Les conséquences de la politique migratoire de Trump

CAS N° 1 : Un père et une mère contraints d’abandonner leur bébé à cause de l’interdiction de voyager

Le mois dernier, Baraa Ahmed (son nom a été modifié), qui a la double nationalité américaine et yéménite, sa femme et sa fille aînée se sont envolés vers les États-Unis en laissant derrière eux en Malaisie leur fille en bas âge.

« Sans cette décision du président, je n’aurais jamais laissé ma fille en Malaisie pour rentrer [aux États-Unis]. Je n’aurais abandonné ma fille pour rien au monde… Mais [le décret de Trump] nous a vraiment obligés à le faire », a déclaré Baraa Ahmed à Amnesty International.

Après avoir quitté le Yémen pour chercher du travail aux États-Unis, Baraa Ahmed s’est installé dans la ville de New York, où il travaille comme commercial. En 2014, il a obtenu la nationalité américaine par naturalisation puis a parrainé sa femme et sa première fille, qui commence aujourd’hui à marcher, pour qu’elles obtiennent des visas et puissent le rejoindre.

Lorsque sa fille cadette est née fin 2015, il a déposé séparément une demande de visa pour elle, mais malgré de nombreux entretiens sur son cas avec des agents des services de l’immigration américains, la demande de visa du bébé est restée distincte de celle du reste de la famille. Lorsque sa femme et sa fille aînée ont reçu leur visa à l’automne 2016, il n’avait toujours pas de nouvelles concernant le dossier de sa plus jeune fille.

À mesure que le conflit armé meurtrier s’intensifiait, la situation est devenue de plus en plus dangereuse pour sa femme et ses deux filles en bas âge, tandis que les civils se trouvaient pris entre les bombardements aériens et les attaques terrestres. Après que les troubles eurent forcé l’ambassade des États-Unis à Sanaa, la capitale du Yémen, à fermer, Baraa Ahmed a pris des dispositions, à grands frais, pour qu’elles puissent se rendre en Malaisie, où elles pourraient poursuivre leur procédure de demande de visa.

Il a pris un vol de New York à Kuala Lumpur pour les rejoindre, et il est resté avec elles au cours des 11 mois qui ont suivi, pendant qu’elles attendaient leurs visas.

« Compte tenu de la situation au Yémen, j’ai voulu faire venir ma femme et ma fille ici, parce qu’elles vivaient dans… une des régions les plus touchées pendant la guerre. Je voulais que nous soyons ensemble, mais ma principale préoccupation, c’était la guerre », a déclaré Baraa Ahmed.

C’est alors qu’est arrivée la terrible nouvelle du décret anti-immigration adopté par Donald Trump le 27 janvier de cette année.

Lorsqu’une cour fédérale de district a prononcé une suspension temporaire du décret, les Yéménites qui avaient des visas américains en cours de validité se sont précipités aux États-Unis, pour éviter d’être touchés par une nouvelle interdiction. Sans nouvelles de la demande de visa déposée pour leur bébé, Baraa Ahmed et sa femme ont dû prendre une décision inimaginable : rejoindre les États-Unis en laissant leur petite fille derrière eux.

« La seule solution que j’avais était de confier mon bébé à un ami et à sa femme et de rentrer [aux États-Unis] pour y amener… ma femme et ma fille aînée, dont la demande avait été acceptée. C’était un choix terriblement difficile, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Je n’avais pas d’autre solution. Je ne pouvais pas courir le risque qu’elles perdent toutes les trois leur chance d’entrer », a-t-il déclaré à Amnesty International.

Il connaît des difficultés financières et attend que les cartes vertes de sa femme et de sa fille aînée leur soient officiellement délivrées. Pour l’instant, la famille ne peut pas retourner en Malaisie, même pour aller voir le bébé. Ces événements ont mis la santé mentale de sa femme à rude épreuve.

« Ma femme allaitait encore le bébé lorsqu’il a été séparé de sa mère. Je peux vous dire que la mère est comme folle maintenant, elle n’est pas dans son état normal. Elle m’en veut, elle dit que c’est ma faute. Vous pouvez imaginer à quel point son enfant lui manque. Moi aussi, je souffre profondément. À l’intérieur, je suis anéanti d’avoir abandonné mon bébé », a conclu Baraa Ahmed.

Basé sur un entretien téléphonique réalisé le 27 février 2017.

