Déclaration conjointe exhortant le Liban à appliquer sa loi contre la torture

Liban - loi contre la torture

Pour la Journée internationale du soutien aux victimes de la torture, nous, organisations signataires, demandons aux autorités libanaises de protéger véritablement toutes les personnes sur leur territoire, des traitements cruels, inhumains et dégradants

Toutes les allégations de torture et d’autres mauvais traitements doivent faire l’objet d’une enquête de la part des autorités et les auteurs présumés de ces actes doivent être poursuivis en justice, jugés et, s’ils sont déclarés coupables, condamnés à une sanction appropriée.

Le Liban a ratifié la Convention de l’ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après « Convention de l’ONU contre la torture) en 2000, et le Protocole facultatif s’y rapportant en 2008. Le 19 septembre 2017, le Parlement libanais a adopté la Loi nationale n° 65/2016, qui érige en infraction pénale les actes de torture (ci-après « Loi contre la torture ») et, en juillet 2019, le gouvernement a désigné les cinq membres du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP).

En 2020, le Parlement a modifié l’article 47 du Code de procédure pénale, afin de permettre explicitement aux avocat·e·s d’être présents avec les personnes détenues durant les interrogatoires initiaux menés par les organes de sécurité.
En théorie, le Liban a renforcé sa protection contre la torture. En pratique, la torture reste très répandue. Il est rare que les plaintes donnent lieu à un procès : la plupart sont classées sans suite, aucune enquête efficace n’étant menée.

La Loi contre la torture elle-même ne respecte pas les obligations du Liban au titre de la Convention de l’ONU contre la torture. Elle institue en effet un délai de prescription pour les poursuites relatives à des actes de torture, de trois à 10 ans à partir du moment où la victime est libérée de garde à vue ou de prison, en violation des normes internationales qui affirment qu’il ne doit pas y avoir de prescription pour les actes de torture.

Par ailleurs, les peines prévues par la loi ne reflètent pas fidèlement la gravité du crime de torture. La loi ne criminalise pas les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui sont pourtant interdits conformément à la Convention de l’ONU contre la torture ; et elle n’interdit pas explicitement le renvoi des plaintes pour torture devant les tribunaux militaires qui, selon les organisations de défense des droits humains, ne sont pas indépendants et ne respectent pas le droit à un procès équitable.

Le MNP est chargé de surveiller la mise en œuvre de la Loi contre la torture et a l’autorité pour mener des visites régulières et inopinées de tous les lieux de détention, mais aucun budget ne lui a été alloué pour qu’il puisse commencer cette mission.

De plus, les organisations de défense des droits humains au Liban ont démontré l’incapacité des forces de sécurité et du système judiciaire à mettre en œuvre cette Loi contre la torture ainsi que les dispositions du Code de procédure pénale qui visent à protéger les droits des personnes détenues.

Par exemple, les autorités judiciaires libanaises n’ont pas enquêté comme il se doit sur les graves allégations de torture formulées par Hassan al Dika avant sa mort en détention le 11 mai 2019, et ont violé les dispositions de la Loi contre la torture en confiant l’enquête sur ces dénonciations à l’organe de sécurité accusé de l’avoir torturé.
De la même manière, les autorités judiciaires pénales n’ont toujours pas pris de mesures sérieuses pour enquêter sur les allégations crédibles de torture et de disparition forcée formulées contre des agents de la Direction générale de la sécurité d’État par Ziad Itani, acteur ayant été accusé d’être un espion à la solde d’Israël avant d’être innocenté.

En décembre 2019, après que des plaintes pour torture ont été déposées par 17 personnes ayant participé aux manifestations du 17 octobre, le procureur général a confié les plaintes au Tribunal militaire, une juridiction d’exception qui n’est pas réputée impartiale. Le Tribunal militaire n’a pas mené d’enquête concernant ces plaintes, mais a confié cette tâche aux organes de sécurité suspectés de torture, en violation manifeste de la Loi contre la torture.
Lorsque les plaignant·e·s ont refusé de témoigner auprès des organes de sécurité, le
Tribunal militaire a décidé sans autre mesure de clore l’enquête, ce qui constitue une violation manifeste de l’obligation d’enquêter sur les actes de torture inscrite dans l’article 12 de la Convention de l’ONU contre la torture.

