Déclaration faite par Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International, à l’issue de sa visite en Corée du Sud Club de la presse étrangère, Centre de presse de Séoul

DECLARATION PUBLIQUE

ÉFAI-
24 novembre 2009

(Séoul) Amnesty International travaille depuis longtemps sur les questions de droits humains se posant dans ce pays : des prisonniers politiques des décennies passées aux nouveaux sujets que nous abordons désormais.

Au fil des années, la Corée du Sud a accompli beaucoup de choses sur le plan des droits fondamentaux. Cependant, il reste encore des choses à améliorer.

Maintenant que le pays est doté d’une économie forte et d’une démocratie stable, les attentes en termes de respect des droits humains sont plus importantes.

S’il convient de reconnaître les progrès effectués, le temps est venu pour le gouvernement sud-coréen d’avancer d’un pas assuré et de renforcer la démocratie par le biais d’un meilleur respect des droits fondamentaux de tous en Corée du Sud.

Au cours de ma visite, j’ai rencontré des défenseurs des droits humains et des militants, ainsi que des travailleurs migrants. Je me suis aussi entretenue avec Lee Kwi-nam, le ministre de la Justice, Shin Kak-soo, le vice-ministre des Affaires étrangères et du Commerce, et d’autres hauts responsables gouvernementaux, ainsi qu’avec le président et quelques membres de la Commission sud-coréenne des droits humains.

Je suis déçue que le président et le Premier ministre n’aient pas été en mesure de nous rencontrer, ma délégation et moi. Lorsque mon prédécesseur est venu en Corée en 1998, il a été reçu par le président d’alors, Kim Dae Jung.

La Corée du Sud est aujourd’hui une grande puissance mondiale, comme l’atteste le fait que la présidence du G20 de 2010 lui a été confiée. La Corée du Sud gagnera en crédibilité en tant que leader mondial si elle est également prête à montrer l’exemple en ce qui concerne les droits humains sur le plan national, mais aussi régional et mondial.

Amnesty International estime que cinq domaines en particulier requièrent l’attention urgente du gouvernement sud-coréen.

Améliorer le maintien de l’ordre et l’obligation de rendre des comptes

Une série d’épisodes récents illustrent la nécessité pour le gouvernement de mettre en place des mécanismes adaptés afin d’améliorer le maintien de l’ordre et d’assurer un suivi de celui-ci, en particulier dans le cas de manifestations et de mouvements de protestation.

Nous recommandons au gouvernement sud-coréen de faire le nécessaire pour que les opérations de maintien de l’ordre soient mises en conformité avec les normes internationales en la matière, notamment avec le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois.

Nous avons préconisé la création d’un mécanisme chargé de mener des enquêtes indépendantes sur les allégations de recours excessif à la force par la police. Cette tâche doit être confiée à un organe indépendant doté de l’autorité nécessaire pour que ses recommandations soient suivies d’actes – ce que la Commission sud-coréenne des droits humains n’est pas en mesure d’accomplir.

Notre rapport de l’an dernier consacré aux actions de protestation menées à la lueur de bougies faisait état de violences imputées à des manifestants, mais également du recours excessif à la force de certains policiers.

Amnesty International ne porte pas de jugement sur les cas de ce genre, mais nous pensons qu’il est du devoir du gouvernement d’ouvrir des enquêtes.

Non seulement des enquêtes sérieuses, menées par des organes indépendants effectuant un suivi des agissements des policiers et autres responsables de l’application des lois, protègeraient les droits des personnes, mais elles permettraient également au gouvernement de renforcer l’obligation de rendre des comptes et la confiance du public vis-à-vis des autorités.

Le fait qu’aucune poursuite n’ait été engagée à la suite des manifestations à la bougie et que les autorités se soient abstenues de coopérer avec la Commission nationale des droits humains à la suite des événements de Yongsan souligne clairement la nécessité d’améliorations sur ce terrain.

À l’occasion d’un entretien avec le ministre de la Justice, nous avons appris que le gouvernement enquêtait actuellement sur le recours à la force dans le contexte des manifestations à la bougie. Nous espérons que le rapport d’enquête sera rendu public dans les meilleurs délais, cette affaire étant en suspens depuis plus d’un an.

Commission nationale des droits humains

Les pouvoirs de la Commission sud-coréenne des droits humains ne sont pas suffisamment étendus : elle n’a pas l’autorité requise pour faire appliquer ses recommandations, ni même pour obtenir des ministères qu’ils participent aux enquêtes. Le gouvernement sud-coréen doit soutenir le travail de la Commission, notamment en apportant son concours aux enquêtes et dans l’application des recommandations émises par celle-ci.

La Commission sud-coréenne des droits humains a très bonne réputation, tant en Corée qu’à l’échelon international. Cependant, plusieurs parties ont récemment fait part de leurs préoccupations quant aux menaces pesant sur l’indépendance de cette instance. Aujourd’hui, le président de la Commission m’a rassurée lorsqu’il m’a dit qu’il était déterminé à conserver cette indépendance. Nous encourageons le gouvernement à protéger l’indépendance de la Commission, à lui allouer des ressources suffisantes, à renforcer son autorité en matière d’enquêtes, et à faire appliquer ses recommandations. Préserver l’excellente réputation de la Commission contribuerait à faire de la Corée du Sud un exemple dans la région.

