Le 2 mai, la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen a annoncé un programme d’assistance d’un milliard d’euros à destination du Liban, dédié en partie au renforcement des services de sécurité libanais afin qu’ils puissent maîtriser le flux d’immigration clandestine depuis le Liban vers l’Europe via la Méditerranée. Quelques jours plus tard, le 8 mai, la Direction générale de la sûreté générale du Liban a annoncé des mesures étendues à l’encontre des réfugiés syriens, dont des restrictions sur l’obtention de permis de séjour et de travail dans le pays, et a intensifié les descentes, les expulsions collectives, les arrestations et les expulsions du territoire. Il faut mettre en place des mécanismes robustes de conditionnalité et de suivi afin de garantir que les fonds alloués aux autorités libanaises profitent aux communautés qui en ont besoin et ne contribuent pas à des violations des droits humains.
« Une nouvelle fois, la présidente Ursula Von Der Leyen fait primer son souhait de maîtriser à n’importe quel prix [1] le flux des réfugiés vers l’Europe sur les obligations qui incombent à l’UE de protéger les réfugiés fuyant les conflits ou les persécutions. Il semble que cela encourage les autorités libanaises à intensifier leur campagne ciblant les réfugiés, à coups de discours de haine, d’expulsions forcées et de mesures étouffantes en matière de séjour et de travail, a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
« Les pays qui accueillent des réfugiés doivent faire pression sur les autorités libanaises pour qu’elles cessent immédiatement leur répression sans précédent contre les réfugiés syriens »
« Toutefois, le Liban reste le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugié·e·s par habitant et s’efforce de les assister dans un contexte de grave crise économique. En signe de solidarité, les États européens doivent accroître le nombre de réinstallations dans des pays européens de réfugiés syriens résidant au Liban.
« Les pays donateurs présents à la conférence humanitaire annuelle pour la Syrie et les pays qui accueillent des réfugiés doivent faire pression sur les autorités libanaises pour qu’elles cessent immédiatement leur répression sans précédent contre les réfugiés syriens et lèvent les mesures abusives visant à les pousser à quitter le pays, malgré les risques étayés auxquels ils pourraient être confrontés à leur retour. »
Des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, continuent de recueillir des informations attestant que les forces de sécurité syriennes et les milices affiliées au gouvernement se livrent à des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées et des homicides à l’encontre des réfugiés qui rentrent en Syrie.
« Que pouvons-nous faire d’autre que nous cacher ? »
Au cours des deux derniers mois, les autorités libanaises avaient déjà commencé à multiplier les discours de haine à l’égard des réfugiés et adopté des mesures restrictives supplémentaires destinées à les pousser à repartir chez eux.
Amnesty International s’est entretenue avec huit réfugiés, qui ont raconté qu’ils vivent dans la peur, évitent de sortir de leur logement, d’aller au travail ou d’envoyer leurs enfants à l’école. Tous ont demandé à garder l’anonymat par peur des représailles.
Des municipalités ont annoncé des couvre-feux discriminatoires à l’encontre des réfugiés syriens et ont fermé des dizaines de petits commerces à travers le Liban employant des Syriens ou gérés par des Syriens. La Direction générale de la sûreté générale [2] a suspendu les procédures d’octroi ou de renouvellement des permis de séjour sur présentation d’un contrat de location de logement, sur parrainage d’un ressortissant libanais ou via des garanties financières. Elle a également mis en garde les citoyens libanais contre le fait d’employer, d’héberger ou de fournir un logement à des réfugiés syriens ne disposant pas d’un permis de séjour au Liban, ajoutant que les établissements et les magasins qui appartiennent, co-appartiennent, ou sont gérés par des réfugiés syriens seront fermés, s’ils ne respectent pas les anciennes et les nouvelles réglementations de la Direction générale de la sûreté générale.
Cet organe a également repris l’organisation de retours soi-disant « volontaires et sûrs » de réfugiés syriens. Plus de 400 d’entre eux ont été rapatriés lors d’un voyage le 14 mai.
« J’ai reçu un avis d’expulsion, ma femme est dans le flou et mes fils n’ont pas le droit de renouveler leurs permis de séjour par l’intermédiaire de leurs employeurs. Que pouvons-nous faire d’autre que nous cacher ? »
Un Syrien qui avait entamé la procédure pour renouveler son permis de séjour et ceux de sa famille, en apprenant les nouvelles restrictions imposées par la Direction générale, a indiqué à Amnesty International : « À ce stade-là, j’ai cessé de me rendre dans les bureaux de la Direction générale, et mon épouse et moi-même avons fait profil bas. Nous ne travaillons pas, nous avons essayé de faire les choses dans la légalité, mais nous avons plusieurs fois échoué. Des agents sont venus chez nous et ont demandé où nous étions, au fil des ans. Pas une seule fois, ils n’ont trouvé quelque chose susceptible de mettre en péril notre statut. Pourtant, j’ai reçu un avis d’expulsion, ma femme est dans le flou et mes fils n’ont pas le droit de renouveler leurs permis de séjour par l’intermédiaire de leurs employeurs. Que pouvons-nous faire d’autre que nous cacher ? »
Au moins 83 % des réfugiés syriens [3] n’ont pas accès au statut de résident, ce qui les expose aux arrestations et aux expulsions ; 90 % des réfugiés syriens au Liban vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Un autre Syrien qui tient une petite épicerie a déclaré que des agents de la Direction générale de la sûreté générale sont récemment venus à son magasin et lui ont ordonné de le fermer et de quitter le pays. « Je ne peux pas cesser de travailler. Je dois payer mon loyer au propriétaire du magasin et le coût des produits que je vends aux marchands », a-t-il expliqué.
La Syrie n’est pas un pays sûr
Des rapports de l’ONU [4] , de l’UE [5] et d’organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, concluent tous que la Syrie n’est toujours pas un pays sûr pour y retourner et que les réfugiés qui rentrent risquent de subir des violations des droits humains, notamment des actes de torture et de persécution. En outre, depuis quelques mois, la Syrie connaît la pire escalade de violence depuis 2020.
Une Syrienne mère de deux enfants a déclaré : « Je jure que s’il y avait une zone sûre en Syrie, je serais la première à y retourner ! Par sûre, j’entends une zone qui ne soit pas sous le contrôle du régime [syrien]. Le régime est dangereux pour nous. Nombreux sont ceux qui, comme nous, si on leur accorde la possibilité de retourner dans les régions non contrôlées par le régime, y retournent en courant, sans qu’il soit nécessaire d’organiser des rapatriements ! Si j’avais un seul pour-cent d’espoir que mon époux et moi-même soyons en sécurité à notre retour, je jure que nous ne resterions pas ici dans des conditions aussi difficiles. »
« Les organisations de défense des droits humains sont toutes d’accord : aucune région de Syrie n’est sûre pour le retour des réfugié·e·s. Les autorités libanaises doivent cesser d’expulser sommairement des réfugiés vers un lieu où ils risquent de subir des violations, lever les restrictions et mettre fin à leur virulente campagne. De même, les pays de l’UE ont l’obligation légale et morale de s’abstenir de renvoyer de force des bateaux transportant des migrants vers le Liban », a déclaré Aya Majzoub.