Égypte, Il faut libérer le chercheur sur les droits humains Ibrahim Ezz el Din

Les organisations signataires de la présente déclaration demandent aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition Ibrahim Ezz el Din et tous les défenseurs des droits humains emprisonnés uniquement en raison de leur travail en faveur de ces droits.

Ibrahim Ezz el Din est chercheur à la Commission égyptienne des droits et des libertés, où il travaille essentiellement sur le droit au logement. Il mène des recherches sur les expulsions forcées et sur les politiques de l’Égypte en matière d’urbanisme, et œuvre en faveur de l’accès de chacun à un logement sûr et abordable.

Son cas est emblématique des méthodes brutales et du mépris flagrant envers le droit national et international dont les autorités égyptiennes font preuve dans le cadre de la répression visant les défenseurs des droits humains et les organisations indépendantes de la société civile, déclarent les organisations signataires.

Les forces de sécurité ont soumis Ibrahim Ezz el Din à une disparition forcée et lui ont infligé des actes de torture et des mauvais traitements. Il a été détenu de manière arbitraire pour des accusations infondées de « terrorisme », en raison de son travail légitime en faveur du droit à un logement convenable. Le 4 décembre 2019, un procureur a prolongé sa détention de 15 jours. Il se trouve actuellement à la section des investigations de la prison de Tora, dans le sud du Caire.

Les organisations signataires demandent au bureau du procureur général de libérer immédiatement et sans condition Ibrahim Ezz el Din, car il est enfermé uniquement pour avoir défendu les droits humains. Elles invitent les autorités égyptiennes à ouvrir une enquête sur sa disparition forcée et ses allégations de torture, en vue de traduire tous les responsables présumés en justice, y compris ceux qui ont ordonné, couvert ou participé de toute autre façon à sa disparition forcée. Enfin, elles leur demandent de mettre un terme à la répression ciblant la société civile et notamment de clore l’enquête judiciaire n° 173, de lever les interdictions de sortie du territoire et le gel des avoirs visant des employés de la société civile, et de libérer toutes les personnes détenues uniquement en raison de leur travail en faveur des droits fondamentaux en Égypte.

Disparition forcée

Le 12 juin 2019 vers 1 heure du matin, Ibrahim Ezz el Din a été arrêté chez lui dans le quartier de Moqattam, au Caire. On l’a entravé et on lui a bandé les yeux avant de l’emmener dans un endroit inconnu. Après son arrestation, sa famille et ses avocats ont adressé des télégrammes au ministre de l’Intérieur, au bureau du procureur général et au Conseil national des droits humains. Ils se sont également rendus dans les postes de police proches de chez lui pour s’enquérir de son sort. Toutefois, aucun de ces services n’a reconnu le détenir. Ce n’est que le 26 novembre, plus de cinq mois plus tard, qu’un avocat l’a vu dans les bureaux du procureur général de la sûreté de l’État, où il avait été conduit dans le cadre de l’enquête. L’Agence nationale de sécurité a déclaré au procureur qu’Ibrahim Ezz el Din avait été arrêté le 25 novembre. Ibrahim et ses avocats ont contesté ces dires et demandé une enquête sur la falsification de la date de son arrestation et la négation de sa disparition forcée.

La détention d’Ibrahim Ezz el Din pendant 167 jours dans des lieux tenus secrets, alors que les autorités niaient le détenir et refusaient de livrer des informations sur son sort, constitue une disparition forcée au titre du droit international. Il a été privé de sa liberté depuis le moment de son arrestation, le 12 juin 2019, et ceux qui l’ont arrêté et détenu étaient des agents de l’État. Enfin, des représentants de l’État ont nié à plusieurs reprises dans des documents officiels l’arrestation d’Ibrahim Ezz el Din et son maintien en détention du 12 juin au 25 novembre, le soustrayant ainsi à la protection de la loi.

Il incombe au parquet d’enquêter sur la disparition forcée d’Ibrahim Ezz el Din, car les États sont tenus d’établir la responsabilité pénale de toute personne qui, en qualité de complice ou de supérieur, ne prend pas toutes les mesures nécessaires qui sont en son pouvoir afin d’éviter une disparition forcée ou d’y mettre un terme. Dans le cas d’Ibrahim Ezz el Din, s’il y a eu manquement, il s’agirait alors de complicité dans une disparition forcée.

