Déclaration conjointe sur le droit à l’éducation et les libertés académiques en Iran

Fondation Abdorrahman Boroumand * Amnesty International * Arseh Sevom * ARTICLE 19 * Communauté internationale baha’ie * Comité des reporters des droits humains * Institut du Caire pour les études des droits de l’homme * Green Students for a Democratic Iran- Southern California * Human Rights Activists in Iran * Human Rights Watch * International Campaign for Human Rights in Iran * Fédération internationale des ligues des droits de l’homme * Iran Human Rights Documentation Center * Ligue de défense des droits de l’homme en Iran * Société de lutte contre la discrimination dans le domaine de l’éducation * Iranian Democratic Student Association de l’université George Washington * United for Iran

Les 17 signataires énumérés ci-dessus, qui représentent des organisations étudiantes et de défense des droits humains, expriment leur profonde préoccupation quant à la situation alarmante des libertés académiques en Iran, en particulier face aux violations du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion sur les campus, et aux procédures institutionnalisées qui permettent aux autorités d’expulser ou de suspendre des étudiants de manière arbitraire et de licencier des assistants d’enseignement sur la base de leurs opinions ou de leurs activités politiques. Plus de 600 étudiants ainsi que des chargés de cours ont été arrêtés depuis 2009. Beaucoup ont été emprisonnés par la suite et plusieurs centaines de personnes ont été privées d’éducation en raison de leurs activités politiques.

Le droit à l’éducation pour tous sans discrimination est expressément garanti par des instruments internationaux que l’Iran a acceptés ou auxquels il est partie, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Convention de l’UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement. Il est également garanti par la Constitution iranienne. En outre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale protègent le droit de chacun à la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion et ils prohibent toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion ou la conviction, l’origine ethnique, l’opinion politique ou toute autre opinion. Le PIDCP protège également le droit des minorités d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.

Selon l’Observation générale 13 (1999) du PIDESC, les libertés académiques englobent :

« la liberté pour l’individu d’exprimer librement ses opinions sur l’institution ou le système dans lequel il travaille, d’exercer ses fonctions sans être soumis à des mesures discriminatoires et sans crainte de répression de la part de l’État ou de tout autre acteur, de participer aux travaux d’organismes universitaires professionnels ou représentatifs et de jouir de tous les droits de l’homme reconnus sur le plan international applicables aux autres individus relevant de la même juridiction ».

Par ailleurs, l’Observation générale 13 du PIDESC indique que « le déni des libertés académiques au personnel et aux étudiants » constitue une violation de l’article 13 du pacte.

La Recommandation de l’UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur (1997) dispose également que le droit à l’éducation « ne peut s’exercer pleinement que dans le respect des libertés académiques et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur ». Les libertés académiques sont définies comme étant :

« la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale, la liberté d’effectuer des recherches et d’en publier les résultats, le droit à la libre expression de [son] opinion [...], le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives [...] sans subir de discrimination d’aucune sorte ni avoir à craindre de mesures restrictives ou répressives de la part de l’État ou de toute autre source. »

La recommandation de l’UNESCO dispose en outre que les enseignants ne doivent pas être contraints de dispenser un enseignement qui soit en contradiction avec le meilleur de leurs connaissances ou qui heurte leur conscience, ni d’utiliser des programmes ou des méthodes d’enseignement contraires aux normes internationales relatives aux droits humains. Ce texte précise également qu’ils ne peuvent être congédiés, si ce n’est pour des motifs suffisants liés au comportement professionnel et dont la preuve doit être apportée devant une tierce partie indépendante et impartiale. Selon ces normes, les établissements d’enseignement supérieur doivent respecter les libertés académiques et les droits fondamentaux, veiller à ce que les étudiants soient traités de manière juste et équitable, adopter une politique garantissant un traitement équitable pour les femmes et les minorités, et veiller à ce que le personnel de l’enseignement supérieur puisse exercer ses activités à l’abri de toute forme de violence, d’intimidation ou de harcèlement.

