Au moins 300 de ces condamnations ont été prononcées par des tribunaux militaires depuis que le gouvernement a annoncé, en mars 2024, son intention de reprendre les exécutions [1]. Parmi les condamnés figurent 25 soldats accusés d’avoir « fui l’ennemi », condamnés par un tribunal militaire dans la ville de Butembo (est du pays) [2], 26 personnes accusées d’appartenir à un groupe armé soutenu par le Rwanda, condamnées par des tribunaux militaires dans la capitale, Kinshasa [3], 37 personnes, dont des ressortissants des États-Unis, du Canada, de la Belgique et du Royaume-Uni, accusées d’avoir « tenté de renverser le gouvernement » [4], et plus de 170 membres présumés de bandes criminelles communément connues sous le nom de « kuluna » à Kinshasa.
Les autorités de la RDC doivent immédiatement renoncer à tout projet d’exécution, et se préoccuper du recours croissant aux condamnations à mort, notamment en instaurant un moratoire officiel sur l’application de la peine capitale et en prenant des mesures concrètes pour faire avancer le processus législatif en cours, dans une optique d’abolition totale de ce châtiment.
Amnesty International n’a enregistré aucune exécution en RDC depuis 2003. Cependant, depuis l’annonce de mars 2024, les condamnations à la peine capitale ont été multipliées par 10 par rapport aux 33 recensées par l’organisation à la fin de l’année 2023.
Le gouvernement de la RDC a justifié son intention déclarée de reprendre les exécutions par le besoin de lutter contre la « trahison » au sein de l’armée à un moment où la RDC est confrontée à une intensification des conflits armés, en particulier avec la résurgence du groupe armé Mouvement du 23 mars (M23) soutenu par le Rwanda, et la nécessité de mettre fin à la violence meurtrière des gangs dans plusieurs villes, notamment la capitale, Kinshasa [5]. Cela reprend l’idée fausse selon laquelle la peine capitale est nécessaire afin de garantir la sécurité nationale, et de veiller à ce que les personnes et les communautés soient en sureté. Il n’existe pourtant aucun élément convaincant prouvant que la peine de mort ait un effet dissuasif spécifique [6]. Les gouvernements qui maintiennent la peine de mort affirment souvent que ce châtiment cruel est une « solution rapide » face à la criminalité ou à d’autres maux sociaux, mais son application est le symptôme d’une culture de la violence qui est rarement efficace pour répondre aux préoccupations en matière de sécurité publique et de criminalité.
Selon le droit international et les normes associées, l’abolition de la peine de mort est depuis longtemps l’objectif à atteindre dans les pays où elle existe encoreh [7]. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, l’organe d’experts indépendants chargé d’interpréter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la RDC est partie, a estimé que la peine de mort ne peut être conciliée avec le plein respect du droit à la vie [8]. Le Comité a en outre souligné que l’abolition de la peine de mort est à la fois souhaitable et nécessaire pour renforcer la dignité humaine et les droits humains [9].
En vertu du droit international, les États n’ayant pas encore aboli la peine de mort ne peuvent l’appliquer que de manière non arbitraire. Le Comité des droits de l’homme a souligné que la notion d’« arbitraire » doit être entendue au sens large, comme englobant des éléments relatifs au caractère inapproprié, injuste et imprévisible de l’acte visé et au principe de légalité tout comme des considérations de raisonnabilité, de nécessité et de proportionnalité [10].
« La peine capitale est la négation absolue des droits humains et bafoue le droit à la vie »
Amnesty International a déjà fait part de ses préoccupations concernant de nombreux problèmes liés à l’administration de la justice en RDC, notamment de graves violations du droit à un procès équitable. Le président Tshisekedi lui-même s’est plaint publiquement à plusieurs reprises des dysfonctionnements du système de justice du pays, le qualifiant même de « malade ». Les autorités ont en particulier continué à utiliser les tribunaux militaires pour juger des civil·e·s et ouvrir des poursuites contre des faits qui ne sont pas de nature purement militaire.
En vertu du droit international et régional relatif aux droits humains et des normes associées, le recours aux tribunaux militaires doit se limiter aux procès du personnel militaire pour des infractions à la discipline militaire [11]. Les procès militaires de civil·e·s posent problème, car les procureurs et les juges sont des membres des forces armées en service actif et sont soumis à leur hiérarchie ; ils manquent par conséquent d’indépendance et d’impartialité [12]. Les mécanismes de protection des droits humains sont catégoriques sur le fait que les tribunaux militaires ne doivent pas être dotés de la compétence requise pour prescrire la peine de mort [13].
La peine capitale est la négation absolue des droits humains et bafoue le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que l’indique l’évolution du droit international relatif aux droits humains et des normes connexes, et que le prévoient plusieurs traités auxquels la RDC est partie18.
Amnesty International s’oppose à la peine de mort dans tous les cas, sans exception, quelles que soient la nature ou les circonstances du crime, indépendamment des questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence ou à toute autre situation de la personne condamnée, et quelle que soit la méthode d’exécution employée par l’État.
En octobre, l’Assemblée générale des Nations unies a élu la RDC membre du Conseil des droits de l’homme pour la période 2025-2027. Dans une déclaration à l’adresse du Conseil, le vice-président de l’Assemblée nationale de la RDC a affirmé que l’Assemblée s’efforçait d’éviter tout abus en relation avec la décision du gouvernement de reprendre les exécutions [14]. Afin que la RDC tienne cette promesse et respecte son engagement à protéger et promouvoir les droits humains en sa qualité de membre du Conseil, Amnesty International demande au président Tshisekedi de mettre fin immédiatement, publiquement et sans ambiguïté à tout projet d’exécution. Les autorités de la RDC doivent instaurer un moratoire officiel sur l’application de la peine capitale, dans l’attente du processus législatif en vue de son abolition.