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Les dirigeants mondiaux présents aux sommets asiatiques doivent pousser le Cambodge à agir contre les violations des droits humains

Par Rupert Abbott, chercheur sur le Cambodge, le Laos et le Viêt-Nam au sein d’Amnesty International.

Alors que plusieurs dirigeants mondiaux s’apprêtent à se réunir à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, à l’occasion du 21e Sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et du 7e Sommet de l’Asie de l’Est, ils devraient avoir conscience du fait qu’ils arrivent dans un pays qui possède un côté obscur, même à la lumière des progrès réalisés.

La liste des invités compte notamment le Premier ministre indien Manmohan Singh, le Premier ministre japonais Yoshihiko Noda, la Premier ministre australienne Julia Gillard et le président des États-Unis Barack Obama. Il s’agit d’ailleurs de la toute première visite au Cambodge d’un président des États-Unis en fonctions.

Le gouvernement cambodgien va vouloir utiliser les sommets asiatiques pour améliorer sa réputation internationale et mettre en avant les avancées qu’il a obtenues en instaurant une relative stabilité, en suscitant la croissance économique et en réduisant la pauvreté.

Mais pas très loin de l’endroit où vont se rassembler les dirigeants se trouve la prison de Phnom Penh, Prey Sar. C’est là que languit Mam Sonando, 71 ans, journaliste et défenseur des droits humains. Cet homme purge une peine de 20 ans de prison après avoir été condamné pour crimes contre l’État sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.

Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression.

Le cas de Mam Sonando est représentatif d’une inquiétante détérioration de la situation des droits humains au Cambodge : répression de la liberté d’expression sur fond de conflits fonciers généralisés et d’expulsions forcées multiples.

Ces conflits ont pour origine, entre autres, les concessions d’exploitation accordées par le gouvernement pour l’exploitation agro-industrielle de terrains sans véritable consultation des personnes affectées.

Le gouvernement a annoncé un moratoire sur ces concessions, bien qu’il ne semble pas être correctement appliqué.

Le 1er octobre 2012, Mam Sonando a commencé à purger la peine de 20 ans de réclusion à laquelle il a été condamné après avoir été déclaré coupable d’être à l’origine de l’« insurrection » du village de Pro Ma, dans la province de Kratie.

Amnesty International a suivi son procès. Aucun élément n’a été présenté prouvant qu’une insurrection ait eu lieu ou que Mam Sonando ait été impliqué.

Mam Sonando est propriétaire de Beehive Radio, l’une des rares stations de radio indépendantes du Cambodge qui accorde du temps d’antenne aux personnalités politiques de l’opposition.

Sa condamnation révoltante semble n’être rien d’autre qu’une tentative de la part des autorités cambodgiennes pour couvrir une sombre histoire de litige foncier et d’expulsion forcée menée avec violence, et a en plus l’avantage de réduire au silence un homme qui critique le gouvernement depuis longtemps.

Les habitants de Pro Ma, que Mam Sonando aurait encouragés à faire sécession, étaient aux prises depuis un certain temps avec une compagnie de caoutchouc dans un litige foncier.

Le prétendu complot séparatiste, monté de toutes pièces, a servi de prétexte, en mai 2012, à l’expulsion des habitants du village. Lors de cette expulsion, menée avec violence, les forces de sécurité ont abattu une adolescente de 14 ans.

C’est le Premier ministre, Hun Sen, qui, dans un discours public le 26 juin 2012, a associé Mam Sonando au « complot séparatiste ». Le discours du Premier ministre est intervenu peu après la diffusion par la station de radio de Mam Sonando d’informations sur une plainte déposée devant la Cour pénale internationale à propos des expulsions forcées au Cambodge.

Et les habitants de Pro Ma ne sont pas les seuls dans cette situation : ils font partie des innombrables communautés touchées par les conflits fonciers au Cambodge.

Des centaines de milliers de personnes ont souffert. La pauvreté dans laquelle elles vivent a encore été exacerbée, contrairement à ce qu’il se passe à l’échelle du pays ; nombre d’entre elles se sont retrouvées sans domicile, sans accès à l’emploi et privées de services notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Et comme dans le village de Pro Ma, des habitants touchés par les conflits fonciers et les personnes qui les soutiennent sont exposés au harcèlement, aux arrestations, aux actions en justice et, de plus en plus, à la violence, uniquement parce qu’ils tentent de défendre leurs droits de manière pacifique.

En janvier 2012, des militaires ont ouvert le feu sur des villageois qui défendaient leurs terres arables dans le district de Snuol (province de Kratie). En avril, la police militaire a tué un militant écologiste bien connu, Chut Wutty, dans la province de Koh Kong, alors qu’il menait des recherches sur l’abattage illégal d’arbres qui détruit la forêt dont dépendent des communautés pour leur survie.

Le système judiciaire politisé et corrompu, résolument du côté des autorités et des intérêts financiers puissants, accentue encore le problème. Il accorde l’impunité aux auteurs de violations des droits humains tout en persécutant activement les voix qui s’élèvent contre ces atteintes.

Personne n’a été traduit en justice pour l’homicide de l’adolescente de 14 ans à Pro Ma. En revanche, six autres militants et villageois ont été condamnés en même temps que Mam Sonando pour le prétendu complot séparatiste.

En mai 2012, 13 représentantes communautaires du lac Boeung Kak de Phnom Penh ont été condamnées à plus de deux ans de prison après avoir manifesté pacifiquement contre l’expulsion forcée de leur communauté.

Et les injustices semblent aller bon train.

Pas plus tard que la semaine dernière, dans le cadre d’une opération de nettoyage à l’approche des sommets, des personnes menacées d’expulsion près de l’aéroport de Phnom Penh ont été arrêtées et placées en détention pour avoir peint « SOS » et placé des photos du président des États-Unis Barack Obama sur leurs toits afin d’attirer l’attention sur leur situation.

Dans le même temps, plusieurs militants des droits humains bien connus font l’objet d’une enquête judiciaire en raison de leurs activités pacifiques en faveur de communautés touchées par les conflits fonciers.

Le cas de Mam Sonando est donc un prisme à travers lequel peuvent être observés les principaux éléments de la détérioration de la situation des droits humains au Cambodge : spoliations de terres et conflits fonciers débouchant sur des expulsions forcées, répression contre la liberté d’expression de ceux qui résistent et dénoncent ces atteintes, et complicité du système judiciaire.

En réclamant la libération de cet homme, les dirigeants présents aux sommets de Phnom Penh ne feraient pas que soutenir un défenseur des droits humains injustement emprisonné.

Ils feraient également savoir aux autorités du pays qu’ils se préoccupent de la situation du peuple cambodgien.

Et ils rappelleraient au gouvernement que le monde continue de l’observer, apportant un soutien moral aux militants et aux communautés qui défendent leurs droits de manière pacifique.

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