Condamnation de José Padilla : justice est-elle vraiment rendue ?

Déclaration publique

AMR 51/008/2008

Alors que José Padilla commence à purger sa peine de dix-sept ans et quatre mois d’emprisonnement, après avoir été reconnu coupable en 2007 d’implication dans un vaste complot lié au terrorisme, Amnesty International demeure préoccupée par divers éléments de l’affaire, tant en ce qui concerne sa détention militaire que l’équité de son procès pénal.

L’organisation déplore que nul n’ait à répondre de la détention sans inculpation ni jugement de José Padilla par l’armée américaine pendant trois ans et demi. Au cours de cette période, il a été soumis à un isolement extrême et à d’autres mauvais traitements pouvant constituer des actes de torture. Le gouvernement des États-Unis ayant refusé de présenter lors du procès les informations obtenues durant sa détention militaire, susceptibles d’être contestées au motif qu’elles avaient été extorquées sous la contrainte, le traitement réservé à José Padilla n’a pas été examiné au cours de la procédure.

Des faits non contestés relatifs à sa détention par l’armée indiquent qu’il a été victime de plusieurs violations graves du droit international – détention arbitraire prolongée et détention au secret notamment (qui constitue en soi une forme de mauvais traitement). Pour ces agissements, et d’autres atteintes probables à ses droits humains, dont la torture, José Padilla a droit à réparation. La condamnation pour crimes graves prononcée au terme de son procès ne saurait justifier le fait d’esquiver ces motifs de préoccupation et de permettre au gouvernement américain de bafouer le droit international en toute impunité.

Amnesty International demande que toute personne contre laquelle des preuves suffisantes justifient un procès pour des infractions liées au terrorisme dûment définies comparaisse devant un tribunal civil de droit commun dans le respect d’une procédure équitable. Si José Padilla a finalement été présenté devant une instance judiciaire, l’organisation estime que de sérieux doutes planent sur l’équité de son procès.

Bien que le tribunal de première instance ait statué que son traitement aux mains de l’armée ne relevait pas de la procédure pénale, Amnesty International pense qu’il est impossible d’ignorer le contexte de cette détention lors même que certaines questions fondamentales sont examinées, notamment la présomption d’innocence, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et sa capacité effective à contribuer à sa défense.

À partir du moment où il a été transféré sous l’autorité de l’armée en tant que « combattant ennemi » en juin 2002, et tout au long de sa détention militaire, José Padilla a été surnommé dans le monde entier le « dirty bomber » : dans leurs déclarations publiques, des membres du gouvernement américain le décrivaient comme un agent d’Al Qaïda parfaitement entraîné ayant fomenté le projet de faire exploser une « bombe sale », ou bombe radiologique, sur une ville des États-Unis. Lorsqu’il a finalement été inculpé devant un tribunal fédéral en novembre 2005, l’acte d’accusation ne faisait pas mention d’un tel complot. Accusé conjointement avec deux autres prévenus, José Padilla avait été inculpé de conspiration en vue de tuer, enlever et mutiler des personnes dans un pays étranger et en vue de fournir un soutien matériel à une organisation terroriste.

En 2007, lors de son procès, auquel un observateur d’Amnesty International a partiellement assisté, les procureurs n’ont présenté aucun élément prouvant que José Padilla avait participé à la planification ou à la réalisation d’un complot terroriste ou d’un acte violent particulier. Le principal élément à charge était un formulaire d’inscription qu’il avait, selon les procureurs, rempli en vue de se rendre dans un camp d’entraînement d’Al Qaïda en Afghanistan en 2000. Le ministère public a également produit des éléments extraits de conversations téléphoniques. Sur des milliers de conversations interceptées, seules sept incluaient la voix de José Padilla. En outre, il n’a pas été accusé d’utiliser les prétendus codes pour le djihad violent présentés par l’accusation comme éléments à charge contre ses coaccusés. Le jury a déclaré les trois accusés coupables de tous les chefs d’inculpation après avoir délibéré pendant moins de deux jours.

Selon Amnesty International, les accusations publiques lancées pendant des années contre José Padilla, qualifié de dangereux terroriste lié à Al Qaïda, ont sans doute porté atteinte de manière irréversible à sa présomption d’innocence, et ce en dépit de la sélection des jurés. Les déclarations préjudiciables faites hors de la salle d’audience nuisent davantage encore lorsque les preuves présentées sont relativement minces – ce qui était le cas dans cette affaire. Le fait qu’il soit jugé avec deux autres accusés – Adham Amin Hassoun et Kifah Wael Jayyousi – lui a, ou leur a, sans doute également porté préjudice. Ils avaient demandé en vain que leurs affaires soient jugées séparément.

Bien que José Padilla ait été déclaré mentalement apte à comparaître devant un tribunal, Amnesty International estime que son état mental demeure très préoccupant, notamment du fait de sa détention par l’armée, et se demande dans quelle mesure cela a compromis sa capacité à contribuer à sa défense. En effet, des experts ont affirmé lors d’une audience préliminaire qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique réduisant sa capacité à s’impliquer efficacement avec ses avocats.

Au titre de la loi américaine, le test, limité, sur la capacité à être jugé n’évalue que les facultés de base de l’accusé à comprendre la procédure et à communiquer avec ses avocats. Les seuls troubles mentaux ne suffisent pas à donner suite à une demande.

Nul ne conteste que José Padilla a été détenu dans un isolement presque total pendant quarante-trois mois, privé de la possibilité de consulter un avocat pendant vingt-et-un mois, soumis à de longues périodes de privation sensorielle (notamment dans une petite cellule aux fenêtres calfeutrées, sans horloge ni calendrier), parfois privé de son matelas et de son Coran, et soumis à des bruits extrêmes et des lumières aveuglantes pendant certaines périodes. Il a enduré des interrogatoires répétés et ce régime, selon un document officiel, avait pour objectif de le briser et de le rendre dépendant de ses gardiens.

Les tentatives visant à soulever d’autres questions, comme le droit de José Padilla d’être jugé dans un délai raisonnable, se sont heurtées à la décision d’un tribunal fédéral de district selon laquelle, aux fins des poursuites pénales, son incarcération a débuté fin 2005 lorsqu’il a été inculpé d’infractions pénales. Amnesty International considère cette décision inappropriée, puisqu’en l’occurrence José Padilla a initialement été arrêté par des agents fédéraux dans un aéroport civil pour des motifs qui, dès le départ, l’exposaient à des poursuites pénales, puis a été retiré pendant des années du système judiciaire, avant d’être inculpé.

Lorsque José Padilla a été condamné, son procès a été salué comme la preuve que les poursuites pour crimes liés au terrorisme pouvaient être menées à bien devant les tribunaux fédéraux de droit commun. Tout en soutenant pleinement cette notion par principe, Amnesty International doute que justice ait été rendue ou soit considérée comme ayant été rendue dans cette affaire.

En faisant de José Padilla un « combattant ennemi » et en le considérant comme une source potentielle d’informations à soumettre à l’isolement et aux interrogatoires – et non comme une personne accusée d’une infraction pénale –, le gouvernement américain a porté préjudice au système judiciaire et bafoué des principes fondamentaux relatifs aux droits humains. Amnesty International continuera de suivre l’affaire de José Padilla en appel. Elle demande aux États-Unis d’enquêter sur les atteintes aux droits humains qu’il a subies avant son procès et de lui accorder réparation.

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