Communiqué de presse

Égypte. La répression contre les partisans de Mohamed Morsi préfigure de nouvelles atteintes aux droits humains

Amnesty International met en garde contre les mesures de répression visant les partisans de Mohamed Morsi, à la lumière des informations faisant état d’une nouvelle vague d’arrestations lancée contre les dirigeants des Frères musulmans, de descentes dans les médias et de la mort d’un manifestant tué par les tirs à balles réelles de l’armée.

Depuis la destitution de l’ancien président Mohamed Morsi le 3 juillet, Amnesty International s’est entretenue avec des témoins qui ont essuyé les tirs de l’armée dans une rue proche de la place Rabaa Aladaweya, à Nasr City, au Caire. Dans la soirée du 3 juillet, les militaires ont tiré à balles réelles contre les manifestants pro-Morsi, causant la mort d’au moins l’un d’entre eux.

« Nous craignons que la violence de ces derniers jours ne donne lieu à une nouvelle vague de violations des droits humains, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, alors que certaines informations font état d’autres victimes parmi les partisans du président déchu Mohamed Morsi rassemblés le 5 juillet devant le siège de la Garde républicaine au Caire. Ces agissements font également resurgir le bilan catastrophique de l’armée en termes de droits humains. »

Dans une déclaration publiée sur Facebook, l’armée égyptienne a affirmé le 5 juillet qu’elle ne supprimerait pas les groupes politiques et respecterait le droit de manifester et la liberté d’expression de tous les Égyptiens.

« Il est difficile d’être convaincu de la volonté des autorités égyptiennes de respecter la liberté de réunion et d’expression quand des soldats tirent sur un manifestant, touché à la tête, alors qu’il ne représentait visiblement aucune menace  », a poursuivi Hassiba Hadj Sahraoui.

Quelques minutes après que l’armée a annoncé la destitution du président, une altercation a éclaté entre les manifestants pro-Morsi en colère qui se trouvaient place Rabaa Aladaweya et les soldats qui gardaient l’entrée de la place, ainsi que le portail d’un complexe militaire tout proche.

Dans les violences qui ont suivi, l’armée a tiré à balles réelles en l’air et sur les manifestants.

Amnesty International a pu vérifier les informations faisant état de la mort d’un manifestant âgé de 20 ans, qui a reçu une balle dans la tête, et d’au moins trois autres blessés. Au matin du 4 juillet, du sang était répandu devant le portail du complexe militaire.

Amnesty International s’est entretenue à l’hôpital avec des témoins, qui avaient été blessés par balles.

Ils ont raconté que l’armée avait tiré au hasard depuis le bâtiment militaire proche de la place. L’un d’entre eux a été touché alors qu’il se tenait debout au milieu de la rue, loin du portail ; il a expliqué à Amnesty International : « J’ai vu des soldats derrière le portail du bâtiment qui tiraient dans ma direction. » Il a également vu une personne de l’autre côté de la rue recevoir une balle dans la tête.

Un autre témoin présent sur les lieux a déclaré : « J’ai vu des snipers sur le toit de l’un des bâtiments du complexe militaire. »

« L’armée et les forces de sécurité doivent immédiatement cesser d’utiliser des balles réelles contre des personnes qui ne représentent pas une menace pour la vie d’autrui, a souligné Hassiba Hadj Sahraoui. Elles doivent rester impartiales, faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher, et non engendrer, des effusions de sang, et respecter le droit de manifester pacifiquement sans faire de discrimination. »

Aux termes des normes internationales relatives aux droits humains, les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, et ce en dernier recours. L’usage intentionnel de la force meurtrière n’est autorisé que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

Selon des témoins, dans l’après-midi du 3 juillet, l’armée a tenté de disperser les manifestations en tirant en l’air et en faisant avancer des véhicules blindés de transport de troupes en direction du rassemblement ; ils ont toutefois été stoppés par les manifestants.

Ces témoins ont ajouté que l’armée avait bloqué les entrées et les sorties de la place pendant trois heures dans l’après-midi. Un homme interrogé par Amnesty International à l’hôpital a expliqué qu’il avait eu les jambes cassées à la suite d’une altercation avec un officier, qui l’a fait tomber d’un véhicule ; il a dû attendre deux heures avant de pouvoir se rendre à l’hôpital, car la place était bouclée.

Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale sur ces faits. Les précédentes investigations menées par l’armée ou le ministère public sur les atteintes aux droits humains commises par l’armée ou les forces de sécurité n’ont pas permis de rendre justice.

Au moins deux hauts dirigeants des Frères musulmans ont été emprisonnés, sur fond de recrudescence des interpellations : il s’agit du numéro deux du parti, Rashad Bayoumi, et de Saad El Katatni, président du Parti de la liberté et de la justice. Amnesty International exhorte les autorités à relâcher ces hommes, à moins qu’ils ne soient inculpés d’une infraction dûment reconnue par le droit international.

Le 3 juillet, la police a effectué des descentes dans les studios de télévision favorables aux Frères musulmans, interrompant la diffusion de plusieurs chaînes et arrêtant le personnel. Au moins deux personnes sont encore détenues.

Le ministère de la Santé a annoncé le 5 juillet que les violences politiques qui ont éclaté depuis le 28 juin ont fait 52 morts et plus de 2 619 blessés.

Sous le régime du Conseil suprême des forces armées, au lendemain de la « Révolution du 25 janvier », les forces de sécurité, dont les militaires, ont tué plus de 120 manifestants, les tribunaux militaires ont jugé de manière inique plus de 12 000 civils, et l’armée a arrêté des manifestantes avant de leur faire subir de force des « test de virginité ».

« Pour que les droits humains et l’état de droit puissent triompher en Égypte, l’armée doit désormais veiller à ce que ces abus ne se répètent pas », a conclu Hassiba Hadj Sahraoui.

« Les mesures de répression contre les partisans de Mohamed Morsi ne font que lancer de mauvais signaux. »

Complément d’information

DES ATTAQUES CONTRE LES MANIFESTANTS
Le 3 juillet vers 15 heures, l’armée et la police antiémeutes (les Forces centrales de sécurité) se sont déployées place Rabaa Aladaweya, où manifestaient des partisans du président déchu, et se sont postées aux principaux points d’accès.

Selon des témoins, l’armée n’autorisait personne à entrer dans la place et les soldats ont tiré des tirs de sommation.

Vers 17 heures, des véhicules blindés de transport de troupes ont tenté de pénétrer dans la place pour disperser le rassemblement, mais ils ont été stoppés par des manifestants qui leur ont fait face ou se sont allongés devant.

Un manifestant qui s’est entretenu avec Amnesty International à l’hôpital a expliqué qu’il était monté sur l’un de ces blindés et avait dit aux soldats que l’armée appartenait à tous les Égyptiens. Il s’est alors querellé avec un officier qui l’a poussé en bas du véhicule ; il s’est cassé les deux jambes en tombant. L’ambulance n’est arrivée que deux heures plus tard, mais a dû attendre encore deux heures avant d’être autorisée à le conduire à l’hôpital.

Quelques minutes après que l’armée a annoncé la destitution du président Mohamed Morsi, une altercation a éclaté entre des manifestants en colère et les soldats qui gardaient l’entrée de la place, ainsi que le portail d’un complexe militaire tout proche.

On ignore ce qui a déclenché les violences, mais l’on sait que l’armée a tiré à balles réelles en l’air et sur les manifestants. Un manifestant âgé de 20 ans a été tué après avoir reçu une balle dans la tête et trois autres au moins ont été blessés. Un témoin a raconté à Amnesty International qu’au moment des tirs, il a vu des snipers sur le toit de l’un des bâtiments du complexe militaire.

L’un des blessés a expliqué avoir été touché au bras alors qu’il se trouvait debout au milieu de la rue, loin du portail du complexe militaire. Il a ajouté que les soldats tiraient au hasard et qu’il avait vu une personne de l’autre côté de la rue recevoir une balle dans la tête.

Un autre témoin, blessé à la jambe, a expliqué qu’il avait été touché alors qu’il se trouvait devant l’entrée du complexe militaire. Il a raconté que les soldats avaient commencé à tirer à l’aveuglette depuis l’intérieur du complexe et que ceux qui se trouvaient derrière le portail avaient tiré dans sa direction.

