Communiqué de presse

Égalité ? Un membre de la communauté du voyage et rescapé de l’holocauste dit avoir été brutalisé par la police française

Il y a exactement 74 ans jour pour jour, Raymond Gurême, un garçon de 15 ans issu de la communauté du voyage, a été arrêté avec ses parents et ses six frères et sœurs, puis emmené dans un camp de détention de Linas-Monthléry, en France occupée.

Il a ensuite connu plusieurs années de mauvais traitements aux mains des nazis parce qu’il appartenait à la communauté du voyage. Maintenant, sept décennies plus tard, il vit comme de nombreux voyageurs en marge de la société, et les discriminations continuent à faire partie de son quotidien. Il a récemment été frappé lors d’une descente de police.

Raymond Gurême et sa famille ont été arrêtés le 27 novembre 1940 après que les forces d’occupation allemandes eurent donné l’ordre d’envoyer tous les « nomades » de France dans des camps de détention. Ils ont immédiatement été transférés à Linas-Montlhéry, dans la banlieue sud de Paris.

« Nous avions une vie misérable là-bas, c’était horrible. Dans les cabanes, il n’y avait que des lits en bois, il n’y avait pas d’électricité, pas de lampes, de couvertures ou de chauffage. La seule nourriture disponible était une soupe très diluée contenant quelques légumes », a-t-il récemment déclaré à une équipe d’Amnesty International qui lui a rendu visite.

Par miracle, Raymond Gurême a pu s’échapper de Linas-Monthléry en 1941, mais a ensuite de nouveau été arrêté puis déporté vers un camp de travaux forcés en Allemagne.

Trois ans plus tard, un conducteur de train qui faisait partie de la résistance l’a aidé à s’échapper une nouvelle fois en le cachant à bord d’un train reliant Francfort à Paris.

« Si ce conducteur ne m’avait pas aidé, j’aurais fini dans un four », a déclaré Raymond.

De retour en France, Raymond Gurême a immédiatement rejoint la résistance mais il a mis six ans à retrouver ses parents et ses frères et sœurs, qui étaient arrivés à s’échapper en Belgique.

« Le donjon de la mémoire collective »

Chacun des jours qu’il a été forcé à passer à Linas-Montlhéry est gravé si profondément dans les souvenirs de Raymond Gurême qu’en 1968 il a pris la courageuse décision d’acheter un morceau de terrain à côté de l’ancien emplacement du camp, et d’y installer sa caravane.

«  J’ai regardé la colline où se trouvait le camp. C’était le lieu du crime perpétré contre notre liberté et notre humanité. J’ai ressenti le besoin de rester là, dans un genre de face à face silencieux avec le camp  », a-t-il expliqué.

Plus de 70 ans après ce calvaire, Raymond Gurême parle de sa vie avec la passion mais aussi l’amertume de quelqu’un qui n’a jamais fait l’expérience de ce que signifie véritablement le mot justice.

Dans ses mémoires, il a écrit que les autorités françaises avaient mis l’emprisonnement des gens du voyage au donjon de la mémoire collective. Il a ajouté qu’il n’y avait pas eu de place pour son chagrin. Ni pour lui en tant que citoyen.

Dans ses souvenirs, rares sont les périodes de sa vie où il n’a pas été victime de violations et de discriminations dans son pays de naissance.

Le dernier épisode en date a eu lieu en septembre, lorsqu’une quarantaine de policiers français sont entrés sur des terrains où vivent quelque 150 voyageurs.

Raymond Gurême, qui a 89 ans, se reposait alors dans sa caravane.

« J’étais dans ma caravane et j’ai entendu un bruit. Tout d’un coup, la porte s’est ouverte et un flic est entré. Je lui ai demandé s’il avait un mandat et il a dit "on n’est pas en Amérique" », a déclaré Raymond.

« Lorsque j’ai dit aux policiers de partir, l’un d’eux a commencé à me pousser et à me frapper à coups de matraque. Il m’a poussé hors de la caravane et m’a de nouveau frappé.  »

Les policiers n’ont presque pas posé de questions. Il a plus tard été dit à la communauté qu’ils étaient à la poursuite d’hommes armés.

Les violences ont immédiatement dégénéré, et des policiers ont aspergé de gaz lacrymogène plusieurs hommes, femmes et enfants qui se trouvaient autour de la caravane de Raymond Gurême.

L’épisode a été si violent que Viviane, la fille de Raymond, a affirmé que son père était à peine remis de son choc.

« En France, on dirait qu’il vaut mieux ne pas montrer que nous sommes des gens du voyage parce qu’il y a beaucoup de racisme et de discrimination. Dans le passé, avant la guerre, c’était vraiment différent. Nous étions accueillis quand nous arrivions avec notre cirque ambulant. Les gens étaient contents parce que nous leur annoncions les nouvelles, comme ils n’avaient pas de télé et ne lisaient pas les journaux. Aujourd’hui par contre, les gens ont peur quand ils voient une caravane.  »

Les autorités françaises enquêtent actuellement sur ces événements, mais des doutes subsistent sur l’impartialité et la rigueur des investigations, car c’est une autre unité de police qui s’en charge. Si le parquet supervise, il n’en reste pas moins que c’est la police qui enquête sur la police. Et des recherches menées par Amnesty International montrent que ces enquêtes manquent souvent de rigueur et d’impartialité, et restent en grande partie sans effet.

Ce qu’a traversé Raymond Gurême est loin d’être unique. En France, la communauté du voyage représente 350 000 personnes. Beaucoup, comme lui, sont en butte à la discrimination et aux violations.

Voir un homme de 89 ans, rescapé de l’holocauste, être brutalisé de la sorte de nos jours est dur à avaler.

« Les policiers français refusent parfois de respecter les normes relatives aux droits humains les plus élémentaires. Si les autorités françaises n’enquêtent pas de manière impartiale et rigoureuse sur les allégations de violences policières, elles envoient le message dangereux que la police est au-dessus des lois », a déclaré Marco Perolini, d’Amnesty International, qui a rencontré Raymond Gurême.

« Elles doivent plutôt faire le nécessaire pour que les policiers soient traduits en justice à chaque fois qu’ils recourent à une force disproportionnée. S’en dispenser démontrera seulement que la France n’est pas le pays de la liberté et de l’égalité qu’elle affirme être.  »

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