ÉGYPTE : Les mesures disciplinaires à l’encontre de juges constituent une menace pour l’indépendance judiciaire

Index AI : MDE 12/007/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International est très préoccupée de l’indépendance judiciaire en Égypte, à l’heure où des mesures disciplinaires sont prises contre deux juges de haut rang en raison de leurs critiques concernant les fraudes présumées et autres irrégularités qui ont eu lieu lors des récentes élections parlementaires égyptiennes. Huit autres juges risqueraient des mesures disciplinaires pour les mêmes raisons.

Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi, vice-présidents de la Cour de cassation, ont comparu au Caire devant un conseil disciplinaire de la Haute cour (Dar al Qadaa al Ali), ce 27 avril, pour avoir ouvertement critiqué les irrégularités ayant entaché les élections parlementaires de novembre et décembre derniers, et demandé une enquête sur les allégations de fraudes électorales commises avec la complicité présumée de juges proches du gouvernement. L’audience a été reportée au 11 mai, afin de permettre à la défense représentant ces deux juges d’examiner les dossiers.
Les mesures disciplinaires à l’encontre de Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi représentent une grave menace pour l’indépendance judiciaire en Égypte, à l’heure où la tension s’accroît entre les autorités et l’Association des juges à propos d’un nouveau projet de loi sur le rôle et l’autorité du système judiciaire. Amnesty International craint qu’une telle mesure soit liée à la forte demande des juges en faveur d’une plus grande indépendance judiciaire, ainsi qu’à leur condamnation de l’absence de transparence des autorités concernant ce projet de loi.

Amnesty International regrette que Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi fassent l’objet de mesures disciplinaires pour avoir accompli leur devoir professionnel avec intégrité, en signalant des fraudes électorales et en exerçant leur droit fondamental à la liberté d’expression. En outre, certains membres du conseil disciplinaire ont publiquement condamné les déclarations de ces deux juges, ce qui accroît le risque d’iniquité de l’audience.
Les normes internationales relatives à la garantie de l’indépendance judiciaire et à l’équité de la procédure, notamment la procédure disciplinaire contre les juges, soulignent que toute procédure disciplinaire doit être équitable et déterminée en accord avec les normes établies d’indépendance et d’impartialité. En outre, les juges, comme les autres citoyens, ont le droit d’exercer leur droit à la liberté d’expression, qui leur est reconnu par la Constitution égyptienne et les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels l’Égypte est partie.

Amnesty International considère que les mesures disciplinaires visant Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi, ou l’intimidation d’autres juges pour avoir accompli leur devoir ou exprimé librement leur opinion, violeraient la Constitution égyptienne et les normes internationales. Ces mesures seraient également en contradiction avec le devoir des autorités égyptiennes d’assurer l’indépendance du système judiciaire. Les autorités doivent amorcer un processus consultatif transparent pour réévaluer le texte de loi relatif à l’autorité judiciaire. Amnesty International demande aussi aux autorités de libérer toutes les personnes arrêtées pour avoir simplement manifesté de manière pacifique leur soutien aux juges, et d’enquêter sur les atteintes aux droits humains.

Préoccupée par les menaces persistantes visant l’indépendance du système judiciaire en Égypte, Amnesty International demande aux autorités du pays d’inviter immédiatement le Rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats.

Contexte

De nombreux juges manifestant contre la comparution de Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi devant le conseil disciplinaire se sont heurtés à un fort dispositif policier, empêchant leur manifestation du bâtiment de l’Association des juges à la Haute cour, et bouclant tout le quartier. Des membres de forces de sécurité ont également frappé à coups de matraque un certain nombre de manifestants soutenant les juges, qu’ils ont empêchés d’approcher du bâtiment de l’Association des juges. Au moins 50 personnes, dont des militants politiques, ont été arrêtées.

Huit autres juges risqueraient des mesures disciplinaires pour avoir publiquement critiqué les irrégularités de vote lors des élections parlementaires. Il s’agit de Muhammed al-Khidhiri, Ahmed Mekki, Yahya Galal, Ahmed Saber, Hisham Ginina, Issam Abdelgabbar, Naggi Derbala, et Hossam al-Ghiryani.

L’immunité judiciaire de Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi a été levée ce 15 avril. Ils sont tous deux membres de l’Association des juges, qui représente des milliers de juges en Égypte. L’Association a refusé de reconnaître les résultats dans un certain nombre de bureaux de vote, après les trucages signalés par plus de 100 juges. Aux termes de la Constitution égyptienne, les juges sont investis du pouvoir de surveiller les élections et d’approuver leurs résultats.

De nombreux juges de l’Association se sont fermement exprimés contre l’absence de transparence avec laquelle les autorités égyptiennes ont traité les amendements au projet de loi sur l’autorité judiciaire. Ce projet avait été originellement soumis à l’Association des juges afin de garantir l’indépendance judiciaire, et prévoyait d’accroître le nombre de sièges élus au Conseil judiciaire suprême (l’organe qui supervise la sélection, la nomination, la mutation et la promotion des juges) et de permettre l’élection du président de la Cour de cassation, qui fera également office de président du Conseil judiciaire suprême. La composition actuelle de ce conseil est actuellement décidée par le ministère de la Justice.

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