Les accusations absurdes de terrorisme portées contre 11 défenseurs des droits humains, dont la directrice et le président d’Amnesty International Turquie, ne résistent pas à l’examen, a déclaré Amnesty International alors que le procès de ces personnes débute à Istanbul et à Izmir.
Les charges qui pèsent sur ces militants – passibles de peines d’emprisonnement d’une durée pouvant aller jusqu’à 15 ans et exposées dans deux actes d’inculpation qui doivent être examinés dans le cadre de deux procès distincts – sont totalement dénuées de fondement.
« Le vice-Premier ministre et Ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, a exprimé à plusieurs reprises son opinion sur la question et a appelé à la libération immédiate et inconditionnelle des défenseurs. Nous appelons le gouvernement belge à maintenir la pression et à faire en sorte que cet appel devienne réalité », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
Dix militants, dont İdil Eser, directrice d’Amnesty International Turquie, ont été arrêtés le 5 juillet 2017, et le président d’Amnesty International Turquie, Taner Kılıç, a quant à lui été arrêté un mois plus tôt. Ils sont accusés d’« appartenance à une organisation terroriste ».
« Dès leur placement en détention, il a été clair qu’il s’agissait de poursuites motivées par des considérations politiques, destinées à faire taire les voix critiques en Turquie », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe d’Amnesty International.
« Sans fondement ni matière, les autorités turques se sont employées, sans succès, à monter un dossier contre İdil, Taner et les neuf autres défenseurs des droits humains. Plus de trois mois plus tard, le parquet n’a rien de concret à présenter. Il ne devrait pas falloir au juge plus d’une demi-heure pour abandonner les poursuites. »
Parmi les accusations portées contre ces 11 militants figurent des allégations extravagantes assimilant des activités classiques de défense des droits humains à l’apport d’une assistance à des organisations terroristes. Les activités incriminées consistent notamment à appeler à la fin des ventes de gaz lacrymogène, à déposer une demande de subvention, ou à faire campagne pour la libération d’enseignants en grève de la faim. Selon l’acte d’inculpation, İdil Eser a des liens avec trois organisations terroristes non liées – et même opposées – entre elles, et certaines des allégations à son encontre font référence à deux documents d’Amnesty International qui avaient été publiés avant même qu’elle ne rejoigne l’organisation.
Il n’est guère surprenant que le parquet ne dispose d’aucun élément prouvant que l’atelier organisé à Büyükada, au cours duquel les arrestations ont eu lieu, était une « réunion secrète visant à organiser un soulèvement de type Gezi », ou que les prévenus se livraient à des actes répréhensibles. Amnesty International a procédé à une analyse détaillée de l’acte d’inculpation, examinant chacune des accusations portées contre les 11 prévenus.
L’audition des 11 militants débute aujourd’hui à Istanbul, et Taner Kılıç comparaîtra également lors d’une audience demain à Izmir pour répondre d’une accusation distincte d’« appartenance à l’organisation terroriste Fethullah Gülen ».
Cette accusation est fondée sur l’allégation selon laquelle il aurait téléchargé et utilisé l’application de messagerie ByLock, présenté comme un outil de communication du mouvement Gülen. Or, deux analyses médicolégales indépendantes du téléphone de Taner, commandées par Amnesty International, ont conclu qu’il n’y avait aucune trace de ByLock sur son téléphone.
Les procès interviennent à un moment où des pressions internationales croissantes sont exercées sur la Turquie pour l’amener à libérer ces défenseurs des droits humains. Des manifestations mondiales ont marqué les 100 jours d’emprisonnement des « 10 d’Istanbul » et l’anniversaire d’Idil Eser. De plus, cette semaine, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, et le président de la Sous-commission des droits de l’homme au Parlement européen, Pier Antonio Panzeri, ont appelé à leur libération.
Ces responsables rejoignent ainsi une longue liste de gouvernements, d’institutions et de personnalités politiques qui ont demandé leur libération, notamment la Commission européenne, le Département d’État américain, des responsables de l’ONU, Angela Merkel et le gouvernement allemand, ainsi que les gouvernements autrichien, irlandais et belge.
« Ces deux procès seront une épreuve de vérité pour le système judiciaire turc et permettront de voir si défendre les droits humains est désormais un crime en Turquie », a déclaré John Dalhuisen.
« Si la justice peut être contournée par le biais d’une fiction dystopique tirée d’allégations absurdes et sans fondement, ce sera un jour sombre pour la justice turque et un triste présage pour l’avenir des droits humains dans le pays. Alors que le monde entier a les yeux rivés sur ces salles d’audience à Istanbul et Izmir, il est temps que nos collègues obtiennent la libération inconditionnelle qu’ils attendent depuis si longtemps. »
La première audience du procès des 11 militants doit avoir lieu le 25 octobre à Istanbul, devant la 35e cour pénale spéciale. Taner Kiliç doit comparaître devant la 16e cour pénale spéciale à Izmir le 26 octobre 2017, à 10 heures du matin, pour la première audience relative à l’autre acte d’accusation.
Vous trouverez ci-joints :
1) une traduction des deux actes d’accusation ici et ici ;
2) l’analyse des deux affaires réalisée par Amnesty International ici et ici ;
3) un résumé en français des poursuites engagées contre Taner et un autre de celles contre les onze défenseurs de façon globale
Complément d’information
Les « 10 d’Istanbul » participaient à un atelier sur le bien-être et la sécurité informatique, le 5 juillet 2017, lorsque la police a fait une descente dans le bâtiment où ils se trouvaient et les a tous arrêtés. Ils ont été maintenus en détention au quartier général de la police d’Istanbul jusqu’au 18 juillet, puis ont été présentés à un juge à la requête du parquet, qui a demandé leur incarcération dans l’attente de leur procès. Le 4 octobre, un procureur d’Istanbul a déposé un acte d’inculpation contre les « 10 d’Istanbul » et contre Taner Kılıç, militant à qui il est reproché, selon ce document, d’avoir été au courant des préparatifs pour l’atelier de Büyükada et d’avoir eu des contacts avec İdil et un autre des prévenus.
Les huit défenseurs des droits humains incarcérés sont İdil Eser (Amnesty International), Günal Kurşun (Human Rights Agenda Association), Özlem Dalkıran (Citizens’ Assembly), Veli Acu (Human Rights Agenda Association), Ali Gharavi (consultant en stratégie informatique), Peter Steudtner (formateur à la non-violence et au bien-être), İlknur Üstün (Women’s Coalition) et Nalan Erkem (Citizens Assembly). Deux autres défenseurs des droits humains, arrêtés en même temps qu’eux, ont été libérés sous caution. Il s’agit de Şeyhmus Özbekli (Rights Initiative) et de Nejat Taştan (Association for Monitoring Equal Rights).