CAS N° 2 : Deux jeunes frères qui ont échappé aux balles au Yémen se trouvent maintenant coincés à Djibouti

En avril 2015, Hauwd Al Ashraf un quartier de la ville de Taizz au Yémen, est devenu le centre de combats intenses. Alors que les obus tombaient tout autour de leur maison, Yahia et Maher, alors âgés de 16 et 18 ans respectivement, se sont abrités sous les escaliers. Ils sont restés là pendant trois jours, à manger du pain rassit et à boire leur réserve d’eau qui diminuait chaque jour un peu plus. À l’aube du quatrième jour, ils ont tenté le tout pour le tout et se sont enfuis en courant, en évitant les balles. « Alors qu’ils couraient, les balles leur frôlaient les pieds,  » a déclaré leur mère Fatima, détentrice d’une carte verte. « Par chance, ils n’ont pas été blessés. »

Le plus grand rêve de Fatima, c’est que ses fils puissent la rejoindre à New York, où elle vit. En novembre, près de deux ans après le dépôt par les deux frères, désormais âgés de 18 et 20 ans, d’une demande pour entrer aux États-Unis, ils ont eu un entretien à l’ambassade des États-Unis à Djibouti, où ils sont actuellement bloqués. L’entretien s’était très bien déroulé, et ils étaient confiants que leur longue attente pour enfin rejoindre leur famille allait bientôt prendre fin. Mais l’interdiction d’entrée sur le territoire américain décidée par Donald Trump a tout fait basculer.
Fatima, une ancienne boursière de la Fondation Fulbright, titulaire d’un master en physique médicale d’une université d’État du nord-ouest des États-Unis, est extrêmement inquiète pour eux et s’endette afin de pouvoir leur envoyer de l’argent.

La vie est dure pour Yahia et Maher, sans amis ni emplois à Djibouti.

« Mes fils se sentent totalement impuissants et désemparés. Ils ont l’impression de ne plus rien avoir… pas d’éducation, pas de travail, aucune sorte de stabilité, » a-t-elle déclaré à Amnesty International. « Ils ne mangent qu’un repas par jour… L’aîné est atteint du syndrome du côlon irritable et souffre en permanence, et le plus jeune est incapable de dormir.  »

« Ces décisions, prises par le président Donald Trump, nous ont condamnés à un état de peur permanent, » a déclaré Fatima. « Nous nous sentons comme des suspects, alors même que nous n’avons jamais rien fait de mal de notre vie. »

Basé sur un entretien téléphonique réalisé les 17 et 27 février 2017.

CAS N° 3 : Un mari et sa femme séparés

« Même s’il m’aime et que je l’aime, il reste beaucoup d’incertitudes. C’est vraiment très dur, et très douloureux, » a déclaré Noor à Amnesty International, en parlant de sa séparation avec Tariq, son mari. Tariq est un journaliste libéral réputé, et il n’était plus en sécurité au Yémen. Il a réussi à s’enfuir en Malaisie, où il est désormais bloqué.

Noor, une citoyenne américaine qui vit aux États-Unis depuis plus de 30 ans, a rencontré Tariq en personne pour la première fois en 2010 alors qu’elle était au Yémen pour trois mois. Lorsque le soulèvement contre le président yéménite Ali Abdullah Saleh a débuté en 2011, ils ont travaillé ensemble pour organiser un réseau d’écrivains et de militants. Puis, en 2012, Noor et Tariq ont commencé à parler de plus en plus souvent, et petit à petit, ils sont tombés amoureux et ont décidé de se marier. « Je devais me rendre au Yémen en septembre 2015 [pour le mariage] mais la situation devenait vraiment très dangereuse pour lui, » a-t-elle déclaré. « De très nombreux journalistes disparaissaient ou étaient emprisonnés… Un mois avant son départ, des Houthis ont tiré une balle dans la jambe d’un de ses amis à Sanaa, devant tout le monde. »

À la place, ils ont donc décidé de se marier en Inde. Alors que les aéroports étaient fermés, Noor a raconté que Tariq avait dû sortir « un peu clandestinement » du pays, en évitant de peu les combats et les frappes aériennes de l’Arabie saoudite, avant d’enfin obtenir un passage en bateau vers Djibouti depuis le port d’Aden. De là, il a rejoint Goa où il a épousé Noor.

De retour à New York, Noor a déposé une demande de visa pour lui en mars 2016. Mais depuis l’interdiction de voyager du président Trump, elle perd espoir de voir arriver le jour où ils pourront à nouveau être ensemble. Elle s’inquiète tout particulièrement de la capacité du gouvernement yéménite à fournir une aide pour les contrôles requis par le décret présidentiel, ce qui signifie que l’interdiction temporaire pourrait s’avérer permanente. « Nous n’avons même pas de gouvernement opérationnel [au Yémen]… De quel gouvernement est-ce qu’ils parlent ? Du gouvernement en exil d’Abd Rabbu Mansour Hadi ? Ou de celui des Houthis au nord ? » demande-t-elle.

Noor a toujours aidé les autres à travers son travail auprès d’organisations à but non lucratif, et elle œuvre actuellement pour aider les propriétaires qui ont perdu leur maison lors de l’ouragan Sandy à trouver un hébergement temporaire. C’est très difficile pour elle d’être séparée de Tariq.

« Quand je lui ai parlé récemment, j’étais très triste. Il était triste également. Il m’a dit : “Ne t’inquiètes pas, même si nous devons attendre dix ans ou toute une vie”. »

Entretien réalisé en personne le 26 février à Brooklyn et par téléphone le 3 mars.

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