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Des centres de rétention n’empêcheront pas les migrants de risquer leur vie au large de l’Europe

Par Sherif Elsayed Ali, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales d’Amnesty International

Alors que s’annonce la « saison des bateaux » estivale, époque de forte augmentation du nombre de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés essayant de se lancer dans une traversée périlleuse afin de rejoindre l’Union européenne (UE) depuis l’Afrique du Nord, les autorités se démènent pour empêcher que de nouvelles tragédies n’aient lieu sur les côtes européennes. Trop souvent, nous avons vu comment ce périple se termine ; des centaines de personnes ont perdu la vie lors de terribles naufrages.

Cependant, la proposition d’établir des centres de traitement en Afrique du Nord pour les migrants et réfugiés voulant se rendre dans l’UE est dans le meilleur des cas mal conçue. Des propositions similaires ont été faites en 2003. C’était une mauvaise idée à l’époque ; c’est encore le cas aujourd’hui.

En théorie, il apparaît raisonnable que la création de centres de traitement dans les pays voisins puisse aider les migrants et réfugiés à tenter d’entrer légalement dans l’UE au lieu de se lancer dans cette dangereuse traversée. En pratique, cependant, l’existence de ces centres se soldera probablement par de nouvelles violations des droits humains.

Amnesty International et d’autres ont fait état d’atteintes systématiques aux droits fondamentaux des migrants et des réfugiés dans des pays incluant l’Égypte et la Libye, toutes deux citées comme possibles lieux d’accueil pour ces centres de traitement. Des agences gouvernementales, mais également dans certains cas des groupes armés et des bandes criminelles, s’en prennent aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés en toute impunité, parallèlement à une coopération entre ces pays et l’UE dans le domaine du contrôle des flux migratoires.

En Libye, des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés ont été placés en détention pour une durée indéterminée dans des « centres de rétention » insalubres, où beaucoup ont été exploités torturés. Peu de choses ont changé depuis l’ère Kadhafi en ce qui concerne le traitement qui leur est réservé par les autorités. Le pays est en proie à la violence, l’état de droit y est fragile, et le pouvoir est dispersé entre des groupes armés rivaux, des milices et un gouvernement central très faible.

Pendant ce temps, en Égypte, des réfugiés syriens ont fait l’objet de détentions arbitraires et d’expulsions vers d’autres pays ; certains ont notamment été renvoyés en Syrie, où le conflit continue à faire rage. Et depuis des années, des trafiquants d’êtres humains capturent, torturent et tuent des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés au Sinai en toute impunité.

Tout cela nous inspire de nombreuses questions. De quelle manière les centres de traitement restreindraient-ils les flux de personnes en direction de l’UE ? S’agira-t-il de centres de détention ? Qui sera à leur tête ? Qu’arrivera-t-il aux migrants sur place ? Comment l’UE pourra-t-elle garantir que ces lieux ne deviennent pas une énième version des centres de détention existants où des abus sont commis ?

Il n’y a qu’à examiner les pratiques en vigueur ou récentes dans les États membres de l’UE pour déterminer quel serait le scénario le plus probable. Des migrants et des réfugiés - dont des mineurs et des familles - seraient rassemblés et conduits dans les centres de traitement. Comment l’UE pourra-t-elle assurer, en Libye par exemple, qu’ils ne seront pas maltraités ? Ou continuera-t-elle simplement à coopérer avec ces pays bien que des violations des droits humains y soient commises ?

Si les pays de l’UE financent ou soutiennent des dispositifs qui débouchent sur des atteintes aux droits humains dans d’autres pays, ils seront non seulement complices mais également responsables sur le plan juridique. Même si des réponses satisfaisantes étaient apportées à ces questions, les centres envisagés seraient tout de même voués à l’échec compte tenu du nombre de personnes susceptibles de s’y présenter. Il est peu probable que les pays de l’UE proposent un nombre illimité de places aux personnes ayant besoin d’une protection internationale. Ceux qui fuient les persécutions et la guerre trouveront un moyen de contourner le système, même au prix d’un risque élevé.

La situation est la même pour les migrants économiques. De tout temps, des personnes ont migré à la recherche de meilleures opportunités. Si votre situation est si désespérée que vous être prêt à risquer votre vie afin de trouver du travail, il est peu probable que la perspective de passer plusieurs mois dans un centre de détention vous détourne de ce but ultime.

La démarche de l’UE est un échec parce que l’Union cherche une solution rapide au mauvais problème. Des considérations politiques à court terme l’ont conduite à essayer de limiter la migration en recourant à des méthodes de plus en plus coûteuses qui ne se sont pas avérées probantes.

Entre 2007 et 2013, l’Union européenne a dédié 1,8 milliard d’euros à son Fonds pour les frontières extérieures, et les pays de l’UE ont collectivement dépensé encore plus. Malgré l’établissement de la Frontex, l’agence européenne des frontières extérieures, en 2004 et d’Eurosur, un système sophistiqué de surveillance visant à contrôler les flux migratoires, l’an dernier, le nombre de personnes tentant la dangereuse traversée de la Méditerranée continue à augmenter.

Au lieu de dépenser des milliards à essayer d’empêcher ces personnes d’entrer sur leur territoire, les pays de l’UE doivent renforcer les voies d’immigration légales. Ils peuvent commencer par augmenter le nombre de places de réinstallation pour les réfugiés. Les pays de l’UE devraient par ailleurs travailler ensemble afin de partager cette charge plutôt que de laisser quelques-uns absorber l’essentiel des flux migratoires tandis que les autres restent passifs.

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