CROATIE - La Cour européenne des droits de l’homme doit examiner une affaire qui fera date en ce qui concerne le retour des réfugiés

Index AI : EUR 64/003/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Ce mercredi 14 septembre 2005, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme examinera l’affaire Blecic c. Croatie. Cette affaire pourrait avoir des répercussions sur le sort de dizaines de milliers de Serbes de Croatie réfugiés, qui ont perdu leurs droits d’occupation sur des logements sociaux après avoir fui le conflit armé qui a ravagé la Croatie de 1991 à 1995.

Kristina Blecic, Serbo-Monténégrine, était locataire en titre depuis 1953 de son logement social de Zadar, en Croatie. En juillet 1991, peu avant que le conflit ne batte son plein, elle est partie séjourner chez sa fille en Italie. Le bombardement de Zadar a débuté à la mi-septembre 1991. En raison de l’intensification du conflit armé, Kristina Blecic a décidé de rester chez sa fille. Lorsqu’elle est rentrée à Zadar en mai 1992, son appartement était illégalement occupé depuis novembre 1991 par une famille croate, qui l’a empêchée de rentrer chez elle.

En octobre 1992, le tribunal communal de Zadar a résilié le bail spécialement protégé de Kristina Blecic, au motif qu’elle n’avait pas occupé cet appartement pendant six mois, et ce sans tenir compte des circonstances l’ayant empêché de revenir : la guerre sévissait et les nouveaux occupants ne l’avaient pas laissé rentrer chez elle. Kristina Blecic a entamé, en vain, une procédure administrative et engagé des poursuites pénales contre les occupants, afin de les expulser et de récupérer son logement. En novembre 1999, la Cour constitutionnelle de Croatie a confirmé l’annulation de son droit d’occupation. À ce jour, elle n’a toujours pas pu rentrer chez elle.

L’affaire Blecic c. Croatie porte sur la résiliation du droit d’occupation dont bénéficiait Kristina Blecic sur son appartement à Zadar. Elle a été renvoyée devant la Grande Chambre après que la Cour européenne des droits de l’homme eut statué en juillet 2004 que les droits de la requérante n’avaient pas été bafoués. Dans sa demande, Kristina Blecic a allégué la violation de son droit au respect de son domicile, garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ou Convention européenne des droits de l’homme, CEDH), ainsi que de son droit au respect de ses biens (article 1 du Protocole n° 1 à la CEDH). En statuant que les droits de Kristina Blecic n’avaient pas été bafoués, la Cour a légitimé la résiliation de son droit d’occupation suite à son absence, au motif que la Croatie s’efforçait de fournir des logements à d’autres citoyens.

Amnesty International estime que l’affaire Kristina Blecic illustre les conséquences néfastes en termes de droits humains d’une politique mise en œuvre pendant et après la guerre en Croatie consistant à résilier de manière discriminatoire les droits d’occupation de logements collectifs du secteur d’État. Lorsque le bien était resté inoccupé pendant six mois, la révocation de ces droits a concerné très majoritairement des Serbes de Croatie (et des Monténégrins). Les autorités croates ont le plus souvent omis de prendre en considération l’état de guerre, susceptible d’empêcher les Serbes de Croatie de continuer à vivre dans leur appartement - notamment caractérisé par les attaques violentes, les mesures de harcèlement et de discrimination à leur égard et, parfois, leur expulsion forcée par l’armée croate et les forces de police.

Dans son dernier rapport de synthèse sur le retour des réfugiés en Croatie publié en juillet 2005, la Mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Croatie a fait observer que « [p]rès de 30 000 ménages en Croatie, presque exclusivement serbes, qui vivaient dans d’anciens logements sociaux en tant que détenteurs de droits de location-occupation, ont perdu ces droits et la possibilité d’accéder à leur logement durant et après la guerre ». L’OSCE ajoutait que ces personnes composent actuellement la plus vaste catégorie de réfugiés et de personnes déplacées en Croatie dont les problèmes de logement ne sont pas résolus.

Selon Amnesty International, le retour durable de milliers de Serbes de Croatie demeure principalement compromis par le manque de détermination dont font preuve les autorités croates pour proposer des solutions adaptées en matière de logement aux Serbes de Croatie dépouillés de leurs droits d’occupation, y compris, lorsque c’est possible, en restituant ces droits aux victimes de résiliations discriminatoires.

Complément d’information

Quelque 300 000 Serbes de Croatie ont quitté le pays au cours du conflit, entre 1991 et 1995. Seuls 115 000 ont été officiellement recensés en tant que rapatriés. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 200 000 réfugiés croates, pour la plupart des Serbes de Croatie, sont restés dans d’autres pays, voisins ou plus éloignés. Nombre d’entre eux, particulièrement ceux qui vivaient en milieu urbain dans des logements collectifs du secteur d’État, ne peuvent pas revenir, leur bail ayant été résilié. La lourdeur et, parfois, la nature inéquitable de la procédure, notamment au niveau des tribunaux de première instance, constituent un obstacle majeur pour les candidats au retour cherchant à faire valoir leurs droits devant la justice. Les Serbes de Croatie sont victimes de discrimination en matière d’emploi et d’accès à divers autres droits économiques et sociaux. On signale encore des cas de violence et de harcèlement ciblant cette communauté.

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