Communiqué de presse

Égypte. L’État cautionne un recours systématique à une force excessive de la part des responsables de l’application des lois

Des éléments de preuve recueillis auprès de témoins, de professionnels de la santé et de manifestants blessés semblent indiquer que les forces de sécurité ont utilisé des balles réelles pour disperser des rassemblements de manifestants majoritairement non violents le 6 octobre, a déclaré Amnesty International.

Au moins 49 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées dans la seule ville du Caire, après que les forces de sécurité aient recouru à une force meurtrière excessive et injustifiée afin de disperser des partisans de l’ancien président Mohamed Morsi. Selon des témoins, dans certains cas, les forces de sécurité se sont gardées d’intervenir tandis que des hommes en civil portant couteaux, épées ou armes à feu attaquaient ou affrontaient des manifestants.

« Les forces égyptiennes de sécurité se sont manifestement abstenues de prévenir des pertes humaines. Dans plusieurs cas, des passants ou des manifestants non violents se sont retrouvés pris au piège de ces violences », a souligné Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Si certains manifestants pro-Morsi ont jeté des pierres, brûlé des pneus et utilisé des feux d’artifice et d’autres dispositifs incendiaires contre les forces de sécurité et des résidents locaux, les forces de sécurité ont recouru – une fois de plus – à la force meurtrière alors que cela n’était pas strictement nécessaire. Le recours excessif à la force semble être devenu le nouveau mode opératoire " normal " des forces égyptiennes de sécurité. »

Aux termes de la législation et des normes internationales, les forces de sécurité doivent s’abstenir d’utiliser des armes à feu à moins d’être confrontées à une menace imminente de mort ou de blessure grave.

Amnesty International demande une enquête exhaustive, impartiale et indépendante sur les événements du 6 octobre.

Aucun membre des forces de sécurité n’a été tué dans le cadre de ces violences.

Les forces de sécurité ont employé du gaz lacrymogène et des balles réelles pour mettre fin à deux défilés pro-Morsi se dirigeant vers la place Tahrir – l’épicentre de la « Révolution du 25 janvier » – où des sympathisants de l’armée s’étaient rassemblés pour commémorer le 40e anniversaire de la guerre entre l’Égypte et Israël.

Lors de l’épisode le plus sanglant qu’ait connu la zone d’Al Dokki, dans l’agglomération du Caire, 30 personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène, des fusils et des balles réelles contre des manifestants essayant d’atteindre et de traverser un pont menant à la place Tahrir. Des témoins ont déclaré que des hommes armés vêtus en civil s’en sont pris aux manifestants, dans certains cas les poignardant sous les yeux des forces de sécurité. Selon les registres de la morgue, 27 personnes sont mortes après avoir été touchées par des balles réelles et trois autres après avoir été blessées par des plombs.

À l’hôpital d’Ibn Sina, des délégués d’Amnesty International ont vu cinq corps gisant sur le sol dans le hall d’accueil, plusieurs heures après les affrontements. Un jeune homme dont les habits étaient trempés de sang a expliqué à l’organisation qu’il avait aidé à porter plusieurs manifestants blessés jusqu’à l’hôpital.

Amnesty International a également rencontré au moins cinq personnes présentant des lésions aux yeux causées par des plombs et risquant de souffrir d’une cécité totale ou partielle. Parmi eux figurait un homme au chômage, père de deux enfants, qui s’est retrouvé pris au piège au milieu des violences à Al Dokki alors qu’il quittait une mosquée non loin de là.

« Quand je suis sorti c’était le chaos. Il y avait beaucoup de gaz lacrymogène et des membres du ministère de l’Intérieur tiraient sur les manifestants. Des hommes vêtus en civil se tenaient à côté d’eux […] J’étais perdu et j’essayais de voir où je pouvais me réfugier quand j’ai été touché à la tête par des plombs de fusil […] Il n’y avait pas d’ambulance […] un type à moto m’a conduit à l’hôpital […] je n’ai pas d’argent pour payer les soins médicaux, comment vais-je arriver à trouver du travail et à nourrir ma famille maintenant ?  », a-t-il demandé.

D’autres témoins présents sur les lieux des affrontements ont également décrit des scènes de troubles. L’un d’eux a déclaré à Amnesty International :

« Nous avons essuyé une pluie de plombs et de balles réelles […] Nous avons ensuite été agressés par des " voyous " [des hommes en civil] […] Des policiers, des soldats [des forces armées] et des " voyous " s’en sont pris à nous tous en même temps  ».

Plusieurs manifestants, dont un a été blessé à l’estomac, ont déclaré que des soldats se déplaçant à pied avaient attaqué la foule depuis les ruelles avoisinantes dans le cadre de ce qui semblait être une attaque coordonnée.

Seize personnes ont été abattues près de la place Ramsès, lorsque les forces de sécurité ont utilisé des balles réelles pour disperser un cortège pro-Morsi essayant de se rendre sur la place Tahrir. Parmi les personnes blessées figurent un lycéen de 16 ans, qui a été touché au bras et à la jambe. « Une balle m’a traversé le corps avant d’atteindre l’homme qui se tenait derrière moi », a-t-il dit.

Oum Sara [mère de Sara], une manifestante se trouvant également sur les lieux, a expliqué : « De lourdes nappes de gaz lacrymogène continuaient à planer, et des balles fusaient devant nous […] Des gens s’enfuyaient et les forces de sécurité les poursuivaient […] Nous avons couru avec la foule, des gens tombaient à terre autour de nous. »

« Les forces égyptiennes de sécurité se comportent de manière épouvantable lors des manifestations, recourant systématiquement à une force disproportionnée. Leur mépris total pour les normes internationales sur le recours légitime à la force donne à penser qu’ils sont prêts à sévir contre les sympathisants de Morsi à n’importe quel prix  », a déploré Hassiba Hadj Sahraoui.

Au moins 1 000 personnes ont été tuées quand les forces de sécurité ont dispersé des sit-ins pro-Morsi et d’autres manifestations en août dernier.

En prévision du 6 octobre, les autorités égyptiennes ont annoncé que ceux qui protesteraient contre l’armée ce jour-là représenteraient une menace à la sécurité nationale et ne seraient pas considérés comme des militants.

« Cela a concrètement donné aux forces de sécurité carte blanche pour commettre des violations contre les manifestants. Les autorités égyptiennes doivent s’assurer que leurs déclarations ne semblent pas cautionner un recours excessif à la force, et ainsi éviter de nouvelles effusions de sang injustifiées » a poursuivi Hassiba Hadj Sahraoui.

Des centaines de personnes ont été arrêtées durant ces affrontements ou peu après. Amnesty International craint que certaines personnes aient été arrêtées alors qu’elles ne faisaient qu’exercer leurs droits à la liberté d’expression et de réunion. L’ensemble des personnes appréhendées doivent soit être inculpées d’infractions prévues par la loi soit être relâchées. Certaines d’entre elles ont été incarcérées dans des lieux de détention non officiels, comme des camps de la police antiémeutes. Beaucoup ont été privées de contacts avec leurs avocats et leur famille. Amnesty International demande aux autorités égyptiennes de faire en sorte que l’ensemble des détenus puissent immédiatement s’entretenir avec leurs avocats et leurs proches, et bénéficier de tous les soins médicaux dont ils pourraient avoir besoin.

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