Communiqué de presse

Égypte : Pas de reconnaissance ou de justice concernant les massacres de manifestants

Pour l’établissement d’une commission d’établissement des faits comme première mesure

(Le Caire, 10 décembre 2013) – Treize organisations égyptiennes et internationales de défense des droits humains ont appelé les autorités égyptiennes, en cette journée internationale des droits de l’homme, à reconnaître et à mener une enquête sérieuse et approfondie sur la mort d’un millier de manifestants tués par la police pendant la dispersion des sit-in des Frères musulmans le 14 août 2013.

D’après ces organisations, le gouvernement n’a pas établi de bilan public concernant les événements du 14 août 2013, et le ministère public n’a pas lancé d’enquête sur l’usage excessif et injustifié de la force meurtrière, pas plus qu’il n’a pas amené de membres des forces de sécurité à rendre des comptes. L’Égypte dispose d’un nouveau ministère de la Justice transitionnelle, mais celui-ci n’a pas pris de mesures significatives pour établir la vérité et rendre justice concernant les allégations de graves violations des droits humains par les forces de sécurité au cours de ces trois dernières années.

« Il n’existe pas d’espoir d’instaurer l’état de droit et la stabilité politique en Égypte, sans parler d’un minimum de justice pour les victimes, si les responsabilités ne sont pas établies concernant les événements du 14 août, qui pourrait bien être le plus grand massacre de l’histoire égyptienne récente », a déclaré Gasser Abdel-Razek, directeur adjoint de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne. « Depuis près de trois ans, les gouvernements qui se sont succédé en Égypte ont ignoré les appels à la justice, tandis que la brutalité policière et le nombre de morts qui en résulte ne cessent d’augmenter avec chaque incident. »

Les 13 organisations citées sont l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne, Warakom Beltaqrir, l’Institut du Caire pour l’étude des droits humains, le Réseau arabe d’informations sur les droits humains, le Centre d’assistance juridique pour les femmes égyptiennes, l’Association pour la liberté de pensée et d’expression, le Centre El Nadim pour la réhabilitation des victimes de la torture, Nazra pour les études féministes, la fondation Alkarama, le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme, et Human Rights Watch.

Selon ces organisations, le gouvernement devrait, comme première étape vers l’application de l’obligation de rendre des comptes, mettre en place une commission d’établissement des faits indépendante chargée d’enquêter sur la responsabilité des officiers à tous les échelons de la chaîne de commandement pour les homicides illégaux. La commission devrait avoir autorité pour convoquer des représentants officiels et des témoins, et produire un rapport public et des recommandations. Une telle autorité ne peut être accordée que par décret ministériel.

En septembre, le Premier ministre Hazem Beblawy a déclaré au quotidien égyptien Al Masry al Youm que le nombre de morts du 14 août « approchait le millier ». Le 14 novembre, l’institut médico-légal a annoncé que 726 corps avaient été amenés à la morgue, mais que ce nombre ne prenait pas en compte les corps enterrés directement par leurs familles. Le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux a créé une liste reprenant les noms de 904 personnes tuées lors de la dispersion du sit-in de Rabaa.

Les organisations de défense des droits humains ont collecté des éléments sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité pendant les opérations de dispersion des sit-in et sur les homicides illégaux de manifestants non armés. Au moins 19 des personnes tuées pendant la dispersion du sit-in de Rabaa étaient des femmes, selon un rapport de l’organisation Nazra pour les études féministes, publié le 10 septembre.

Une petite minorité de manifestants ont utilisé des armes à feu ce jour-là, mais la police a répondu de façon excessive, en tirant sans distinction dans la foule, et en allant bien au-delà de ce qui est permis au regard du droit international, qui limite l’autorisation de recourir à la force meurtrière aux cas où elle est inévitable pour protéger des vies humaines. Les forces de sécurité n’ont pas mené l’opération de façon à limiter les risques pour les vies humaines : elles n’ont pas assuré une évacuation sécurisée des manifestants et n’ont pas donné l’ordre clair de ne faire usage de la force meurtrière qu’en dernier recours, avec discernement, lorsqu’elle est inévitable pour protéger des vies humaines.

« L’homicide de sept policiers pendant la dispersion du sit-in de Rabaa ne justifie en aucun cas la punition collective de centaines de manifestants et le recours disproportionné à la force meurtrière dont nous avons été témoins ce jour-là, » a déclaré Bahey el Din Hassan, directeur de l’Institut du Caire pour l’étude des droits humains.

Avant les dispersions violentes du 14 août, les forces de sécurité avaient déjà fait un usage excessif et illégal de la force meurtrière le 8 juillet devant le club de la Garde républicaine à Nasr City, où 61 manifestants et deux membres des forces de sécurité sont morts, et le 27 juillet rue Nasr près du sit-in de Rabaa al Adawaiya, où 95 manifestants et un policier ont trouvé la mort. Suite à ces incidents, les tirs inconsidérés des forces de sécurité ont provoqué la mort de 120 personnes sur la place Ramsès le 16 août, et le recours à une force meurtrière excessive et injustifiée pour disperser les marches pro-Morsi le 6 octobre a encore fait au moins 57 morts.