Pourtant, en Iran, des étudiants et des membres du personnel de l’enseignement supérieur sont régulièrement victimes de violations généralisées de leurs droits en raison de leurs opinions, de leur genre, de leur religion ou de leur origine ethnique. Le Network for Education and Academic Rights (NEAR, Réseau pour l’éducation et les droits académiques), une organisation non gouvernementale indépendante qui surveille la situation des libertés académiques, a recensé au moins 92 violations des droits académiques en Iran en 2011. Selon Daftar e Tahkim e Vahdat (le Bureau pour la consolidation de l’unité), la principale organisation étudiante indépendante, au moins 396 étudiants ont été exclus de l’université par le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie du fait de leur opposition politique pacifique, entre autres. Au moins 634 étudiants ont en outre été arrêtés par des organes de sécurité et de renseignement et 254 ont été condamnés pour des motifs similaires, ce qui a eu des conséquences négatives sur la poursuite de leurs études. En 2009, le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie a déclaré Daftar e Tahkim e Vahdat syndicat « illégal », arguant qu’il « menait des activités représentant une menace pour la sécurité nationale ».

Les organisations signataires ont affirmé avoir recueilli des informations indiquant que des militants étudiants sont régulièrement menacés, suspendus, arrêtés, poursuivis et condamnés par les autorités iraniennes pour avoir critiqué de manière pacifique la politique du gouvernement. Des agents de l’État ont aussi régulièrement réprimé des centaines de rassemblements d’étudiants, interdit des publications et fermé des organisations indépendantes. Plus de 30 étudiants purgent actuellement de longues peines de réclusion en Iran pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion en exprimant leurs opinions, en participant à des manifestations ou en adhérant à une organisation étudiante indépendante qui critique la politique du gouvernement. Au total, ces étudiants ont été condamnés à plus de 130 années d’emprisonnement. Certains d’entre eux se sont vu infliger des peines allant jusqu’à 15 ans de réclusion.

Les organisations signataires sont également préoccupées par le fait que le gouvernement iranien semble évaluer les étudiants qui souhaitent s’inscrire en deuxième cycle universitaire ainsi que les candidats à des postes d’enseignants à l’université en fonction de leurs opinions idéologiques. Pour prévenir la dissidence sur les campus, le Conseil suprême de la révolution culturelle énonce des exigences idéologiques et politiques auxquelles doivent se plier les étudiants souhaitant faire des études supérieures. Ces règles prévoient que les étudiants doivent professer l’islam ou une autre des religions reconnues par l’État, être considérés comme « n’étant pas hostiles » à la République islamique et exempts de « corruption morale ». Elles sont ensuite utilisées par le ministère du Renseignement, le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie et les « comités disciplinaires » des universités pour exercer des pressions et sanctionner arbitrairement des étudiants, notamment leur interdire d’assister aux cours et de s’inscrire à l’université, en se fondant sur leurs opinions. Ces exigences elles-mêmes constituent une violation de l’article 3 de la Constitution iranienne, qui garantit le droit à l’éducation pour tous les citoyens.

Les organisations ont également souligné que les organes paramilitaires et de renseignement, notamment les bassidjis (miliciens volontaires), étaient très présents sur les campus, où des affrontements violents les opposent aux étudiants. Plusieurs étudiants sont morts ou ont été grièvement blessés à la suite notamment d’attaques répétées contre des rassemblements pacifiques et des résidences universitaires. De telles attaques sur les campus universitaires iraniens ne sont pas nouvelles, mais elles se sont multipliées dans tout le pays depuis les élections contestées de 2009.

