Communiqué de presse

Les déplacés d’Haïti – Combien de temps encore devront-ils crier pour se faire entendre ? Par Chiara Liguori, chercheuse pour l’équipe Caraïbes d’Amnesty International

Le tremblement de terre de janvier 2010 a détruit la vie de Justine.

Ses parents et plusieurs de ses proches étaient parmi les 200 000 personnes tuées dans la catastrophe. Elle et ses trois enfants étaient parmi les deux millions de personnes qui se sont retrouvées à la rue. De plus, elle a perdu son travail quand l’usine où elle travaillait s’est écroulée. Depuis lors, elle habite dans un camp de fortune appelé Gaston Magwon, situé à Carrefour, un quartier de la banlieue de Port-au-Prince.

La vie au quotidien est dure pour Justine. Elle a trois enfants mais, comme elle a perdu son travail et que personne de sa famille n’est en mesure de l’aider, elle ne peut plus leur payer l’école. Elle doit se battre tous les jours pour ne pas tomber malade car le camp n’est équipé ni de toilettes, ni de douches, ni d’eau potable et a été récemment envahi de détritus apportés par des inondations. À cela s’ajoute qu’elle vit dans l’angoisse permanente d’être à nouveau sans domicile, comme ce fut le cas pour 150 familles en février dernier, car les propriétaires du terrain où le camp Gaston Magwon est installé ne cessent de brandir des menaces d’expulsion.

Malheureusement, l’histoire de Justine ressemble à beaucoup de celles que nous avons entendues lors des visites d’Amnesty International qui ont suivi le tremblement de terre en Haïti. Les conditions de vie dans les camps sont devenues encore plus difficiles depuis le départ de nombreuses ONG et depuis que le gouvernement a cessé d’aider les habitants des camps, en 2011, de peur de les rendre dépendants à cette aide. Les expulsions forcées de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays n’ont cessé depuis avril 2010. Comme relaté dans le rapport d’Amnesty International Nulle part où aller – Les expulsions forcées des camps de déplacés en Haïti (voir document ci-dessous), publié en avril dernier, ces expulsions ont été aussi bien effectuées par des propriétaires privés que par les autorités publiques.

Ce qui a changé, c’est le nombre de déplacés qui a heureusement diminué. Le nombre de personnes vivant dans les camps de déplacés a été réduit, passant d’un million et demi de personnes, selon l’estimation initiale, à environ 280 000 personnes. Des centaines de milliers de personnes ont été relogées grâce à un programme d’aide personnelle au logement sur une durée d’un an. Cependant plus de 16 000 familles ont été victimes d’expulsions forcées et 24 000 autres continuent d’être menacées d’expulsion.

Pendant notre récente visite en Haïti, nous avons pris connaissance d’un problème concernant les campements et installations de fortune de Canaan, une grande zone dans la périphérie de Port-au-Prince, déclarée d’utilité publique en mars 2010, où se sont alors installées des personnes déplacées. Des milliers de personnes qui vivent dans cette zone sont menacées d’expulsion forcée et subissent intimidation et harcèlement de la part de personnes qui se disent propriétaires du terrain. Il règne une grande confusion quant à la part de terrain couverte par le décret d’utilité publique, car il semble qu’un deuxième décret gouvernemental réduisant la dimension du terrain exproprié ait été pris l’an dernier, mais l’information à ce sujet n’a jamais été rendue publique.

C’est ainsi que des centaines de familles, qui habitent notamment dans le secteur de Lanmè Frape à Canaan, se sont plaintes d’attaques répétées d’hommes armés et de policiers, qui détruisent régulièrement leurs abris fragiles, faits de tôle ou de bâches. Les dernières incursions, qui ont détruit approximativement 400 abris, ont eu lieu entre le 31 août et le 4 septembre. Puis, le 18 septembre, des policiers et des hommes armés, habillés en civil, auraient détruit des abris qui venaient d’être réparés et auraient emporté des matériaux de construction. Comme nous avons pu le constater nous-mêmes, la plupart des familles sont désormais sans aucun abri ou se réfugient chez des membres de leur famille qui vivent aussi dans les camps de fortune de déplacés.

En réponse au rapport d’Amnesty International et à d’autres pressions exercées par la communauté internationale, le gouvernement haïtien a rendu publiques fin avril dernier deux déclarations qui condamnaient les expulsions forcées et où il s’engageait à prendre les mesures appropriées pour cesser les intimidations dont souffraient les habitants des camps. Il prévoyait notamment de mener à bien des enquêtes sur les faits et de traduire en justice les auteurs de ces actes.

Ces déclarations étaient en effet très attendues mais, malheureusement, n’ont jusqu’à maintenant rien changé pour les personnes qui vivent actuellement dans la peur permanente de subir des expulsions forcées à Lanmè Frape, à Gaston Magwon et dans les autres camps. Ces personnes n’ont toujours pas vu d’actions du gouvernement qui dissuaderaient les prétendus propriétaires de terrains de répandre la panique dans les camps et de détruire leurs abris et leurs moyens de subsistance. Au contraire, les habitants de Lanmè Frape continuent de constater que la police soutient les prétendus propriétaires dans leurs actions, même si celles-ci vont à l’encontre de la loi haïtienne et des normes internationales en matière de droits humains.

C’est pour cela que les personnes déplacées de Port-au-Prince n’ont pas d’autre façon de célébrer cette Journée internationale de l’habitat que de défiler dans la capitale pour réclamer que soit respecté leur droit au logement. « Nou mandé bon jan kay pou tout moun » (Nous demandons un logement approprié pour tout le monde) était la principale revendication de centaines de personnes déplacées et défenseurs des droits humains qui manifestaient le 7 octobre, des quartiers centraux de Port-au-Prince jusqu’à la Primature (bureaux du Premier ministre). Arrivée à destination, une délégation de personnes déplacées a transmis un manifeste rappelant les cas récents d’expulsions forcées et demandant que des actions concrètes soient menées pour respecter, protéger et réaliser le droit à un logement convenable.

La manifestation d’hier était la première que nous ayons vue mais certainement pas la première du genre. Pendant des mois, les déplacés se sont mobilisés pour réclamer le respect de leurs droits. Combien de temps encore devront-ils crier pour se faire entendre ?

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