Index AI : AFR 22/002/2003
« La force seule, particulièrement celle qui ne tient pas compte des droits
humains fondamentaux, ne pourra mettre fin au conflit armé et apporter la
stabilité à la République du Congo », a déclaré Amnesty International ce
mercredi 9 avril dans un nouveau rapport.
« Pour que le Congo avance sur le chemin de la paix, les dirigeants
politiques et militaires doivent comprendre qu’il ne saurait y avoir de
tranquillité durable ni de progrès social et économique lorsque les droits
humains ne sont pas respectés », a déclaré l’organisation dans son rapport
sur les ombres du passé de la République du Congo.
Le rapport s’appuie sur des informations rassemblées par des délégués
d’Amnesty International lors d’une visite en 2002 ; il s’intéresse aux
raisons non-élucidées du ciblage délibéré, par des forces gouvernementales
et des miliciens « Ninjas », de civils non-armés, ayant entraîné la mort de
dizaines de personnes et le déplacement de milliers d’autres. Le rapport
pose aussi la question de l’échec du haut-commissaire des Nations unies pour
les réfugiés (HCR) qui n’a pas su prendre de mesures adéquates pour empêcher
les atteintes aux droits des demandeurs d’asile et des réfugiés en
République du Congo et, de façon plus générale, dans la région centrale de
l’Afrique.
L’impunité régnante est toujours au cœur des violences et des
insurrections armées. Les gouvernements congolais successifs ont cherché à
garder le pouvoir et à bâtir une stabilité politique dans un contexte de
graves atteintes aux droits humains perpétrées par leurs propres forces et
celles de leurs opposants armés », a déclaré Amnesty International.
Toutes les parties au conflit sont responsables de graves atteintes aux
droits humains fondamentaux, homicides illégaux commis sans discrimination,
« disparitions », enlèvements, actes de torture, viols et autres mauvais
traitements. Parmi les autres atteintes aux droits fondamentaux pour l’année
2002 ont été répertoriés des déplacements forcés de populations civiles
locales non armées ; certaines auraient été attaquées, tuées ou blessées par
des forces gouvernementales disposant d’hélicoptères de combat.
Selon des témoignages rassemblés par Amnesty International au cours de la
visite de ses délégués au Congo en 2002, des membres des forces de sécurité
auraient fait « disparaître » à la mi-1999 plusieurs centaines de citoyens
congolais ayant fui Brazzaville fin 1998. Selon les témoignages de
survivants, de proches des victimes et de groupes locaux de défense des
droits humains, au moins 353 réfugiés regagnant Brazzaville à leur retour de
la République Démocratique du Congo (RDC) en mai 1999 auraient été
sommairement exécutés et on se serait débarrassé de leurs corps.
Un survivant des « disparitions » qui se fait appeler Brigadier afin de
préserver son anonymat pour des raisons de sécurité, a déclaré avoir été
arrêté avec au moins cinquante autres personnes, à leur arrivée à
Brazzaville en mai 1999. Conduits par des responsables militaires de la
présidence au quartier général de la police, ils ont été interrogés sur
leur liens avec les miliciens « Ninjas ». On les a ensuite emmenés dans un
ancien palais présidentiel où ils ont été violemment battus ; puis on les a
conduits dans un bâtiment situé au bord du fleuve Congo, où ils ont vu des
membres des forces gouvernementales congolaises et angolaises ainsi que
d’anciens combattants rwandais hutus armés en exil et des mercenaires blancs
à la solde du gouvernement congolais.
Les détenus ont ensuite été emmenés dans une pièce dans laquelle se
trouvaient environ 200 corps ; on leur a ordonné de faire des piles de 25
corps chacune. Les corps auraient été ensuite arrosés d’essence et brûlés
et les cendres jetées dans le fleuve. Pendant plusieurs jours, jusqu’au 24
mai, les détenus auraient reçu l’ordre de brûler des corps.
Les homicides se poursuivent. À partir de mars 2002, des dizaines de civils
non armés ont été tués et des dizaines de milliers d’autres déplacés ; des
dizaines de milliers de personnes ont été privées de toute aide humanitaire,
du fait des affrontements armés entre forces gouvernementales et combattants
Ninjas. À Brazzaville seulement, plus de 170 personnes ont été tuées au
cours des premiers mois de 2003, parmi lesquelles des civils non armés.
Amnesty International est sérieusement préoccupée par le fait que le
gouvernement congolais n’a pris aucune mesure adéquate pour établir la
responsabilité et traduire en justice les personnes soupçonnées d’être
responsables de ces atteintes aux droits humains fondamentaux. La justice
n’a pas non plus protégé les citoyens congolais face aux arrestations
arbitraires, aux détentions illégales et aux actes de torture qui ont, dans
certains cas, provoqué la mort des victimes.
« Seule une enquête indépendante et impartiale permettrait d’établir toute
la vérité et de mesurer l’importance de l’implication de fonctionnaires du
gouvernement et de membres des forces de sécurité aux différents échelons de
l’administration congolaise », a déclaré Amnesty International.
À de nombreuses reprises au cours de ces dernières années, le HCR a failli à
son mandat qui est d’offrir protection aux demandeurs d’asile et aux
réfugiés. L’agence pour les réfugiés a parfois facilité le rapatriement vers
leur pays d’origine de réfugiés, sans garantie aucune concernant la sécurité
et la dignité des personnes à leur arrivée dans leur pays d’origine.
Le HCR n’a informé ni la communauté internationale ni les réfugiés sur les
risques encourus par ceux qui étaient rapatriés et n’a pas exigé que des
mesures soient prises pour empêcher les refoulements. Le manque de
transparence du dispositif d’assistance et de protection des demandeurs
d’asile et des réfugiés a fait naître un climat de suspicion, voire
d’hostilité envers le HCR et d’autres organisations humanitaires au Congo.
Les autorités congolaises, ainsi que les dirigeants de groupes politiques
armés, sont les premiers responsables de la promotion et de la protection
des droits humains fondamentaux dans leur pays. Cependant, ils ont besoin du
soutien, de l’encouragement et de la coopération de la communauté
internationale, y compris de gouvernements étrangers et d’organisations
intergouvernementales.
Amnesty International appelle le gouvernement à prendre des mesures
immédiates pour empêcher de nouvelles exécutions extrajudiciaires et
d’autres atteintes aux droits humains fondamentaux. Le gouvernement doit
faire en sorte que les atteintes aux droits humains, y compris les «
disparitions » de 1999, fassent l’objet d’enquêtes exhaustives et que les
personnes soupçonnées d’être responsables soient traduites en justice.
Les dirigeants des groupes politiques armés doivent contrôler leurs troupes
et veiller à ce qu’elles ne commettent pas d’atteintes aux droits
fondamentaux.
Le HCR doit remplir son mandat pleinement et protéger les droits des
demandeurs d’asile et des réfugiés ; il doit veiller notamment au droit de
toute personne à ne pas être rapatriée de force vers son pays d’origine ou
tout autre pays dans lequel ses droits fondamentaux ne seraient pas
reconnus.