Par ailleurs, les minorités sont systématiquement privées de leurs droits et victimes de discriminations dans l’accès à l’enseignement supérieur. Les autorités ont empêché les baha’is, qu’elles ont particulièrement pris pour cible, de poursuivre des études supérieures uniquement au motif de leurs convictions religieuses, conformément aux règles édictées par le Conseil suprême de la révolution culturelles ; ces règles prévoient en effet que les étudiants doivent professer l’islam ou l’une des religions minoritaires reconnues par l’État, ce qui exclut la communauté baha’ie. Les organisations signataires ont affirmé avoir connaissance de plusieurs centaines cas dans lesquels des étudiants baha’is qualifiés se sont vu interdire l’entrée d’universités publiques et privées ainsi que celle d’instituts de formation professionnelle. En 2011, une descente de police a eu lieu à l’Institut baha’i d’enseignement supérieur, une université créée en 1987 et qui dispense un enseignement à distance sur Internet ; 30 membres de l’Institut ont été arrêtés et incarcérés. Au moins neuf éducateurs ont été déclarés coupables d’infractions liées à l’exercice pacifique de leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion ; sept d’entre eux sont apparemment maintenus en détention.

Les autorités iraniennes infligent souvent les châtiments les plus durs aux militants étudiants qui défendent les droits des minorités ethniques et expriment leur désaccord face à la discrimination dont ils font l’objet. Ces militants sont notamment exposés à des arrestations arbitraires s’accompagnant parfois de violences et à de lourdes peines d’emprisonnement voire, dans certains cas, à la peine de mort. En 2011, par exemple, quatre membres de l’Union démocratique des étudiants kurdes ont été arrêtés et plusieurs autres ont été convoqués par les services de sécurité et de renseignement.
Qui plus est, la discrimination à l’égard des femmes s’est renforcée dans le système d’enseignement supérieur iranien. La séparation entre hommes et femmes introduite récemment dans certaines universités amène à se demander si les hommes et les femmes continueront à bénéficier d’un accès égal à un enseignement supérieur de la même qualité, en fonction de leurs capacités, ainsi que le prévoit le droit international. Les informations faisant état de quotas mis en place par le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie et limitant l’admission des femmes dans certains programmes universitaires révèlent que la possibilité pour les femmes d’exercer leur droit d’accès à l’enseignement supérieur sans discrimination est de plus en plus restreinte. Ces quotas semblent destinés à réduire la présence des femmes dans certains domaines d’études particuliers et à augmenter la proportion d’hommes admis dans les universités iraniennes. Ces restrictions pesant sur les choix éducatifs des femmes vont à l’encontre de l’interdiction de la discrimination et de l’obligation de l’Iran, au regard du droit international, de garantir l’égalité des droits des hommes et des femmes en matière d’éducation. D’autre part, lors de faits préoccupants qui se sont déroulés en avril à l’université islamique Azad de Roudehen, des agents de sécurité de l’établissement ont insulté et frappé des étudiantes dont ils estimaient qu’elles ne respectaient pas le hijab (code vestimentaire islamique).

La situation du personnel enseignant des universités n’est pas vraiment meilleure. Les autorités iraniennes ont limogé plus d’une centaine d’universitaires depuis les élections de 2009 en raison de leurs opinions politiques et de leurs activités antigouvernementales. Cette mesure est contraire à l’obligation faite à l’Iran par l’article 13 du PIDESC de garantir les libertés académiques et l’autonomie des établissements. Plusieurs chargés de cours purgent des peines d’emprisonnement uniquement pour avoir exprimé de manière pacifique des opinions opposées à celles de l’État.

Enfin, le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie a mis en place un programme d’« adaptation » de certaines disciplines à l’idéologie islamique telle qu’elle est définie par le gouvernement. C’est le cas du droit, des études sur les femmes, des droits humains, de la gestion, des arts et de la gestion culturelle, de la sociologie, des sciences sociales, de la philosophie, de la psychologie et de la science politique. Cette politique constitue une violation des libertés académiques par le biais d’une censure directe et d’un contrôle idéologique sur l’enseignement supérieur.

Les organisations signataires exhortent les autorités iraniennes à remplir les obligations du pays au regard du droit international, qui impose de garantir le respect du droit à l’éducation et des libertés académiques. À cette fin, il leur faut :

• libérer immédiatement et sans condition tous les étudiants iraniens et membres du personnel de l’enseignement supérieur emprisonnés pour avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion, y compris ceux qui ont exprimé des opinions politiques et les éducateurs de l’Institut baha’i d’enseignement supérieur (voir les listes plus loin) ;

• cesser le repérage et le ciblage systématiques des étudiants du fait de leurs opinions ou de leurs activités religieuses, politiques ou civiques, et réviser les règlements régissant l’admission et les « comités disciplinaires » pour faire en sorte qu’ils protègent et respectent les principes de liberté d’expression, de réunion et d’association ;

• retirer des campus universitaires toutes les unités des services de renseignement et des milices paramilitaires du Bassidj ;

• permettre aux organisations étudiantes iraniennes pacifiques et indépendantes de mener leurs activités librement et sans ingérence des autorités et organes gouvernementaux ;

• abroger les politiques discriminatoires envers les femmes, y compris le système de quotas, qui restreint la participation des femmes à l’enseignement supérieur, la séparation des hommes et des femmes, qui peut entraîner une discrimination à l’égard des femmes dans l’enseignement supérieur, ainsi que les restrictions imposées quant aux universités et aux disciplines dans lesquelles les femmes peuvent s’inscrire, et mettre un terme à l’imposition d’un code vestimentaire qui va à l’encontre du droit à la vie privée, à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction ;

• abroger toutes les politiques et pratiques instaurant une discrimination ou portant atteinte d’une autre manière aux droits des minorités ethniques et religieuses en Iran, en particulier les baha’is, notamment en matière d’accès à l’enseignement supérieur et de libertés académiques ;

• mettre un terme à la pratique qui consiste à recruter, promouvoir ou congédier les membres du personnel enseignant de l’enseignement supérieur en fonction de leurs opinions personnelles et politiques et instituer des comités universitaires indépendants chargés de réexaminer le cas de professeurs limogés pour des motifs idéologiques et politiques et de les réintégrer dans leurs fonctions ;

• veiller à ce que la gestion, les programmes et les procédures d’inscription à l’université soient indépendants de tout contrôle gouvernemental et exempts d’évaluation idéologique, y compris par le Conseil suprême de la révolution culturelle, et qu’ils respectent les normes internationales relatives aux libertés académiques énoncées par l’UNESCO et le PIDESC.

Étudiants emprisonnés en Iran :
Bahareh Hedayat, Zia Nabavi, Majid Dorri, Majjid Tavakoli, Ieghan Shahidi, Ali Akbar Mohammadzadeh, Ali Malihi, Hassan Asadi Zeidabadi, Hamed Omidi, Saeed Jalalifar, Mehdi Khodaie, Milad Karimi, Babak Dashab, Hamed Rouhi Nejad, Hossein Ronaghi Maleki, Shahin Zeinali, Arash Sadeghi, Javad Alikhani, Omid Kokabi, Habibollah Latifi (condamné à mort), Shabnam Madadzadeh, Atefeh Nabavi, Fereshteh Shirazi, Afshin Shahbazi, Rouzbeh Saadati, Mehrdad Karami, Ali Jamali, Mohammad Ahadi, Rouhollah Rouzi Talab, Sama Nourani ; Emad Bahavar et Kaveh Rezaei Shiraz.

Membres du personnel de l’enseignement supérieur emprisonnés en Iran :
Masoud Sepehr, Ghorbanali Behzadian Nezhad, Ghasem Sholeh Saadi, Davoud Soleimani, Mohsen Mirdamadi, Zahra Rahnavard (en résidence surveillée) et Ahmad Miri.

Éducateurs de l’Institut baha’i d’enseignement supérieur :
Mahmoud Badavam, Riaz Sobhani, Ramin Zibaie, Farhad Sedghi, Nooshin Khadem, Kamran Mortezaie et Kamran Rahimian.

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