Déclaration d’Amnesty International à l’ouverture du Forum sur la gouvernance d’Internet, Athènes 2006

Document public

POL 30/054/2006

Internet est l’une des plus puissantes inventions de l’ère numérique. Il permet de se responsabiliser, de s’éduquer, de s’affranchir des frontières culturelles et de créer des communautés mondiales. Internet offre à toute personne cyberconnectée la possibilité de communiquer avec d’autres utilisateurs dans le monde entier. Cette libre circulation des idées et de l’information représente une force pour les droits humains.

Toutefois, si Internet a apporté la liberté d’information à des millions d’utilisateurs, il a également signifié l’emprisonnement pour d’autres, lorsque les gouvernements cherchent à restreindre les libertés. Des sites web et des blogs ont été fermés ; des pare-feux sont mis en place pour bloquer l’accès à l’information. Des gouvernements ont limité ou bridé les moteurs de recherche afin que les personnes vivant sur leur territoire ne puissent plus accéder à certaines informations.

Amnesty International a montré que certains gouvernements n’avaient pas respecté ni protégé le droit à la liberté d’expression et d’association, pas plus que le droit à la vie privée. L’organisation a également indiqué que diverses entreprises avaient collaboré à ces violations.

Yahoo !, par le biais de son partenaire chinois, Alibaba, a transmis aux autorités chinoises des informations confidentielles et personnelles concernant ses utilisateurs. Ces informations ont servi à condamner et à emprisonner des journalistes. Cette entreprise a également accepté de censurer ou de verrouiller certaines données. Microsoft a fermé le blog de Zhao Jing, un chercheur du New York Times basé à Pékin, à la demande du gouvernement chinois. Cette entreprise a également reconnu avoir obéi aux demandes des autorités chinoises, qui voulaient interdire aux utilisateurs des MSN Spaces l’emploi de certains termes. Pendant ce temps, Google lançait, pour le marché chinois, une version censurée de son moteur de recherche.

Récemment, des personnes ont été emprisonnées pour avoir transmis des informations ou des opinions par courrier électronique, dans des salles de discussion en ligne ou sur des sites web. Par ailleurs, des informations ou opinions circulant sur Internet sont censurées par le biais d’opérations de suppression de contenu ou de filtrage des moteurs de recherche. Dans ce contexte, les défenseurs des droits humains courent un risque particulier.

Par l’intermédiaire de sa messagerie Yahoo, le journaliste chinois Shi Tao avait envoyé un courrier électronique à un site web situé aux États-Unis. Il y résumait une directive interne du gouvernement chinois destinée aux journalistes et concernant le traitement médiatique de l’anniversaire des événements de la place Tiananmen. Shi Tao a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour avoir « divulgué des secrets d’État à l’étranger ». Yahoo ! avait fourni au gouvernement des informations qui ont servi à l’accusation.

En Tunisie, Mohammed Abbou, avocat et défenseur des droits humains, purge une peine de trois ans et demi d’emprisonnement, essentiellement pour avoir publié sur Internet des articles critiquant les autorités tunisiennes.

Le dissident vietnamien Truong Quoc Huy a été arrêté pour la première fois en octobre 2005 avec deux autres jeunes gens. Il avait participé à une discussion sur un site web consacré à la démocratie et aux droits humains. Il a été détenu au secret pendant neuf mois, puis relâché. Toutefois, le 18 août 2006, il a de nouveau été arrêté alors qu’il était connecté à une salle de discussion en ligne, dans un cybercafé de Ho Chi Minh-Ville. L’endroit où il se trouve reste inconnu et aucune accusation le concernant n’a été rendue publique.

Pour Amnesty International, Shi Tao, Mohammed Abbou, Truong Quoc Huy et beaucoup d’autres sont des prisonniers d’opinion. Nous sommes très préoccupés par la répression qu’exercent certains gouvernements et entreprises, via le contrôle d’Internet, sur les droits humains fondamentaux.

Nous apportons au Forum les signatures de plus de 43 000 personnes qui partagent nos préoccupations et ont soutenu notre déclaration pour la liberté sur Internet :

Je pense qu’Internet devrait contribuer à l’exercice de la liberté politique et non à la répression. Les gens ont le droit de rechercher et de recevoir des informations ainsi que d’exprimer en ligne leurs opinions pacifiques, sans crainte et sans entrave. J’exhorte les gouvernements à cesser de restreindre de manière abusive l’exercice de la liberté d’expression, et les entreprises à cesser de les y aider.

Aux États-Unis, Amnesty International a soutenu les efforts des législateurs nationaux, qui cherchent à protéger la liberté d’expression et la vie privée sur Internet, notamment par le récent projet de loi Global Online Freedom Act. Toutefois, ces efforts ne suffiront pas à réguler le comportement des autres États et des entreprises non américaines.

Tous les États et entreprises doivent respecter les mêmes règles pour appliquer et promouvoir les droits humains, le droit humanitaire international, ainsi que les normes connexes. Tous les organes de la société doivent veiller à ce que les droits humains soient respectés et défendus. Les entreprises ne font pas exception à cette règle. Les individus et personnes qui défendent pacifiquement et légitimement les droits humains doivent être protégés.

Amnesty International appelle les gouvernements :
 à libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes emprisonnées pour avoir communiqué en ligne des informations ou des opinions pacifiques ;

 à cesser de harceler et de menacer les personnes cherchant à transmettre ou à recevoir des informations sur Internet ;

 à ne pas restreindre ou gêner arbitrairement le fonctionnement et l’utilisation d’Internet selon des modalités violant les droits fondamentaux à l’information, à la liberté d’expression ou à la vie privée des personnes. Ces modalités comprennent notamment la censure préalable, ainsi que les opérations de contrôle et de surveillance qui ne sont pas conformes aux obligations des pays en matière de droits humains ;

 à mettre leurs législation et règlements nationaux en conformité avec le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes.

Amnesty International appelle les entreprises informatiques et de télécommunications :
 à s’engager publiquement à respecter les droits humains, à élaborer des politiques démontrant un soutien clair à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et à se conformer aux dispositions du Pacte mondial des Nations unies ;

 à faire preuve de transparence concernant les termes, phrases ou concepts qu’elles filtrent ou censurent, et à indiquer en vertu de quelles lois elles se livrent à de telles pratiques ;

 à épuiser toutes les voies de recours juridiques et administratives avant de se plier à des directives nuisant à la vie privée ou à la liberté d’expression des personnes ;

 à promouvoir activement les droits humains auprès des gouvernements, et à collaborer avec la société civile pour la défense des droits fondamentaux.

Amnesty International se félicite de prendre part à une démarche visant à protéger les droits humains sur Internet, et à faire en sorte que tous les organes de la société assument leurs responsabilités en matière de protection et de défense de ces droits. Nous soutiendrons activement tout projet qui émanera de cette conférence afin de faire d’Internet un lieu où les droits humains de tous seront respectés et protégés.

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