Lorsqu’un délégué d’Amnesty International s’est rendu sur place le lendemain matin, il a vu du sang sur le sol, notamment devant le portail du complexe militaire. Il a également vu des trous causés par des plombs de fusil dans les lampadaires de la rue où les manifestants s’étaient fait tirer dessus.

DES RAIDS CONTRE LES MÉDIAS
Quelques secondes après l’annonce par l’armée de la destitution du président Mohamed Morsi, au moins six chaînes ont été interrompues, dont Hafez, Al Jazira, Mubasher, Al Khalijia, Misr 25, Al Nas et Al Rahma. Toutes sont connues pour leur soutien à Mohamed Morsi.

Quelques minutes plus tard, les forces de sécurité ont effectué des descentes dans les locaux des chaînes. Selon des témoins, la police, les forces spéciales et des agents des renseignements en civil ont arrêté les membres du personnel et les ont fait monter dans des voitures de police.

Si la plupart des employés ont pu repartir, les forces de sécurité ont conduit au moins 14 hommes à la Direction de la sécurité, dans la ville du 6 Octobre. Lorsque des proches et d’autres personnes se sont présentés pour leur rendre visite, la Direction de la sécurité a nié les détenir.

Des membres du personnel d’Al Nas auraient subi des mauvais traitements pendant leur détention.

Au moment où nous rédigeons ce communiqué, tous les employés des chaînes de télévision, sauf deux, ont été relâchés. Atef Abdelrashid, directeur de la chaîne Hafez, et Abdallah Abdallah, directeur administratif d’al Fath, sont toujours en détention. On ignore exactement quelles charges ont été retenues contre eux.

Le journal du Parti de la liberté et de la justice n’a pas été imprimé par les presses nationales depuis le 4 juillet.

ARRESTATIONS DE MEMBRES DES FRÈRES MUSULMANS
Deux hauts dirigeants des Frères musulmans ont été arrêtés, le numéro deux du mouvement Rashad Bayoumi et Saad El Katatni, à la tête du Parti de la liberté et de la justice.

Ils sont actuellement détenus à la prison de Tora, au Caire.

L’avocat du parti, Abdelminin Abdelmaqsoud, aurait également été placé en détention alors qu’il se rendait à la prison de Tora pour assister à des interrogatoires.

On ignore toujours quelles charges ont été retenues contre eux. Amnesty International exhorte les autorités à relâcher ces hommes, à moins qu’ils ne soient inculpés dans les plus brefs délais d’une infraction dûment reconnue par le droit international. Toutes les personnes placées en détention doivent pouvoir consulter un avocat, entrer en contact avec leurs familles et recevoir les soins dont elles pourraient avoir besoin.

Le journal d’État Al Ahram a signalé que les autorités ont décerné des mandats d’arrêt contre 300 membres des Frères musulmans ; il est toutefois impossible de vérifier cette information. L’ancien président Mohamed Morsi lui-même serait en détention aux mains de l’armée.

Amnesty International a fait part de ses vives préoccupations concernant le bilan de l’armée en termes de droits humains, notamment lorsque le Conseil suprême des forces armées a dirigé le pays pendant 17 mois, après le renversement de Hosni Moubarak en février 2011.

Lors d’une rencontre avec le secrétaire général d’Amnesty International en juin 2011, le chef de l’armée Abdel Fattah al Sisi avait affirmé qu’il fallait faire évoluer la culture prévalant au sein des forces de sécurité afin de mettre un terme à la violence contre les manifestants et de protéger les détenus contre les mauvais traitements.

Pourtant, sous le régime du Conseil suprême des forces armées, les forces de sécurité, dont les militaires, ont tué plus de 120 manifestants, les tribunaux militaires ont jugé de manière inique plus de 12 000 civils, et l’armée a arrêté des manifestantes avant de leur faire subir de force des « test de virginité ».

Bien qu’ils aient promis des enquêtes efficaces, les militaires ont préféré dans la pratique mener eux-mêmes des enquêtes sur les violences commises par leurs forces qui ne se sont avérées ni indépendantes ni impartiales.

Les tribunaux militaires n’ont déclaré coupables que trois soldats de rang subalterne pour homicide de manifestants, pour une période de 17 mois de régime militaire pendant laquelle plus de 120 personnes ont été tuées par l’armée et les forces de sécurité.

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