettre un terme à l’impunité et traduire en justice les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains.

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