Commission africaine. Déclaration orale d’Amnesty International sur les expulsions forcées

Déclaration publique

AFR 01/013/2006

La pratique des expulsions forcées a atteint des proportions épidémiques en Afrique. Plus de trois millions d’Africains auraient été expulsés de force de chez eux depuis 2000. Amnesty International considère que les expulsions forcées constituent l’une des violations des droits humains les plus répandues et les moins reconnues en Afrique.

Bien que la pratique des expulsions forcées constitue une atteinte flagrante aux droits humains au regard du droit international, les gouvernements continuent, dans toute l’Afrique, d’expulser de chez elles des centaines de milliers de familles chaque année. La conséquence de ces expulsions forcées est que de nombreuses personnes se retrouvent sans domicile après avoir perdu tout ce qu’elles possédaient, sans indemnisation d’aucune sorte et/ou déplacées de force loin de tout approvisionnement en eau potable, nourriture, installations sanitaires, moyens de subsistance et accès à l’éducation en violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces expulsions forcées s’accompagnent souvent d’autres violations des droits fondamentaux garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – le recours à la force excessive par ceux qui sont chargés d’appliquer les décisions d’expulsions, les arrestations arbitraires, les coups, les viols, actes de torture et même homicides sont courants.

On estime à environ deux millions le nombre de personnes expulsées de force de chez elles depuis 2000 au Nigéria. À plusieurs reprises, des quartiers entiers de logements précaires ont été rasés, laissant sans ressources des enfants, des femmes et des hommes.

Au Soudan, environ 1 800 000 personnes déplacées internes, chassées de chez elles par le conflit prolongé et la marginalisation, résident autour de Khartoum. Plus de 12 000 personnes ont été expulsées de force du camp de Dar Assalaam en août 2006. La majorité des personnes expulsées étaient des personnes déplacées précédemment en raison du conflit au Soudan et installées dans des camps dans et autour de la capitale Khartoum. Les autorités ont expulsé de force des milliers de personnes de ces camps, les ré-installant dans des zones désertiques sans accès à l’eau potable, sans nourriture ni produits de première nécessité.

Lors d’une opération qui a suscité une large réprobation, le gouvernement du Zimbabwe a expulsé environ 700 000 personnes de leurs foyers ou de leurs commerces, parfois des deux, durant l’année 2005. À ce jour, le gouvernement n’a encore pris aucune mesure effective concernant le sort des personnes ainsi déplacées.

À Luanda, en Angola, au moins dix mille familles ont été expulsées de force de chez elles et ont vu leurs maisons démolies depuis 2001. Beaucoup de ces familles, qui n’ont reçu aucune indemnisation, se sont fait confisquer leur propriété par ceux-là mêmes qui étaient venus appliquer la procédure d’expulsion ; la plupart d’entre elles sont toujours sans abri.

Au Kenya, environ 70 000 personnes ont été expulsées de force de chez elles dans des zones forestières depuis 2005 et au moins 20 000 personnes ont été expulsées de force dans ou autour de Nairobi depuis 2000.

Au Ghana, plus de 7 000 personnes se sont retrouvées à la rue après avoir été expulsées de force par la Division en charge de la protection du gibier et de la vie sauvage du parc national de Digya en mars et avril 2006. Les expulsions ont cessé en avril après le naufrage d’un bateau, transportant plus de 150 personnes expulsées, qui a fait une dizaine de morts. Les personnes qui continuent d’habiter dans le parc sont toujours sous la menace d’une expulsion forcée. Quelque 800 personnes ont également vu leurs maisons détruites dans Legion Village, à Accra, en mai 2006, tandis qu’environ 30 000 personnes du quartier d’Agbogbloshie à Accra sont menacées d’expulsion forcée depuis 2002.

En Guinée équatoriale, au moins 650 familles ont été expulsées de force de chez elles depuis 2004, lorsque le gouvernement a entamé un programme de rénovation urbaine à Malabo et Bata. Ces familles possédaient des titres de propriété. Des milliers d’autres vivent toujours sous la menace d’une expulsion.

Bine que la jurisprudence de la Commission africaine aille dans le sens d’une interdiction de ces expulsions forcées, il n’existe aucune déclaration directe de la Commission concernant spécifiquement ce sujet. Au vu de la gravité et de l’échelle du phénomène des expulsions forcées en Afrique, Amnesty International encourage la Commission africaine à adopter une résolution condamnant la pratique des expulsions forcées en Afrique et la qualifiant de violation grave de la Charte africaine. Amnesty International suggère également à la Commission africaine d’édicter un certain nombre de principes concernant la prévention des expulsions forcées en Afrique et la protection des personnes contre cette pratique, en s’appuyant sur la Charte africaine, la jurisprudence de la Commission, le droit international relatif aux droits humains et les normes élaborées par les experts et organes des Nations unies en charge de la question des droits humains.

En particulier, Amnesty International recommande que les États parties à la Charte africaine veillent à ce que toutes les expulsions respectent les principes suivants :
  donner aux personnes concernées l’occasion d’une consultation réelle ;
  accorder un délai approprié et raisonnable (au moins 90 jours) à toutes les personnes concernées par une expulsion ;
  informer les habitants concernés des expulsions envisagées et, lorsque cela est possible, des projets prévus en lieu et place de leurs habitations, dans un délai raisonnable ;
  faire en sorte que des responsables du gouvernement ou leurs représentants soient présents durant les expulsions, particulièrement lorsque celles-ci concernent des groupes entiers ;
  communiquer l’identité de toutes les personnes chargées d’appliquer la procédure d’expulsion ;
  ne pas procéder à des expulsions par mauvais temps ou de nuit, sauf en cas de consentement des personnes concernées ;
  aucune expulsion ne devrait se traduire par une mise à la rue des personnes concernées ; une juste indemnisation ainsi qu’une solution d’hébergement doivent leur être proposées ;
  les personnes expulsées doivent avoir un accès sûr et sans danger à la nourriture, à l’eau potable, à des installations sanitaires ainsi qu’à des soins de santé ;
  des recours légaux contestant les expulsions doivent être prévus, notamment une disposition prévoyant une aide juridique aux personnes dans le besoin ou souhaitant demander réparation devant un tribunal.

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