« Cela fait des décennies que les autorités cubaines utilisent systématiquement le droit pénal - ou la menace qu’il représente - afin d‘étouffer l’opposition. Le nouveau Code pénal contient un ensemble de dispositions très préoccupantes accordant aux autorités des pouvoirs encore plus étendus afin de continuer à étouffer la liberté d’expression et de réunion en 2023 et au-delà », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnesty International.
Le nouveau Code pénal cubain, long de 141 pages, remplace le précédent, qui date de 1987 et contient un certain nombre de dispositions nouvelles et anciennes qui sont préoccupantes pour les droits humains. Il entre en vigueur à un moment où des centaines de personnes sont maintenues en détention pour avoir manifesté en juillet 2021, et après que plusieurs vagues de protestation ont également été réprimées en octobre cette année.
Amnesty International a identifié cinq points alarmants dans le Code pénal :
1. Le maintien de nombreuses dispositions du Code pénal utilisées depuis des décennies afin de réduire les militant·e·s au silence et de les incarcérer
Après les mesures de répression contre les manifestations de juillet 2021, Amnesty International a adopté six prisonniers et prisonnières d’opinion — soit une poignée de cas emblématiques représentant seulement une petite fraction des personnes qui pourraient prétendre à cette désignation. Trois de ces personnes se trouvent toujours en détention, tandis que les autres, selon les informations dont dispose Amnesty International, ont été poussés à l’exil par les autorités.
Toutes les personnes reconnues comme des prisonniers d’opinion par Amnesty International, et plusieurs centaines d’autres ayant été poursuivies dans le contexte des manifestations, ont été inculpées en vertu de diverses dispositions du Code pénal historiquement utilisées afin de museler l’opposition. Cela inclut des charges de « troubles publics », « résistance » et « outrage ». Par exemple, l’artiste Luis Manuel Otero Alcántara a été déclaré coupable de « troubles publics », « outrage » et « outrage à des symboles de la nation ». Le dirigeant d’un groupe politique d’opposition non officiel à Cuba, José Daniel Ferrer García, dont l’accès au monde extérieur durant sa est fréquemment limité depuis son arrestation en juillet 2021, a été accusé d’avoir causé des « troubles publics ».
Toutes ces dispositions figurent toujours dans le nouveau Code pénal, mais certaines formulations ont été modifiées et les peines minimales prévues sont plus sévères. Par exemple, les charges d’« outrage », de « troubles publics » et de « résistance » sont désormais passibles de peines minimales de six mois à un an de prison et/ou une amende, contre un minimum de trois mois à un an de prison et/ou une amende dans la version précédente du Code pénal. De même, « outrage aux symboles de la nations », notamment la profanation ou d’autres actes dénotant un mépris pour le drapeau ou l’hymne national, est désormais passible d’une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement ou une lourde amende, voire les deux, contre trois mois à un an de prison ou une amende, en vertu du précédent Code pénal.
Dans un contexte où la justice continue à n’être ni indépendante ni impartiale, et permet que des poursuites pénales soient lancées contre les personnes critiquant le gouvernement, mécanisme visant à prévenir, dissuader ou punir celles-ci pour avoir exprimé ces opinions, cela pourrait se solder par l’emprisonnement de militant·e·s qui défendent les droits humains ou d’autres personnes ayant exprimé leur opposition pour des périodes encore plus longues.
Par ailleurs, Amnesty International estime que les représentants de l’État devraient davantage tolérer les critiques que les personnes privées. Le recours à des lois pénales sur la diffamation ayant pour but ou pour effet d’empêcher les critiques légitimes à l’égard de représentants du gouvernement ou de l’État viole le droit à la liberté d’expression. Amnesty International s’oppose aussi aux lois qui interdisent les insultes ou le manque de respect à l’égard des chefs de l’État ou de personnalités publiques, de l’armée ou d’autres institutions ou de drapeaux ou d’autres symboles (telles les lois sur la lèse-majesté et l’outrage). Amnesty International s’oppose à toute loi qui rend passible de sanctions pénales la diffamation de personnalités publiques ou de particuliers, car elle estime que la diffamation doit être traitée uniquement au civil.
2. Le nouveau Code pénal érige en infraction les agissements qui « mettent en péril l’ordre constitutionnel et le fonctionnement normal » du gouvernement.
L’Article 120.1 de la nouvelle version prévoit que toute personne « mettant en péril l’ordre constitutionnel et le fonctionnement normal de l’État et du gouvernement cubain » soit passible d’une peine de quatre à 10 ans de prison.
