Déclaration orale d’Amnesty International : Point 4 la situation des droits Humains en Afrique

Madame la Présidente,
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
43e session ordinaire
Ezulwini, Royaume du Swaziland

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres,

Zimbabwe

Amnesty International est préoccupée par la situation des droits humains qui se dégrade au Zimbabwe depuis les élections générales du 29 mars. En effet, le gouvernement refuse de mettre en œuvre les précédentes résolutions et recommandations de la Commission africaine, tout en se livrant à de nouvelles violations des droits fondamentaux garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Amnesty International a recensé diverses atteintes aux droits humains, notamment la torture infligée aux défenseurs des droits humains et aux opposants politiques en garde à vue, les agressions pour des motifs politiques de sympathisants présumés des partis de l’opposition au lendemain des élections et les restrictions illégales du droit à la liberté de protestation et de réunion pacifiques.

Violences post-électorales.

Selon les informations reçues par Amnesty International, les violences post-électorales sont très répandues. De tels agissements ont été signalés dans les provinces de Harare, du Mashonaland-Est, des Midlands, du Matabeleland-Nord et du Manicaland. D’après les informations disponibles, des victimes de violences politiques ont été tirées hors des bus et attaquées chez elles dans des zones rurales, des quartiers pauvres et des exploitations agricoles. Amnesty International note que ces violences post-électorales se sont généralisées durant le week-end des 5 et 6 avril. Les victimes ont rapporté qu’elles avaient été agressées par des personnes qui seraient des « vétérans » (d’anciens combattants de la libération du Zimbabwe affiliés au parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique, ZANU-PF), des jeunes de la ZANU-PF et des personnes en uniforme de la police et de l’armée.

Vers minuit, le 6 avril, une dizaine de soldats et deux personnes vêtues d’uniformes de policiers se sont rendus au domicile d’un militant bien connu du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dans le quartier Mkoba 14 de Gweru. Ils ont attaqué ce dernier et deux de ses amis, les frappant à coups de pied et de matraques. Blessé, le militant du MDC a dû recevoir des soins médicaux. L’agression a été signalée à la police, mais personne n’a été interpellé.

Au 7 avril 2008, plus de 70 personnes avaient averti des groupes locaux de défense des droits humains qu’elles avaient été attaquées dans différentes régions du pays. Toutes ont rapporté que leurs agresseurs les avaient accusées de « ne pas voter correctement ». Au moins six personnes ont été hospitalisées à la suite des coups reçus.

Restriction des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion et d’association pacifiques

Bien que le gouvernement du Zimbabwe ait modifié en janvier 2008 la Loi relative à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée et la Loi relative à l’ordre public et à la sécurité, officiellement afin de permettre une meilleure jouissance des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion et d’association pacifiques, Amnesty International a eu connaissance de restrictions inutiles de ces droits visant les défenseurs des droits humains et les partis d’opposition.

Le 23 janvier 2008, Morgan Tsvangirai, dirigeant de l’une des factions du MDC, a été arrêté vers 4 heures du matin à son domicile par des agents de la tristement célèbre unité spéciale de la police nationale chargée du maintien de l’ordre. Détenu pendant près de quatre heures, il a ensuite été libéré sans inculpation. Deux autres responsables du MDC ont également été arrêtés puis relâchés. Le 21 janvier, la police a annoncé que la marche prévue était interdite, alors qu’elle avait été autorisée précédemment. Le MDC ayant déposé un recours contre cette interdiction, le tribunal a statué que les partisans du MDC n’étaient pas autorisés à défiler dans Harare, mais pouvaient se rassembler à Glamis Arena, à la sortie de la ville. Le quotidien The Herald, très proche du gouvernement, a indiqué que le porte-parole de la police, le commissaire adjoint Wayne Bvudzijena, avait confirmé l’arrestation de 15 personnes – dont le secrétaire du MDC, Elias Mudzuri, et deux de ses gardes du corps. Elias Mudzuri, ses gardes du corps et trois autres personnes ont par la suite été remis en liberté.

