Zagreb — Prenant la parole ce vendredi 11 avril à la fin de sa visite en Croatie, la secrétaire générale d’Amnesty International, Irene Khan, s’est félicitée des récents progrès dans la lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre, tout en évoquant les préoccupations de l’organisation quant au long chemin qu’il reste à parcourir pour que toutes les victimes obtiennent justice.
"Malgré les progrès réalisés ces dernières années, des déficiences demeurent en ce qui concerne la manière dont les autorités s’occupent des crimes de guerre, en particulier ceux commis par l’armée et la police croates pendant le conflit de 1991-1995 », a déclaré Irene Khan.
« Nous nous félicitons de ce que tous les responsables que nous avons rencontrés se soient engagés de nouveau à ce que les enquêtes et les poursuites suivent le principe selon lequel les crimes de guerre n’ont pas nationalité. Cependant, le fait que ce principe soit respecté de manière inégale dans le pays – et les ambiguïtés sur la manière dont ce message est véhiculé par certaines personnes haut placées – peuvent donner l’impression d’une justice qui n’est pas impartiale. »
La délégation conduite par Irene Khan a rencontré des victimes de crimes de guerre de toutes les parties au conflit et entendu de nombreux témoignages de pertes de biens personnels et de demande de justice.
« Les répercussions du conflit sur la Croatie et ses habitants sont lourdes et complexes, comme elles le sont pour le reste de la population de cette région du monde, a déclaré Irene Khan. Les victimes, ici, nous transmettent avec insistance le même message que celui que nous avons entendu ailleurs dans le monde d’autres personnes dans des situations similaires. Ces personnes veulent connaître la vérité et obtenir justice. Il incombe désormais clairement aux autorités croates, avec le soutien, sous différentes formes, de la communauté internationale, de répondre à ces deux attentes, sans plus tarder. »
La visite des délégués d’Amnesty International en Croatie, qui a eu lieu du 8 au 11 avril, a été précédée d’une longue période pendant laquelle l’organisation a surveillé ces aspects du conflit et a mené campagne sur ces thèmes en Croatie et dans tous les Balkans.
Des rencontres ont eu lieu avec les autorités croates dans une climat ouvert et constructif, et l’engagement a été pris de poursuivre ce dialogue. Les informations concernant le recensement, grâce à l’utilisation d’une base de données, des progrès réalisés ou non dans les enquêtes et poursuites pour crimes de guerre n’ont pas manqué d’intéresser Amnesty International, qui avait fait des recommandations en ce sens auparavant. Ceci devrait alimenter, autre recommandation clé de l’organisation, la mise en œuvre d’une stratégie globale de lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre, accompagnée d’un plan d’action à long terme, de critères objectifs et d’un calendrier précis. Un tel plan devrait être mis au point en consultation avec la société civile et les organisations internationales.
Un des critères d’évaluation des progrès réalisés devrait être la quantité de poursuites engagées ou d’enquêtes réactivées par les procureurs locaux. Devraient être indiqués clairement le nombre et le type de plaintes ou d’informations reçues au sujet de crimes de guerre, les crimes ayant fait l’objet d’une enquête, les témoins convoqués et toute autre intervention menée pour mettre fin à cette impunité.
Amnesty International a également exhorté les autorités à veiller à ce que, lorsque des pressions sont exercées sur les témoins, les enquêteurs, les juges ou les procureurs et gênent le bon déroulement des investigations et des poursuites pour des crimes de guerre commis dans une localité donnée, l’affaire soit transférée sous une autre juridiction qui soit de préférence, lorsque cela est possible, un des quatre tribunaux mis spécialement en place pour s’occuper des crimes de guerre.
Lors d’une rencontre avec des membres de la communauté internationale en Croatie – représentants de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie – Irene Khan a également souligné le rôle important de ces instances pour aider la Croatie à rendre justice à toutes les victimes de crimes de guerre. La surveillance internationale des procès pour crimes de guerre et des efforts de la Croatie pour mettre fin à l’impunité doit se poursuivre jusqu’à ce qu’un véritable engagement politique et une réforme globale permettent à la Croatie d’exercer la justice.
« Au moment de négocier l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, de discuter du transfert de La Haye à Zagreb de la responsabilité des poursuites pour crimes de guerre et de veiller au bon déroulement de ces transitions, il faudra fixer des critères qui donnent le sentiment à tous que la Croatie est vraiment sur la bonne voie pour rendre la justice, a déclaré Irene Khan. Cette justice est un droit, et rien de moins, pour les victimes qui attendent et espèrent, parfois depuis plus de quinze ans. C’est le message sans équivoque que je transmettrai aux hauts responsables que je rencontrerai à Bruxelles la semaine prochaine. »
En quittant Zagreb, Irene Khan se rend à Bruxelles où elle s’entretiendra avec, notamment, Javier Solana, haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et la sécurité commune et Olli Rehn, commissaire européen à l’élargissement.
Complément d’information
La déclaration par laquelle la Croatie se déclarait indépendante de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, en juin 1991, a été suivie d’un conflit armé entre l’armée croate et les forces armées serbo-croates, appuyées par l’Armée fédérale yougoslave (JNA), qui a duré jusqu’en 1995. Pendant le conflit de 1991-1995, des violations graves des droits humains ont été massivement commises par toutes les parties au conflit. Il s’agissait notamment d’homicides arbitraires, d’actes de torture – dont des viols – de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et d’expulsions forcées ; des centaines de milliers de personnes sont allées se réfugier à l’étranger ou ont été déplacées à l’intérieur du pays. Dès le début du conflit, Amnesty International a mené campagne contre l’impunité pour les crimes de guerre commis en Croatie et ailleurs, dans le cadre des autres guerres qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie.
Lors de cette dernière visite de l’organisation en Croatie, les délégués ont de nouveau rencontré des victimes de ces crimes. Ils ont parlé avec des proches de victimes de Sisak où, selon des sources fiables, plus d’une centaine de personnes, dont un grand nombre de Serbes de Croatie, auraient été assassinées, probablement par des membres de l’armée et de la police croates. Les délégués ont également rencontré des représentants d’organisations de victimes de Vukovar où, en 1991, au moins 200 Croates et autres non-Serbes ont été sortis de force de l’hôpital et assassinés par des membres de la JNA et de groupes paramilitaires.
La délégation d’Amnesty International a pu s’entretenir de manière constructive et ouverte avec les autorités croates, y compris le président Stjepan Mesic, le vice-Premier ministre Jadranka Kosor, la ministre de la Justice Ana Lovrin et le procureur général de la République de Croatie Mladen Bajic.