Conformément au droit international relatif aux droits humains, le droit à la liberté d’expression peut uniquement être restreint dans des circonstances très limitées. La moindre restriction doit en effet strictement respecter trois conditions : elles doivent être prévues par la loi, être nécessaires, et être proportionnées à la réalisation de l’objectif consistant à protéger des intérêts publics déterminés (la sécurité nationale, l’ordre public, ou la santé ou la moralité publiques) ou les droits et la réputation d’autrui. En outre, afin de prévenir l’imposition abusive de restrictions, il convient d’instaurer un processus d’appel efficace auprès d’un organe indépendant, ou des formes de réexamen judiciaire.
Des dispositions rédigées en termes vagues, telles que « la mise en péril de l’ordre constitutionnel » et du« fonctionnement normal de l’État et du gouvernement cubain », sont incompatibles avec le droit international et les normes internationales relatifs au droit à la liberté d’expression.
3. Il criminalise le fait de recevoir des financements, compromettant encore davantage le travail effectué par les journalistes indépendants et les militant·e·s
L’Article 143 du nouveau Code pénal risque de limiter encore plus la capacité des organisations de la société civile, des militant·e·s et des journalistes indépendants à mener leur travail à bien dans le pays, en interdisant le fait de recevoir ou d’utiliser des fonds destinés à « financer des activités contre l’État cubain et l’ordre constitutionnel. » Toute personne déclarée coupable d’être en possession de fonds voués à être utilisés de cette manière risque d’être condamnée à une peine de quatre à 10 ans de prison.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, la criminalisation de l’action des défenseur·e·s des droits humains au motif qu’elle est financée par des fonds étrangers est interdite. De telles restrictions aux financements étrangers sont contraires au droit à la liberté d’association, puisqu’ils empêchent les défenseur·e·s des droits humains de jouer leur rôle, l’obtention de financements étant un outil essentiel à l’existence et au fonctionnement effectif de toute association.
Cette nouvelle disposition a déjà un effet paralysant sur les journalistes indépendants, qui selon l’ONG Article 19, ont subi des pressions [1] visant à les inciter à cesser leurs activités, avant même l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.
4. Il restreint gravement la liberté d’expression en ligne
Pour la première fois, le nouveau Code pénal cubain permet explicitement aux autorités de restreindre fortement la liberté d’expression sur les réseaux sociaux et d’inventer un ensemble d’infractions définies en termes vagues liées aux « télécommunications et technologies de l’information et de la communication », ce qui comporte un risque d’abus dans un contexte où la liberté d’expression a systématiquement été étouffée par les autorités.
En outre, en vertu de la nouvelle loi (Article 391.1), toute personne partageant en connaissance de cause de « fausses informations » risque de six mois à deux ans de prison ou une amende, voire les deux, et est susceptible de subir des sanctions plus lourdes si, entre autres choses, les informations en question sont partagées sur les réseaux sociaux ou dans les médias en ligne ou les médias traditionnels. De même, toute personne « attaquant l’honneur d’une autre personne » intentionnellement, que ce soit par écrit, dans un dessin, par des actes ou des gestes, peut également encourir de six mois à un an de prison ou une amende, voire les deux. La diffusion de ces informations sur les réseaux sociaux est par ailleurs considérée comme une circonstance aggravante.
Aux termes du droit international relatif aux droits humains, les lois vagues ou ayant une définition trop large, par exemple celles qui interdisent la diffusion de « fausses informations », ou qui sanctionnent une personne pour avoir offensé quelqu’un « dans son honneur », ne remplissent pas les trois conditions décrites ci-dessus et sont incompatibles avec le droit à la liberté d’expression.
5. Le nouveau Code pénal maintient l’usage de la peine de mort pour 23 crimes différents
Alors que la plupart des pays du monde prennent le chemin de l’abolition de la peine de mort, le nouveau Code pénal cubain va à l’encontre de cette tendance en maintenant la peine capitale pour des crimes graves.
La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Amnesty International s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception, indépendamment des questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence et quels que soient l’accusé, le crime commis et la méthode d’exécution.
« Alors qu’approche la fin de l’année 2022, des centaines de Cubain·e·s sont maintenus en prison pour avoir exprimé de manière pacifique leurs convictions, la protestation continue à être réprimée et nous sommes témoins d’une des plus fortes vagues de migration forcée hors de Cuba de l’histoire récente, ces personnes souhaitant bâtir une nouvelle vie et bénéficier de plus de liberté à l’étranger », a déclaré Erika Guevara-Rosas. « Nous regarderons les autorités de près en 2023 et demandons à la communauté internationale de condamner dans les termes les plus forts l’utilisation abusive du droit pénal dans le but de réduire l’opposition au silence. »
L’artiste Luis Manuel Otero Alcántara a été déclaré coupable de « troubles publics », d’« outrage » et d’« outrage aux symboles de la Nation ». Amnesty International continue à se mobiliser en faveur de la libération de Luis Manuel et à défendre les droits de nombreuses autres personnes ayant fait l’objet de poursuites pénales pour avoir critiqué les autorités cubaines.
Signez la pétition demandant la libération de Luis Manuel Otero Alcántara ici.