Torture et mauvais traitements

Ibrahim Ezz el Din a déclaré au procureur qu’il a été torturé durant sa détention dans deux lieux différents. Après son arrestation, il a été entravé, a eu les yeux bandés et a été embarqué dans une voiture qui a roulé environ 45 minutes vers un endroit inconnu. Dès son arrivée, il a été frappé à l’aine par un agent. Un médecin l’a alors examiné et il a informé celui-ci qu’il souffrait de douleurs chroniques à l’estomac et d’allergies. Il a été transféré dans une pièce au rez-de-chaussée, aux murs tapissés de cuir, équipée d’une caméra de surveillance à 360 degrés. Au bout de deux heures, il a été emmené dans une autre pièce, d’environ 3 mètres par 3.

Ibrahim Ezz el Din a déclaré au procureur qu’il a été torturé durant sa détention en vue de lui extorquer des informations sur ses liens avec la Commission égyptienne des droits et libertés, sur le travail de la Commission et sur ses opinions concernant le droit au logement et la rénovation des quartiers informels, ou bidonvilles. Il a affirmé avoir été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes par plusieurs services de sécurité et avoir été contraint de signer des documents sans connaître leur contenu et d’autres documents qu’il a été obligé d’écrire lui-même, en recopiant un texte pré-rédigé. Il a dû « avouer » avoir grandi au sein de la confrérie des Frères musulmans et avoir rejoint le mouvement des « Étudiants contre le coup d’État » lorsqu’il était à l’université. Il a été obligé d’écrire sa vision et ses opinions sur le droit au logement et la rénovation et la démolition des bidonvilles. Les agents qui l’ont contraint à rédiger ces déclarations ou à signer des documents ont fait en sorte qu’il soit épuisé ou privé de sommeil avant de lui demander d’écrire ou de signer.

Ibrahim Ezz el Din a déclaré au procureur que durant sa première période de détention de 45 jours, il a été soumis à des décharges électriques sur diverses zones du corps, régulièrement passé à tabac, privé de sommeil, contraint à des positions inconfortables, privé de nourriture et menacé de mort, s’il refusait de signer les documents ou de rédiger ses « aveux ». Les agents ont également menacé de s’en prendre à sa famille et d’agresser sexuellement sa mère s’il refusait d’obtempérer. Au bout de 45 jours, il a été conduit dans une autre cellule, trois étages au-dessus, où il est resté pendant environ deux mois. Puis, un haut gradé a discuté avec lui, alors qu’il avait les yeux bandés, de ses opinions sur le droit au logement et la rénovation des bidonvilles. Cet homme lui a été présenté comme étant celui qui allait décider s’il « sort ou ne revoit jamais la lumière du soleil ». Il a ensuite été transféré dans les locaux de l’Agence nationale de sécurité à Abbaseya, où il a passé 50 jours enchaîné au mur – en compagnie de nombreux détenus. Le dernier jour, on lui a coupé les cheveux pour faire comme s’il venait d’être arrêté.

Ses avocats ont demandé que les agents des services de sécurité qui l’ont torturé fassent l’objet d’une enquête et qu’Ibrahim Ezz el Din soit examiné par l’Autorité médicolégale. À ce jour, le service du procureur général de la sûreté de l’État n’a pas ouvert d’enquête sur ses allégations de torture.
Le traitement infligé à Ibrahim Ezz el Din s’apparente à de la torture au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle l’Égypte est partie. La Convention, qui définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne […] par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite », dispose que les États parties au traité doivent prendre « des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture » ne soient commis dans un territoire sous leur juridiction.

La Convention requiert aussi des États parties qu’ils veillent « à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de leur droit pénal », y compris les actes qui constituent « une complicité ou une participation à l’acte de torture », et à ce que les autorités compétentes « procèdent immédiatement à une enquête impartiale » chaque fois qu’il y a « des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ». Aux termes de la Convention, la victime d’un acte de torture a le droit d’obtenir réparation et d’être « indemnisée équitablement et de manière adéquate ».

Détention Arbitraire

Le procureur a informé Ibrahim Ezz el Din qu’il était accusé de « contribution à la réalisation des objectifs d’un groupe terroriste » et de « publication de fausses informations portant atteinte à la sécurité nationale », dans le cadre de l’affaire n° 488/2019 du service du procureur général de la sûreté de l’État. L’interrogatoire a surtout porté sur son travail légitime en faveur du droit à un logement convenable et ne faisait pas mention de l’action, du groupe ou des informations impliquant Ibrahim Ezz el Din.

Les accusations portées contre lui se fondent uniquement sur le dossier de l’Agence de sécurité nationale. Le procureur n’a présenté aucun élément de preuve venant étayer ces accusations et n’a pas autorisé Ibrahim ni ses avocats à consulter le dossier de l’enquête menée par l’Agence ni à préparer une défense adéquate. Il ne l’a pas autorisé à s’entretenir en privé avec ses avocats. Enfin, il a exercé des pouvoirs judiciaires et ordonné son placement en détention pour une durée de 15 jours, dans l’attente des résultats de l’enquête, ce qu’Ibrahim Ezz el Din n’a pas pu contester devant le tribunal. Le procureur n’a pas précisé les motifs de son placement en détention provisoire.

La détention d’Ibrahim Ezz el Din est arbitraire au titre du droit international. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a conclu qu’une détention, même lorsqu’elle est légale au titre du droit national, peut être arbitraire si elle va à l’encontre des normes internationales ou est incompatible avec d’autres droits humains comme les droits aux libertés d’expression, de réunion pacifique ou de conviction religieuse. Les accusations visant Ibrahim Ezz el Din découlent uniquement de ses activités légitimes en faveur du droit à un logement convenable.

En outre, la « sécurité nationale » ne saurait justifier sa détention aux motifs qu’il a diffusé des informations sur des violations des droits humains, car toute restriction du droit à la liberté d’expression doit être nécessaire et proportionnée à un but légitime. Aucun élément livré jusqu’à présent par les autorités dans le cas d’Ibrahim Ezz el Din ne justifie de telles restrictions. De ce fait, les accusations portées contre lui sont arbitraires par nature.
Outre le caractère arbitraire de ces accusations, la détention provisoire d’Ibrahim Ezz el Din est également arbitraire, car cette mesure ne doit être utilisée qu’en dernier recours, lorsqu’il est prouvé qu’elle est nécessaire et proportionnée. Or, les autorités n’ont fourni aucune explication permettant de justifier son placement en détention provisoire.

Une vaste répression contre les défenseurs des droits humains et la société civile

Le cas d’Ibrahim Ezz el Din – arrêté, détenu, victime de disparition forcée et torturé – illustre la répression menée contre les défenseurs des droits humains et la société civile en Égypte, qui s’est durcie depuis début 2016. Sont pris pour cibles des ONG de défense des droits humains et leur personnel, des défenseurs et des militants indépendants, du fait de leur travail en faveur des droits, notamment de leurs échanges avec des mécanismes internationaux de défense des droits. Ils sont arrêtés et détenus de manière arbitraire, victimes de disparitions forcées, torturés et accusés sans fondement.

Ibrahim Ezz el Din est la cinquième personne affiliée à la Commission égyptienne des droits et des libertés à avoir été arrêtée depuis 2016. Son arrestation intervient peu après celle d’un avocat spécialiste du droit du travail, Haytham Mohamdeen, qui travaille également à la Commission et a été placé en détention provisoire le 13 mai 2019, sur la base de charges sans fondement d’« assistance à un groupe terroriste ». En mai 2018, les forces de sécurité égyptiennes avaient arrêté Amal Fathy, militante des droits humains et par ailleurs épouse du directeur exécutif de la Commission, ainsi que Mohamed Lotfy, ancien chercheur d’Amnesty International, en raison d’une vidéo dans laquelle Amal Fathy dénonçait l’inaction des autorités face au fléau du harcèlement sexuel. Elle a finalement été libérée en décembre 2018. En 2016, les forces de sécurité avaient également appréhendé Mina Thabet, directeur du programme Minorités de la Commission, et Ahmed Abdallah, président du conseil d’administration ; ils avaient ensuite été libérés sans inculpation.

Les représailles visant les défenseurs des droits humains en raison de leur travail se durcissent. Récemment, l’Agence nationale de sécurité a arrêté et torturé la militante des droits humains Esraa Abdelfatah, avant de la placer en détention provisoire pour des accusations infondées de « terrorisme ». Le parquet n’a toujours pas ouvert d’enquête sur les tortures qu’elle a subies. Les défenseurs et avocats Mahienour el Masry et Mohamed el Baqer ont été appréhendés, alors qu’ils représentaient des accusés, et placés en détention pour des accusations sans fondement de « terrorisme ».

Des dizaines de défenseurs des droits humains font toujours l’objet de restrictions injustifiées et d’une enquête sur leur travail légitime en faveur des droits dans le cadre de l’affaire 173/2011, dite « affaire des financements étrangers » : ces défenseurs, dont Azza Soliman, Aida Seif el Dawla, Mozn Hassan, Mohamed Zaree, Hossam Bahgat et Gamal Eid, sont accusés d’avoir « reçu des fonds étrangers en vue de porter atteinte à la sécurité nationale ». Les juges d’instruction ont convoqué des dizaines de défenseurs des droits humains et de membres de la société civile aux fins d’interrogatoire, avant de les libérer sous caution. En outre, au moins 31 défenseurs ont été visés par des interdictions de sortie du territoire et 10 par des gels d’avoirs, ainsi que sept organisations de défense des droits humains.

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