Communiqué de presse

Égypte. Il faut que l’armée réponde de ses actes

Le président Mohamed Morsi doit rendre publiques dans les meilleurs délais les conclusions d’une enquête officielle qu’il a diligentée sur les atteintes commises contre des manifestants, et il doit veiller à ce que les forces armées ne soient pas au-dessus des lois et soient tenues de répondre de leurs agissements, a déclaré Amnesty International mardi 16 avril.
Certaines parties du rapport d’enquête ont été divulguées au grand public et Amnesty International est particulièrement préoccupée par la réaction des autorités, dont les déclarations signifient concrètement que l’armée va continuer à bénéficier de l’impunité pour les violations des droits humains qu’elle a commises.
L’organisation a également exprimé sa consternation face aux affirmations du procureur général d’Égypte selon lesquelles le rapport complet ne contiendrait aucune preuve indiquant que des militaires se seraient rendus coupables d’atteintes aux droits fondamentaux, alors que les extraits dont le public a pu prendre connaissance décrivent clairement des violations perpétrées par l’armée.
Amnesty International et d’autres groupes ont réuni des informations sur les violences commises par l’armée égyptienne depuis le début de la « révolution du 25 janvier ».
Mohamed Morsi a nommé, en juillet 2012, un comité d’enquête et l’a chargé de mener des investigations sur les atteintes subies par des manifestants entre le début des soulèvements, le 25 janvier 2011, et la fin du régime militaire, le 30 juin 2012.
Des représentants d’Amnesty International ont à plusieurs reprises rencontré des membres de ce comité, qui ont décrit à l’organisation leur méthode de travail pour mener ces enquêtes et ont parlé des témoignages directs qu’ils avaient recueillis.
Si les autorités n’ont pas encore rendu les conclusions et les recommandations du rapport public, des journaux et des agences de presse ont plusieurs fois publié des extraits qui leur étaient parvenus.
Au cours de la deuxième semaine d’avril, le quotidien britannique The Guardian a publié des extraits du rapport indiquant que l’armée égyptienne était impliquée dans des violations dans les premiers jours de la « révolution du 25 janvier ».
Les extraits du rapport indiquaient que des militaires étaient impliqués dans des homicides et des disparitions forcées, ainsi que dans des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
Cependant, lundi 15 avril, le procureur Talaat Abdallah a affirmé que les informations contenues dans le rapport ne pouvaient être interprétées comme des éléments de preuve. Il a ajouté qu’il revenait à la justice militaire d’enquêter en cas d’allégations de ce type. Le président égyptien avait fait des déclarations similaires la semaine précédente dans lesquelles il rejetait toutes les « insultes » à l’encontre de la réputation de l’armée.
De tels propos de la part des autorités signifient, de fait, que l’armée va continuer à bénéficier de l’impunité malgré les violations qu’elle a commises.
Selon le droit égyptien, la justice militaire est compétente pour enquêter sur les infractions commises par des membres de l’armée. Toutefois, par le passé, les enquêtes n’ont pas permis d’obliger les responsables militaires à répondre de leurs actes, y compris dans les cas de violations perpétrées alors que l’armée était au pouvoir.
Lorsque l’armée était à la tête de l’Égypte, Amnesty International a rassemblé des informations faisant état de violations des droits humains généralisées. Au cours des violentes opérations de répression menées lors de manifestations, l’armée et les forces de sécuritéont tué plus de 120 manifestants et en ont soumis d’autres à la torture et à des mauvais traitements. Cependant, les enquêtes menées par le parquet militaire, y compris dans le cas des homicides de Maspero en octobre 2011, ont donné lieu à des tentatives visant à étouffer certaines affaires. À ce jour, seuls trois soldats de rang inférieur ont été condamnés pour des violences contre des manifestants.
Le fait que les autorités retardent la publication du rapport du comité d’enquête retarde également le moment où les familles des personnes tuées au cours de la « révolution du 25 janvier » pourront obtenir la vérité. Au cours de la répression du soulèvement de 2011, les forces de sécurité ont tué plus de 840 personnes et en ont blessé au moins 6 600 autres. Les équipes de recherche d’Amnesty International présentes en Égypte durant le soulèvement ont révélé des violations des droits humains commises à la fois par les forces de sécurité et par l’armée.
Un rapport publié par l’organisation en mai 2011 concluait que les forces de sécurité et l’armée avaient eu recours à une force excessive et injustifiée contre des manifestants lors du soulèvement et avaient perpétré d’autres violations des droits humains, y compris des arrestations arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Il recensait également des exécutions illégales de détenus dans plusieurs prisons.
Un rapport complémentaire publié en janvier 2013 dénonçait l’impunité persistante dans les cas de violations des droits humains commises durant le soulèvement. Les membres des services de sécurité, notamment les hauts responsables, étaient presque systématiquement acquittés pour leur rôle dans la répression des mouvements de protestation.
Dans certains cas, l’acquittement était prononcé faute de preuves ou parce que le tribunal estimait que l’accusé avait exercé son droit à la légitime défense, bien qu’il existe de nombreux éléments attestant que des policiers ont employé une force excessive et meurtrière quand cela n’était pas strictement nécessaire.
En janvier 2013, la Cour de cassation a également annulé la condamnation de l’ancien président Hosni Moubarak pour le rôle qu’il a joué dans la mort de manifestants lors du soulèvement. Il fait l’objet d’un nouveau procès, de même que l’ancien ministre de l’Intérieur et plusieurs autres membres des forces de sécurité. Cependant, il n’est pas certain que les nouveaux éléments révélés par le comité d’enquêtes et d’autres investigations soient pris en compte lors de cette nouvelle procédure. En outre, le fait que le juge chargé de l’affaire se soit récemment récusé a semé la confusion lors de ce nouveau procès.
L’impunité continue de régner en dépit des promesses du parquet de mener de nouvelles enquêtes et de faire encore une fois comparaître en justice les personnes accusées d’avoir tué des manifestants si de nouvelles preuves voient le jour.
La création du comité d’enquête était une mesure positive du président Mohamed Morsi pour faire face aux conséquences de la « révolution du 25 janvier ». Mais en conservant par-devers elles les conclusions et les recommandations du comité, les autorités diffèrent le moment où les centaines de familles qui attendent encore de savoir ce qu’il est arrivé à leurs proches obtiendront vérité et justice. Amnesty International prie instamment les autorités à rendre ce rapport public sans délai.

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