De plus, les organes de sécurité ont souvent violé l’article 47 du Code de procédure pénale, en refusant aux personnes détenues le droit d’avoir un·e avocat·e présent·e lors de leurs interrogatoires, et parfois en soumettant ces personnes à des violences physiques.
Au lieu de mener des enquêtes sérieuses sur ces allégations de torture et de veiller à ce que les responsables rendent des comptes, les autorités ont soumis des avocat·e·s et des militant·e·s à des représailles pour avoir révélé des actes de torture.

Le cas le plus emblématique est celui de Mohamed Sablouh, un membre de l’ordre des avocats de Tripoli, qui représente des victimes de torture et de détention arbitraire. Cet homme a été menacé et harcelé par la Direction générale de la sûreté générale et par le Tribunal militaire pour son travail. Le 28 septembre 2021, après qu’il a porté plainte au nom d’un client pour torture et autres mauvais traitements au titre de la Loi contre la torture, le Tribunal militaire a demandé à l’ordre des avocats de Tripoli de lever son immunité d’avocat, afin qu’il puisse être poursuivi pour avoir inventé de fausses informations. Cette demande a été refusée.

Après sa deuxième visite au Liban en mai 2022, le Sous-Comité pour la prévention de la torture de l’ONU a exprimé son inquiétude quant au peu de progrès réalisés sur la prévention de la torture. Les expert·e·s ont souligné les problèmes récurrents de détention provisoire prolongée, de surpopulation des lieux de détention et de leurs conditions déplorables.

Au vu de tout ce qui précède, nous exhortons les autorités libanaises à :
  veiller à ce que les plaintes pour torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants donnent lieu dans les meilleurs délais à des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces ;
  confier toutes les affaires de torture à des tribunaux non militaires, comme prévu à l’article 15 du Code de procédure pénale, et garantir le droit des personnes concernées à une procédure indépendante, équitable et transparente ;
  garantir à toutes les personnes détenues la possibilité d’être accompagnées d’un·e avocat·e durant leur interrogatoire initial mené par les organes de sécurité, conformément à l’article 47 modifié du Code de procédure pénale ;
  adopter une loi garantissant l’indépendance du système judiciaire, conformément aux normes internationales ;
  s’assurer que les victimes puissent porter plainte pour torture et autres mauvais traitements sans peur des représailles, et mettre fin au harcèlement des avocat·e·s révélant des actes de torture, conformément au paragraphe 16 des Principes de base relatifs au rôle du barreau et à l’article 13 de la Convention de l’ONU contre la torture ;
  modifier la Loi contre la torture pour la rendre conforme aux obligations qui incombent au Liban au titre du droit international, en particulier de la Convention de l’ONU contre la torture ;
  allouer un budget suffisant à l’Institut national des droits humains, et notamment à son Mécanisme national de prévention de la torture, et émettre les décrets gouvernementaux nécessaires pour qu’il puisse mener à bien sa mission ;
  rendre publics les rapports transmis au Liban par le Sous-Comité pour la prévention de la torture des Nations unies ;
  soumettre au Comité des Nations Unies contre la torture le deuxième rapport périodique du Liban, attendu depuis mai 2021, et accepter la demande du rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de visiter le Liban, en attente depuis février 2017.
  reconnaitre la compétence du Comité des Nations Unies contre la torture pour recevoir et examiner des plaintes individuelles portées par les victimes, comme prévu par l’article 22 de la Convention de l’ONU contre la torture.

LISTE DES SIGNATAIRES

Access Center for Human Rights (ACHR)
Active Lebanon
Alkarama Foundation
Amnesty International
Association Justice & Mercy (AJEM)
Ceasefire Centre for Civilian Rights
Human Rights Watch
Justices for Human Rights (JHR)
Khiam Rehabilitation Center for Victims of Torture
Lebanese Center for Human Rights (CLDH)
MENA Rights Group
Shams Beirut
The Association for Victims of torture in the UAE (AVT-UAE)
The Legal Agenda
Tripoli Bar Association

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