CROATIE : L’impunité accordée aux auteurs de violations des droits humains durant la guerre doit cesser

Index AI : EUR 64/006/2004

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Presque dix années après la fin du conflit armé qui s’est déroulé de 1991 à 1995 en Croatie, les autorités croates n’ont toujours pas réglé complètement le problème des violations des droits humains durant la guerre et n’ont toujours pas traduit en justice les auteurs présumés de ces actes. Les membres des forces de police et de l’armée croate ayant perpétré des crimes à l’encontre des Serbes de Croatie continuent de bénéficier d’une large impunité, selon un rapport d’Amnesty International rendu public ce lundi 13 décembre.

« Les auteurs présumés de ces crimes continuent de bénéficier de l’impunité et sont même, pour certains, toujours à des postes de pouvoir au niveau local, tandis que les personnes victimes d’atteintes aux droits humains et leurs familles n’ont encore obtenu ni justice ni réparations, a déclaré Omar Fisher, chercheur pour la Croatie auprès d’Amnesty International.

« La justice croate a en grande partie échoué à traiter ces questions d’atteintes aux droits humains ; les tribunaux appliquent des critères ethniques aux investigations et poursuites judiciaires pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. »

Le rapport le plus récent d’Amnesty International sur la Croatie, intitulé en anglais A shadow on Croatia’s future : continuing impunity for war-time human rights violations (index AI : EUR 64/005/2004) établit une liste des préoccupations de l’organisation face au lourd bilan hérité du passé en matière de droits humains. Le climat d’impunité régnant dans le pays y est largement illustré. Le rapport attire l’attention en particulier sur l’échec des autorités à :

 mener promptement des enquêtes approfondies sur les homicides illégaux, les exécutions extrajudiciaires et autres violations des droits humains ;

 communiquer des informations sur le sort des Serbes de Croatie portés disparus et traduire en justice les membres des forces de police et de l’armée croate présumés responsables de ces « disparitions ».

Les crimes commis dans la ville de Sisak ont été sélectionnés dans le rapport comme exemples de la politique systématique de violations des droits humains qui aurait été perpétrée à l’encontre de la population civile par les forces de police et l’armée croate au cours du conflit armé.

Le 17 septembre 1991, Ljubica Solar, dix-neuf ans, se trouvait dans l’appartement de son ami, un ancien soldat de l’Armée populaire de Yougoslavie, lorsqu’elle a été tuée par une balle tirée de l’extérieur du bâtiment. La mère de Ljubica a demandé à de nombreuses reprises aux autorités croates de mener une enquête approfondie sur cette mort et de poursuivre en justice les auteurs de cet acte. En 2001, un ancien membre d’une unité de police spéciale aurait déclaré au juge en charge de l’enquête à Sisak que d’ancien membres de son unité avaient tué Ljubica Solar. Les autorités croates seraient toujours en train d’enquêter. À ce jour, personne n’a encore été inculpé pour ce crime, selon les informations dont dispose Amnesty International.

« L’impunité accordée aux auteurs de violations des droits humains perpétrées à l’encontre des Serbes de Croatie se retrouve également typiquement dans les affaires de « disparitions », pour lesquelles pratiquement aucune poursuite n’a été engagée, selon l’organisation.

« Le fait que les autorités croates n’aient pas réalisé l’exhumation et l’identification de personnes portées disparues, dont on avait lieu de penser qu’elles étaient des Serbes de Croatie, est un autre facteur qui a contribué à ce climat d’impunité. »

Milorad Milosavljevic, soldat de l’armée de la République autonome serbe de Krajina auto-proclamée, a « disparu » après avoir été fait prisonnier par l’armée croate le 3 mai 1995. Le même jour, il aurait été vu dans un magazine d’actualité de la télévision, répondant à une interview d’un journaliste de la télévision croate. Sa mère a interrogé les autorités croates mais celles-ci ne lui ont communiqué aucune information sur le sort de son fils et ont mis en doute le fait que le soldat interviewé ait pu être Milorad Milosavljevic.

Amnesty International remarque que la Commission européenne a conclu que la Croatie répondait aux critères politiques établis par le Conseil européen de Copenhague en 1993. Les critères d’adhésion du Conseil européen de Copenhague impliquent que le pays candidat doit avoir mis en place des institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits humains ainsi que le respect des minorités et leur protection. Toutefois, Amnesty International considère que l’échec des autorités croates à faire face au lourd bilan en matière de droits humains dont elles ont hérité après la guerre est une atteinte sérieuse à l’état de droit et demeure un obstacle sérieux à la réconciliation d’après-guerre.

« Il est impératif que la question de l’impunité dont bénéficient les auteurs de violations des droits humains durant la guerre soit abordée de façon appropriée par les autorités croates dans le cadre de la justice nationale et à travers une coopération pleine, entière et sans condition avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie de la Haye », a déclaré Amnesty International.

Amnesty International demande aux autorités croates de mener, de façon active, des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les affaires d’atteintes aux droits humains durant la guerre, quelle que soit l’origine ethnique des victimes et des auteurs présumés, et de traduire en justice les personnes soupçonnées d’être responsables de ces actes pour qu’elles soient jugées selon des critères répondant aux normes internationales d’équité des procès.

Complément d’information

La déclaration d’indépendance de la Croatie de la République fédérale socialiste de Yougoslavie en juin 1991 a été suivie d’un conflit armé entre l’armée croate et les forces armées des Serbes de Croatie, aidés par l’Armée populaire de Yougoslavie, qui s’est poursuivi jusqu ‘en 1995. Au cours du conflit, qui a duré de 1991 à 1995, des violations graves et massives des droits humains ont été perpétrées par les forces croates et serbes ainsi que par l’armée yougoslave. Parmi ces violations, on peut citer les exécutions arbitraires, les actes de torture et notamment des viols, les « disparitions », la détention arbitraire et les expulsions forcées ; des centaines de milliers de personnes sont devenues des personnes déplacées dans leur propre pays ou se sont réfugiées à l’étranger.

Environ 300 000 Serbes de Croatie ont fui la Croatie au cours du conflit. On estime à plus de 200 000 le nombre de réfugiés croates, Serbes de Croatie pour la plupart, qui seraient toujours dans les pays voisins et au-delà. Les Serbes de Croatie rentrés au pays se heurtent à la discrimination au niveau des emplois, des logements et de l’accès aux droits sociaux et économiques.

Selon les déclarations publiques de responsables croates, les autorités croates seraient toujours à la recherche de 1 200 personnes portées manquantes. Toutefois ce chiffre n’inclut pas les personnes, Serbes de Croatie pour la plupart, qui ont disparu dans la dernière phase de la guerre.

Le gouvernement croate s’est officiellement porté candidat pour devenir membre de l’Union européenne en février 2003. En avril 2004, la Commission européenne a émis un avis favorable à la candidature de la Croatie, sur la base des critères définis à Copenhague en 1993. En juin 2004, l’Union européenne a accordé à la Croatie le statut officiel de candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Amnesty International ne prend pas position sur l’entrée ou non de pays candidat dans l’Union européenne.

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