Faire de la place aux points de vue différents

J’ai rencontré des défenseurs des droits humains et des représentants d’organisations de défense de ces droits, qui ont évoqué les restrictions croissantes pesant sur leurs activités, voire les arrestations dont ils ont fait l’objet lorsqu’ils ont essayé de manifester publiquement.

J’ai entendu que certains journalistes craignent de faire l’objet de manœuvres de harcèlement et même d’être poursuivis en justice s’ils vont trop loin lorsqu’ils traitent certains sujets sensibles sur le plan politique.

Des responsables respectés de la société civile ont confirmé l’existence d’un climat de restrictions et de contrôle accrus, ainsi que d’une certaine intolérance face aux opinions sortant du rang.

Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion sont inscrits dans la Constitution sud-coréenne, et protégés par des traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels la Corée du Sud est partie. Il s’agit là d’éléments essentiels d’une démocratie saine, qui doivent être entretenus, au lieu de quoi on observe des signes inquiétants faisant craindre des tentatives de restriction et de contrôle.

Nous trouvons encourageant le jugement rendu par la Cour constitutionnelle selon lequel certaines dispositions de la loi sur les réunions et les manifestations violent l’esprit de la Constitution. Nous appelons le gouvernement à réexaminer cette loi et à introduire de nouveaux textes qui soient en conformité avec les normes internationales et les meilleures pratiques en cours dans d’autres démocraties développées.

La société civile est une composante essentielle de la démocratie, aux côtés d’un système judiciaire indépendant, d’un gouvernement élu et d’une presse libre. Nous demandons au gouvernement sud-coréen de soutenir la société civile et d’ouvrir la voie à un dialogue constructif avec celle-ci.

Les événements de Yongsan prêtent désormais fortement à controverse. Les familles ont l’impression qu’on n’écoute pas ce qu’elles ont à dire. Nous demandons au gouvernement d’établir un dialogue et de négocier une solution en urgence, de sorte que cette affaire puisse être close de manière juste.

Il est également important pour le gouvernement d’adopter des consignes contre les expulsions forcées, conformément aux normes internationales, de sorte à éviter d’autres drames de cette nature.

Travailleurs migrants

Comme vous le savez, Amnesty International a rendu public il y a quelques semaines un rapport présentant les résultats de nos recherches et nos recommandations pour une amélioration des conditions de vie des migrants en Corée du Sud.

Je me suis rendue à Maesok, où j’ai parlé avec des travailleurs migrants et des représentants d’ONG travaillant sur les questions en rapport avec cette population. Les travailleurs migrants contribuent de manière importante à l’économie sud-coréenne, qui est en expansion ; pourtant, ils subissent discriminations, exploitation et violations. Amnesty International a engagé le gouvernement à créer une instance chargée d’enregistrer des plaintes et d’ouvrir des enquêtes en rapport avec les violations que les travailleurs migrants disent avoir subies, qu’ils soient régularisés ou non.

La vague de répression sévère s’abattant sur les migrants sans papiers continue à causer souffrance et angoisse à de nombreux individus, souvent arrêtés et expulsés dans des conditions contraires à la règlementation en matière d’immigration.

Les garanties en termes d’arrestation et de détention dont peut bénéficier tout un chacun en Corée du Sud doivent également s’appliquer aux sans papiers. Nous demandons aussi au gouvernement de réfléchir à des solutions permettant de parer aux placements en détention et aux arrestations de masse.

Peine de mort

Nous nous réjouissons du fait que la Corée du Sud n’ait exécuté personne depuis décembre 1997 et exhortons le gouvernement à continuer sur cette voie.

Toute régression sur ce plan serait extrêmement préjudiciable à la réputation de la Corée du Sud sur la scène internationale. En revanche, si la Corée du Sud abolit la peine capitale, elle rejoindra les pays, majoritaires, ayant mis fin à cette pratique dans le monde. La Corée du Sud donnerait ainsi l’exemple dans la région et enverrait aux autres pays – et en particulier à ses voisins la Chine et le Japon – un message crucial : la peine de mort est un châtiment inacceptable.

Pour finir, une démarche respectueuse et cohérente en matière des droits humains sur le sol national et à l’étranger est essentiel de la part des gouvernements ayant du poids sur la scène internationale, et j’espère que la Corée du Sud relèvera ce défi.

Note :

Irene Khan était présente en Corée du Sud entre les 21 et 24 novembre 2009.

Sur place, la secrétaire générale d’Amnesty International a accompagné le lancement de la traduction coréenne de son livre, intitulé The Unheard Truth : Poverty and Human Rights, qui aborde la question de la pauvreté et des droits humains.

Vous trouverez de plus amples informations sur The Unheard Truth : Poverty and Human Rights , à l’adresse suivante : www.theunheardtruth.org

Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre de la campagne mondiale " Exigeons la dignité " lancée par Amnesty International, qui appelle à la fin des violations des droits humains qui entraînent et aggravent la pauvreté. Elle encourage les gens dans le monde entier à exiger que les gouvernements, les grandes entreprises et les autres détenteurs du pouvoir écoutent la voix de ceux qui vivent dans la pauvreté, et reconnaissent et protègent leurs droits.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit