Communiqué de presse

Égypte : des funérailles à la cathédrale copte dégénèrent en violences

Par Diana Eltahawy, chercheuse sur l’Égypte à Amnesty International

Dimanche, j’ai assisté au Caire aux funérailles de quatre chrétiens coptes tués dans la soirée du vendredi 5 avril à Khoussous, une petite ville située au nord de la ville.

J’avais prévu de me rendre à Khoussous pour en savoir plus sur les violences interconfessionnelles qui ont fait plusieurs morts dans cette ville.

Mais je me suis retrouvée prise au piège dans de nouvelles violences au moment même des funérailles, avec d’un côté les personnes assistant aux obsèques et de l’autre des assaillants non identifiés et, plus tard, les forces de sécurité.

Avant que les heurts n’éclatent, les sentiments de chagrin, de colère et d’injustice étaient palpables dans la cathédrale Saint-Marc du Caire, bondée. Les pleurs, les prières et les lamentations étaient couverts par les slogans hostiles au gouvernement et aux Frères musulmans, ainsi que par les promesses de vengeance.

Peu après, les cercueils et le cortège funéraire sont sortis de la cathédrale et des violences ont éclaté tout près de certains participants. Les attaquants seraient des habitants du quartier.

Les quelques membres des forces de sécurité présents lorsque j’étais entrée dans la cathédrale environ deux heures auparavant avaient disparu.

La confusion régnait dans l’enceinte de la cathédrale, où se trouvaient des centaines de personnes, dont des prêtres, des personnes âgées et des enfants. Une rumeur s’est propagée : une personne qui prenait part aux funérailles aurait été tuée à l’extérieur. Les tensions sont alors montées d’un cran.

Les tentatives visant à ramener le calme et à mettre un terme à la violence n’ont pas été suivies par certains jeunes, tandis que les jets de pierres et de bombes incendiaires se poursuivaient juste devant l’entrée principale.

L’arrivée de la police antiémeutes devant le portail principal de la cathédrale a permis de contenir momentanément les violences. Toutefois, la situation a rapidement dégénéré, lorsque certains participants aux funérailles, exaspérés par ce qu’ils considèrent comme l’incapacité des autorités à les protéger, se sont mis à jeter des pierres sur les forces de l’ordre.

Les forces de sécurité ont répliqué en tirant force gaz lacrymogènes, qui ont envahi l’enceinte de la cathédrale. C’était plus ou moins la débandade à l’intérieur du bâtiment, tout le monde cherchant à échapper à ces gaz et se repliant vers l’arrière.

Lorsque les gaz se sont quelque peu dissipés, je suis sortie par la porte à l’arrière de l’édifice. Certains ont choisi de rester, affirmant qu’ils voulaient protéger la cathédrale contre de nouvelles attaques. Des violences ont de nouveau éclaté plus tard dans la journée.

Selon les dernières informations parues dans les médias, des représentants du ministère de la Santé ont déclaré que deux personnes sont mortes et au moins 89 ont été blessées lors des affrontements. Un journaliste du portail en ligne Shorouq compte parmi les blessés.

Les autorités ont condamné les violences qui ont eu lieu à Khoussous et devant la cathédrale – une intervention certes bienvenue, mais loin d’être suffisante. À maintes reprises, les autorités égyptiennes, au lieu de protéger les coptes contre les violences intercommunautaires, ont favorisé la « réconciliation » au détriment de la poursuite des responsables.

Pendant des décennies, elles ont manqué à leur devoir de protéger les coptes et les églises contre les attaques.

Sous Hosni Moubarak, au moins 15 attaques de grande ampleur visant les coptes ont été recensées, et la situation ne s’est pas améliorée avec l’arrivée du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a dirigé le pays entre la chute de Hosni Moubarak et l’élection du président Mohamed Morsi.

En 2013, sous sa présidence, des militants coptes ont signalé au moins six attaques contre des églises ou des bâtiments chrétiens dans les gouvernorats d’Assouan, de Beni Suef, du Caire et de Fayoum. À ce jour, malgré les promesses du président Morsi, aucune enquête satisfaisante n’a été menée, aucune mesure n’a été prise pour éviter de nouvelles violences, et aucune sanction n’a été imposée.

Cette inaction nourrit les sentiments d’injustice, de discrimination et de vulnérabilité qui s’emparent des chrétiens en Égypte, et amène les auteurs de ces actes à croire qu’ils peuvent continuer à agresser les chrétiens en toute impunité.

En outre, ces défaillances bafouent les obligations qui incombent à l’Égypte au titre du droit international relatif aux droits humains de protéger efficacement les membres des minorités contre des violations des droits humains, et de traduire les responsables présumés en justice.

Les versions abondent sur ce qui a déclenché les tragiques violences interconfessionnelles à Khoussous, au cours desquelles quatre chrétiens et un musulman ont été tués par balle.

Pour éviter que de tels actes ne se reproduisent, il faut absolument mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur les violences qui se sont déroulées à Khoussous et à la cathédrale Saint-Marc, et déférer à la justice les responsables présumés, quelle que soit leur foi ou leur appartenance à un groupe. La simple promesse d’enquête faite par Mohamed Morsi ne suffira pas et les Égyptiens attendront de voir s’il tient parole cette fois-ci, lors même qu’il n’a pas, comme il l’avait promis, nommé de vice-président copte.

Les autorités doivent comprendre qu’en ignorant cette nouvelle flambée de violence, elles ne feront qu’attiser la colère et renforcer les clivages entre les communautés religieuses en Égypte.

Lorsque des participants aux funérailles ont entraîné un policier antiémeutes dans l’enceinte de la cathédrale, d’autres sont intervenus pour le protéger, criant qu’il ne devait pas être maltraité, indépendamment du fait qu’il soit chrétien ou musulman.

Les voix comme celles-ci risquent d’être réduites au silence si les autorités n’affichent pas la ferme volonté de protéger les minorités religieuses.

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