Douze étapes pour mettre fin aux « restitutions » et détentions secrètes

Déclaration conjointe d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de la Commission internationale de juristes et de l’Association pour la prévention de la torture


Déclaration publique

IOR 10/001/2006

Le rapport du sénateur Dick Marty à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que les enquêtes du parlement européen, des organisations non gouvernementales et des journalistes ont démontré de manière indiscutable que des responsables de certains États européens ont toléré, et dans certains cas activement soutenu, le système de « restitutions » et de détention dans des lieux secrets créé par les États-Unis. Par conséquent, des personnes ont été détenues et transférées à l’étranger, sans respect de la procédure juridique, en des endroits où elles ont été soumises à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Certaines de ces personnes ont été remises pour interrogatoire à des États qui ont régulièrement recours à la torture. Certaines ont été détenues en des lieux secrets, y compris en Europe, et, selon le rapport du sénateur Marty, des éléments sérieux, persistants et en nombre croissant indiquent que les États-Unis ont dirigé des centres de détention secrets dans des États membres du Conseil de l’Europe. Un grand nombre de ces affaires correspondent à des disparitions forcées, qui constituent une violation du droit international.

Les personnes détenues dans le cadre de ce système n’ont aucune possibilité de réparation juridique, ni aucun mécanisme pour évaluer leur culpabilité ou leur innocence, contrairement aux principes les plus élémentaires de respect de l’état de droit, de la dignité humaine et de l’équité. Il est inacceptable et illégal que des États européens participent activement, ou même donnent leur accord à des « restitutions » ou des détentions en des lieux secrets. S’ils le font, ils violent leurs obligations fondamentales en matière de droits humains.

Les États européens ont des obligations claires en matière de droits humains, leur interdisant la participation aux « restitutions » et détentions secrètes, en particulier quand celles-ci impliquent la détention arbitraire, la torture ou autre traitement cruel, inhumain ou dégradant, ou des disparitions forcées. Les États européens doivent : interdire aux services de renseignement des États-Unis ou d’autres pays étrangers de commettre des violations des droits humains aussi graves sur leur territoire ou tout endroit relevant de leur compétence ; prendre des mesures actives pour empêcher la torture ou autre traitement cruel, inhumain ou dégradant par des services de renseignement des États-Unis ou d’autres pays, sur leur territoire ou tout endroit relevant de leur compétence ; empêcher le transfert de personnes sur leur territoire ou tout endroit relevant de leur compétence vers des endroits où ces personnes risquent la torture ou d’autres traitements cruel, inhumains ou dégradants. Les États européens ne doivent pas permettre que des personnes soient maintenues en détention sur leur territoire sans fondement juridique, ou sans accès aux tribunaux, aux avocats ou aux membres de leur famille.

Il est important d’entretenir une coopération internationale efficace contre le terrorisme, mais le rapport du sénateur Marty démontre le danger de participer à une activité qui subvertit l’état de droit et viole les droits humains au nom du contre-terrorisme. À la lumière des éléments d’information disponibles sur les « restitutions » et détentions secrètes, les États européens doivent désormais prendre des mesures énergiques pour faire en sorte que les mesures internationales de contre-terrorisme n’entraînent pas de nouvelles violations des droits humains sur leur territoire, et que nul ne soit « restitué » d’un État pour subir des violations des droits humains à l’étranger. Human Rights Watch, la Commission internationale de juristes, Amnesty International et l’Association pour la prévention de la torture appellent donc tous les États européens à :

 Cesser toute participation aux « restitutions » ou détentions illégales. Donner des instructions claires aux services de renseignement, aux organes de maintien de l’ordre et de transport, pour qu’ils ne fournissent aucune aide aux « restitutions » et détentions illégales, et qu’ils transmettent toute information sur les « restitutions » ou détentions illégales sur le territoire ou les lieux relevant de la compétence de l’État.

 Ouvrir des enquêtes publiques et indépendantes dotées des pleins pouvoirs d’investigation, pour examiner si la coopération de représentants du gouvernement avec des organes de maintien de l’ordre et des services de renseignement étrangers a conduit à des violations des droits humains. Il faut exiger de tous les organes du gouvernement - y compris les services de renseignement - qu’ils présentent aux enquêteurs les dossiers adéquats.

 Demander de manière publique et sans équivoque au gouvernement des États-Unis de cesser les pratiques de « restitution » et de détention illégale partout dans le monde, et demander des comptes aux personnes impliquées dans ces pratiques.

 Respecter et faire respecter l’interdiction de renvoyer des personnes vers des États où elles risquent la torture ou un autre traitement cruel, inhumain ou dégradant, ou d’autres graves violations de leurs droits humains, et ne pas demander d’assurances diplomatiques contre la torture ou autre traitement inhumain ou dégradant, ni faire confiance à ces assurances.

 Réviser les termes du statut des forces armées ou autres accords similaires, pour donner les pouvoirs d’enquête nécessaires sur des allégations de violations des droits humains, y compris, si nécessaire, les pouvoirs de fouiller des bases militaires.

 Établir ou maintenir des institutions nationales efficaces et indépendantes ayant un droit d’accès immédiat à tous les lieux où des personnes sont ou peuvent être privées de leur liberté.

 Faire respecter le droit pénal de manière efficace à l’encontre des activités illégales de responsables de service de renseignements nationaux ou étrangers opérant sur le territoire de l’État, et traduire ces personnes en justice quand elles ont participé à des activités illégales, notamment des détentions illégales, des actes de torture ou des disparitions forcées.

 Faire en sorte que toutes les victimes de « restitutions » et de détention secrète aient accès à des recours efficaces et reçoivent des réparations adéquates, efficaces et promptes, notamment la restitution, l’indemnisation, la réhabilitation et la garantie de non reproduction.

 Exiger que tout avion ou hélicoptère utilisé par des organes étrangers militaires, de maintien de l’ordre ou de renseignement soit identifié comme un appareil d’État, même si l’appareil en question est affrété auprès d’une entreprise privée.

 Exiger des opérateurs de vols non enregistrés qui atterrissent ou demandent à atterrir sur le territoire d’un État qu’ils indiquent si un ou plusieurs passagers à bord sont privés de leur liberté, et exiger des renseignements sur leur statut, leur destination et les raisons juridiques de leur transfert.

 S’assurer, si nécessaire en imposant des conditions à l’autorisation d’atterrissage, que lorsqu’un vol non enregistré atterrissant sur le territoire d’un État est utilisé pour transporter des détenus, ou lorsqu’il existe des raisons de croire que c’est le cas, que l’appareil sera soumis à l’inspection de membres des forces de l’ordre.

 Donner pour instruction aux agents du maintien de l’ordre de vérifier la légalité de toute détention, et, si cette vérification ou inspection fait craindre de manière raisonnable que le vol est utilisé pour des transferts illégaux, de le retenir jusqu’à ce que des mesures appropriées soient prises par les forces de l’ordre.

 Donner pour instruction aux responsables gouvernementaux, notamment des services de renseignement, de coopérer pleinement avec toute nouvelle enquête du Conseil de l’Europe, et avec les enquêtes du parlement européen relatives au transport et à la détention illégale de prisonniers, notamment en mettant à leur disposition toutes les personnes concernées et en fournissant tous les documents ad hoc.

Nous estimons que ces mesures sont essentielles à la protection des droits humains et de l’état de droit en Europe. Les institutions du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne jouent également un rôle crucial dans la protection des droits humains relative au droit et à aux politiques de l’Europe en matière de contre-terrorisme ; ces institutions doivent continuer à surveiller et évaluer les allégations de « restitutions » et de détention secrète. Elles doivent mettre en place des mécanismes pour examiner la mise en œuvre à l’échelle nationale des recommandations formulées dans le rapport du sénateur Marty, et doivent en particulier surveiller les enquêtes au niveau national, et évaluer les progrès accomplis dans les changements nécessaires au droit et à la pratique de chaque pays. Les institutions européennes doivent recevoir les pouvoirs et les ressources nécessaires pour s’acquitter de ces tâches de manière efficace. Les violations des droits humains fondamentaux facilitées par l’implication de certains gouvernements dans les « restitutions » et détentions secrètes ne doivent plus se reproduire.

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