Violence et torture
Amnesty International s’inquiète de ce que la police zimbabwéenne continue de recourir à une force excessive et à la torture en vue de supprimer la liberté d’association et de réunion des défenseurs des droits humains et des membres du Mouvement pour le changement démocratique (MDC). L’unité de la police nationale chargée du maintien de l’ordre se comporte de manière particulièrement brutale avec les membres du MDC et les militants de la société civile qui critiquent la politique du gouvernement. Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles des militants ont été torturés et maltraités en garde à vue par des agents de cette unité.

Le 19 février, huit membres du Syndicat des enseignants progressistes du Zimbabwe (PTUZ) ont été enlevés par des membres présumés de la ZANU-PF au pouvoir, dans Fourth Street, à Harare. Takavafira Zhou (président du PTUZ), Raymond Majongwe (secrétaire général), Harrison Mudzuri, Landistoun Zunde, Oswald Mudziva, Bernard Shoko, Linda Simande et Charles Mubwandarika ont été enlevés alors qu’ils distribuaient des tracts sur l’état du système éducatif au Zimbabwe.

Les huit hommes ont été conduits dans les locaux de la section provinciale de la ZANU-PF sur Fourth Street, où ils auraient été torturés par leurs ravisseurs. Des policiers les ont ensuite amenés au commissariat central de Harare, où ils auraient une nouvelle fois été torturés. Les huit militants ont plus tard été admis dans l’établissement de soins Avenues Clinic, sous surveillance policière. Il semble qu’aucun des ravisseurs n’ait été arrêté.

Le 22 novembre 2007, au moins 22 membres de l’Assemblée constitutionnelle nationale (NCA) ont été rassemblés par des individus non identifiés et embarqués dans deux minibus, dans le quartier des affaires du centre de Harare. Ils auraient été conduits dans les bureaux provinciaux de la ZANU-PF de Harare, où ils auraient été frappés sur la plante des pieds à coups de matraques et de barres de fer. Plus tard, on leur a ordonné d’éponger le sol de la pièce et de nettoyer les toilettes à mains nues. Les auteurs présumés auraient ensuite pris contact avec la police et leurs victimes auraient été conduites au commissariat central de Harare, où les policiers les ont inculpées d’« entrave à la justice » et leur ont infligé des amendes. Aucun des responsables de ces agissements n’a été arrêté. Dix des victimes ont par la suite été hospitalisées.

Le 25 juillet 2007, au moins 200 militants de l’ONG Assemblée constitutionnelle nationale (NCA) ont été interpellés par les forces de police à Harare après avoir participé à un défilé pacifique. Ils ont été conduits au commissariat central de Harare, où nombre d’entre eux ont été violemment battus par des policiers et des inconnus en civil pendant près de six heures. Ils ont par la suite été remis en liberté sans inculpation. Au moins 32 militants ont plus tard été hospitalisés – et 14 d’entre eux présentaient des membres fracturés. Parmi les blessés se trouvait un bébé de 19 mois, frappé à coups de matraque par la police.

Aussi Amnesty International demande-t-elle à la Commission africaine de tenir le gouvernement du Zimbabwe pour responsable au titre de la Charte africaine en lui demandant de :

– s’acquitter de ses obligations librement consenties au titre de la Charte africaine et de veiller au respect des droits humains garantis par la Charte, notamment le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association, et le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

– mettre fin au harcèlement, à l’intimidation et aux atteintes aux droits humains visant les défenseurs des droits humains et les responsables et membres de l’opposition politique ;

– mettre un terme à la culture de l’impunité en matière de violations des droits humains et à ses conséquences ;

– mettre pleinement en œuvre le rapport et les résolutions de la Commission africaine préconisant que les droits fondamentaux de tous les Zimbabwéens soient respectés.

