L’absence de sanction envers les auteurs d’actes de harcèlement et d’agressions sexuelles en Égypte a encouragé des attaques violentes contre les femmes ces derniers mois, dans le secteur de la place Tahrir, et de nouveaux crimes se produiront si ce climat d’impunité persiste, a souligné Amnesty International mercredi 6 février 2013 dans un nouveau document.
Selon les témoignages recueillis par Amnesty International auprès de femmes attaquées et de militants, les agressions menées par des foules violentes suivent un mode de déroulement constant.
Les femmes sont attaquées quand elles sont seules ou séparées de leurs amis par un groupe d’hommes dont le nombre croît rapidement ; elles sont attirées de force au milieu de la bande d’agresseurs, des mains ou parfois des armes violent leur corps, et les hommes tentent de les déshabiller.
« Les agressions effrayantes menées contre des femmes dans le secteur de la place Tahrir montrent que le président Morsi doit, de façon urgente, agir énergiquement pour mettre fin à cette culture de l’impunité et de la discrimination basée sur le genre, et que tous les dirigeants politiques doivent prendre clairement position", a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
« Il est essentiel de mener des enquêtes impartiales et approfondies pour déterminer si ces attaques de foules violentes sont coordonnées par des acteurs étatiques ou par des acteurs non étatiques organisés, et pour que leurs auteurs puissent être traduits en justice".
« Les procédés employés par ces bandes violentes lors de manifestations récentes rappellent douloureusement les actes de harcèlement sexuel et les agressions envers des manifestantes sous le président Moubarak, qui a été chassé du pouvoir. Les femmes ont joué un rôle essentiel lors des manifestations et ont consenti de lourds sacrifices dans leur combat pour la liberté et la justice sociale. Les autorités égyptiennes doivent rendre honneur à leur militantisme et recourir à tous les moyens nécessaires pour résoudre la question de la violence endémique subie par les femmes à tous les niveaux de la société. »
Le groupe OpAntiSH/A (Operation Anti-Sexual Harassment/Assault), une initiative lancée par des organisations de défense des droits humains et des personnes privées égyptiennes, a reçu des informations sur 19 agressions contre des femmes commises le 25 janvier 2013 à proximité de la place Tahrir. Le groupe Shoft Taharosh (Témoins de harcèlement) est intervenu au sujet de cinq autres cas.
Amnesty International a recueilli des témoignages de femmes récemment attaquées place Tahrir ou aux alentours par des foules d’hommes souvent armés, la durée de ces agressions pouvant aller de cinq minutes à plus d’une heure. Les militants, femmes et hommes, qui sont intervenus pour aider des femmes à échapper à ce type d’attaques ont également signalé avoir subi des agressions physiques, parfois sexuelles.
Une femme médecin, Magda Adly, du Centre Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences, a confirmé, dans au moins deux cas, l’utilisation de lames, y compris sur les parties génitales des femmes attaquées.
Des défenseurs des droits des femmes et certaines des femmes attaquées pensent que les agressions ont pour but d’empêcher la présence des femmes dans l’espace public, de les réduire au silence et de démoraliser l’opposition.
Le docteur Rawya Abdel Rahman, 67 ans, grand-mère et militante des droits des femmes, a raconté à Amnesty International ce qui lui est arrivé lors d’un défilé de femmes au cours des manifestations du 25 janvier : « Des dizaines de mains se sont posées sur moi, certaines ont touché mes cuisses... Je me suis mise à hurler... Alors cinq ou six hommes m’ont fait sortir de l’encerclement, au moment où quelqu’un essayait de soulever mes vêtements. »
Malgré ces agressions, les femmes qui les ont subies ne renoncent pas à lutter pour la justice et tiennent à continuer à participer aux événements qui donnent forme à l’avenir de l’Égypte. Une rescapée de violences sexuelles, Dalia Abdelwahab, a ainsi déclaré à Amnesty International : « Je ne me tairai pas. Toutes les femmes d’Égypte doivent se réveiller... Sans cela, les violences continueront... »
« En raison du discrédit lié aux actes de harcèlement et agressions sexuelles envers les femmes et des réactions des responsables de l’application des lois, de nombreux cas ne sont jamais signalés. Celles qui font quand même la démarche de porter plainte se heurtent à un mur d’indifférence, quand leur volonté d’obtenir justice ne suscite pas blâmes et mépris », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.
La Constitution égyptienne, adoptée à la suite d’un référendum fin décembre 2012, n’a donné aucune place aux droits des femmes et n’a pas prohibé explicitement la discrimination basée sur le genre, ce qui a renforcé les pratiques et les attitudes discriminatoires.
Le Conseil national pour les femmes, un organisme d’État, a condamné les violences et demandé des enquêtes. Il est temps maintenant que le président Morsi, en tant que chef de l’État, fasse de même et témoigne d’une véritable volonté politique d’agir contre les violences.
En 2005, des groupes d’hommes auraient été recrutés par les autorités pour agresser les femmes journalistes qui préconisaient le boycottage du référendum sur la réforme constitutionnelle. À ce jour, personne n’a eu à répondre de ces actes.
En mars 2011, 17 manifestantes ont subi des « tests de virginité » infligés par l’armée. En mars 2012, un tribunal militaire a jugé en faveur de l’accusé dans le seul cas de plainte déposée par une de ces femmes.
Lien vers le document :
http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/009/2013/en