Soudan

Au Darfour, toutes les parties au conflit continuent de se rendre responsables d’atteintes aux droits humains et de violations du droit international humanitaire. Le gouvernement du Soudan et les groupes armés d’opposition ont enfreint l’embargo sur les armes imposé par les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU en 2004 et 2005. Le gouvernement du Tchad l’a également bafoué, fournissant des armes au Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et à d’autres groupes armés au Darfour. D’autres gouvernements, dont la Russie et la Chine, continuent d’exporter des armes vers le Soudan. En conséquence, les armes prolifèrent au Darfour.

On compte actuellement plus de 30 groupes armés, qui luttent non seulement contre le gouvernement, mais aussi les uns contre les autres. Les groupes ethniques s’affrontent, ainsi que les clans au sein d’un même groupe ethnique. La prolifération des armes est l’une des causes majeures des atteintes aux droits humains commises au Darfour. Un avocat arabe déclarait d’ailleurs à Amnesty International : « Vous pouvez vous procurer n’importe quelle arme, n’importe où. Aussi le moindre incident tourne-t-il à la catastrophe. »

Au cours de l’année 2007, des centaines de civils ont été tués en raison du conflit armé opposant les groupes arabes, pour la plupart incorporés à des groupes paramilitaires gouvernementaux, équipés par le gouvernement soudanais – uniformes, véhicules et armes, y compris armes lourdes. Par ailleurs, lors d’affrontements mettant en péril la vie de civils placés sous la protection de la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS), 12 soldats de la paix sont morts en septembre 2007 dans l’attaque de leur base de Haskanita menée semble-t-il par un groupe armé désireux de s’emparer d’armes.

Parallèlement, les récents événements dans l’ouest du Darfour montrent que le gouvernement est toujours disposé à recréer les scènes de désolation dont la région est le théâtre depuis cinq ans. En reprenant Sirba et Djebel Moon au Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) en janvier et février 2008, l’armée soudanaise a violé l’interdiction de toute activité militaire aérienne à caractère offensif au Darfour et au-dessus de la région, imposée en 2005 par la résolution 1591 du Conseil de sécurité. Elle a en effet bombardé ces zones, bien souvent à l’aide d’avions Antonov peints en blanc, la couleur de l’ONU. Lors de ces attaques, comme par le passé, l’armée soudanaise et les groupes et milices paramilitaires arabes bien armés ont visé les civils. Une nouvelle fois, les maisons ont été incendiées et les villages pillés ; plus de 100 civils ont trouvé la mort et, au moins à Sirba, des viols ont été signalés aux enquêteurs de la MINUAD – opération hybride de l’Union africaine (UA) et de l’ONU au Darfour.

La coopération entre l’UA et l’ONU visant à protéger la population du Darfour a été très largement saluée. Toutefois, le gouvernement soudanais a tenté de faire obstacle au déploiement de la MINUAD, mettant ainsi en péril la protection des civils au Darfour. Il a refusé de valider la liste des pays qui fournissent des troupes, retardé l’attribution de terrains pour leurs bases, bloqué aux douanes des produits indispensables et continue d’interdire les vols de nuit. Parallèlement, la communauté internationale, y compris les membres du Conseil de sécurité ayant voté la résolution 1769, n’a pas fourni à la MINUAD le personnel requis en temps voulu et n’a pas veillé à ce qu’ils disposent de moyens de transport indispensables, notamment d’hélicoptères.

Amnesty International exhorte la Commission africaine :
– à condamner publiquement les violations persistantes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains commises au Darfour et à demander instamment au gouvernement soudanais d’assurer la protection des civils dans la région ;

– à demander à la communauté internationale, notamment à l’ONU et à l’UA, de doter la MINUAD de tous les moyens nécessaires afin de lui permettre d’appliquer intégralement son mandat, et plus particulièrement de protéger les civils au Darfour ;

– à inviter le gouvernement du Soudan à coopérer pleinement avec le Tribunal pénal international afin de traduire en justice, devant ce tribunal, les auteurs présumés des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis contre la population du Darfour. Cette demande essentielle permettra à la Commission africaine de montrer qu’elle refuse l’impunité accordée aux personnes inculpées de 50 chefs d’accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

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