Depuis deux ans et demi, en dépit des preuves accablantes recueillies par les groupes de défense des droits humains, le ministère de l’Intérieur, comme c’était le cas sous le régime du président Hosni Moubarak, nie tout acte répréhensible de la part de la police lors des événements au cours desquels des personnes ont trouvé la mort. Après les homicides de la rue Nasr, le ministre de l’Intérieur Mohamed Ibrahim a déclaré : « Je peux vous assurer que notre police n’a jamais visé le torse d’un manifestant avec une arme à feu. » Le 14 août, lors d’une conférence de presse, il a également déclaré que son ministère avait dispersé les deux sit-in de Rabaa al Adawiya et d’al Nahda « sans faire de victimes » et a cité une « norme internationale établissant un taux de décès de 10 % dans la dispersion de sit-in non pacifiques », norme qui n’existe pas. Selon les organisations de défense des droits humains, les autres membres du gouvernement n’ont pas choisi de prendre leurs distances par rapport à ces déclarations, ni n’ont reconnu les agissements répréhensibles des forces de sécurité.

Selon les organisations de défense des droits humains, les procureurs ont ouvert des enquêtes de manière sélective, exclusivement à l’encontre de manifestants inculpés d’agression suite à des affrontements avec les forces de police, et sans considération pour le nombre croissant dans la durée de décès parmi les manifestants. Plus de 1 104 manifestants et passants ont été inculpés d’agression sur des agents de sécurité et autres actes violents les 14 et 16 août et placés en détention provisoire au cours des trois derniers mois, mais aucun agent de sécurité n’a fait l’objet d’une enquête ni de poursuites pour des affaires d’homicides de manifestants.

Les procureurs ont déféré à la justice l’ancien président Mohamed Morsi et d’autres membres des Frères musulmans pour l’homicide de trois manifestants, et les actes de torture subis par 54 manifestants près du palais présidentiel le 5 décembre 2012, mais ils n’ont pas diligenté d’enquête, ni n’ont inculpé qui que ce soit pour l’homicide d’au moins sept manifestants du côté des Frères musulmans le même soir.

L’obligation de l’Égypte de fournir aux victimes de violations des droits humains un recours efficace au regard du droit international inclut trois éléments : mettre en place une procédure d’enquête, qui comprenne la publication des éléments factuels concernant les crimes et les violations des droits humains ; appliquer l’obligation de rendre des comptes pour les crimes passés dans le cadre de poursuites pénales ; fournir des réparations complètes et effectives aux victimes et à leurs familles, qui devraient comprendre de véritables garanties de non-répétition.

Le président par intérim Adly Mansour s’est engagé à mettre en place une commission d’établissement des faits concernant les événements violents survenus le 8 juillet devant le siège de la Garde républicaine (ces événements constituent le premier cas de grande ampleur d’un usage excessif et illégal de la force après la chute du président Morsi faisant l’objet de recherches). Le 17 septembre, il était annoncé sur le site web du gouvernement que lors de la dernière réunion, le gouvernement avait décidé de mettre en place une commission d’établissement des faits pour « examiner les événements qui se sont produits depuis le 30 juin. » Mais depuis, le gouvernement n’a pas donné suite à ce projet.

Le 20 septembre, le Conseil national des droits humains (CNDH), qui est la commission nationale des droits humains en Égypte nommée par le gouvernement, a déclaré qu’il avait formé quatre équipes d’enquêteurs chargées d’examiner les faits et de produire des rapports sur les événements du 14 août, à savoir, les homicides survenus pendant la dispersion des sit-in, les attaques sur les commissariats et les homicides de policiers au Caire et à al Minya, et les attaques sur des églises dans au moins huit gouvernorats d’Égypte. Cependant, comme toute autre organisation de défense des droits humains, le CNDH peut uniquement demander des informations au ministère de l’Intérieur, et n’a pas l’autorité pour accéder à ces documents ou convoquer des agents de sécurité pour les interroger, et ne peut donc en aucun cas remplacer une commission d’établissement des faits officielle.

Selon les organisations de défense des droits humains, le Premier ministre Beblawy devrait établir par décret une commission d’établissement des faits indépendante du gouvernement et de l’armée. Cette commission devrait avoir autorité pour sommer des témoins à comparaître, y compris des représentants de l’État en exercice, ou d’anciens représentants, quelles que soient leurs fonctions officielles, et disposer du pouvoir de citer à comparaître, d’effectuer des perquisitions et des saisies, sous contrôle judiciaire.

La commission devrait collecter des renseignements à partir de diverses sources, y compris les archives publiques, les dossiers médicaux et ceux de la morgue, les rapports des organisations de défense des droits humains et des commissions d’établissement des faits antérieures, dont celle créée par l’ancien président Morsi en juin 2012, dont les résultats n’ont pas encore été publiés officiellement. Elle devrait également collecter des témoignages des victimes, de leurs familles, et des représentants de l’État. Le décret du gouvernement devrait préciser que la commission doit rendre ses conclusions publiques, les faire connaître aux autorités judiciaires, et en partager les détails avec les victimes, leurs familles et tout individu ayant subi des dommages directement liés à une violation des droits humains.

« Les victimes de violations des droits humains, tout comme l’ensemble de la société, ont le droit de connaître la vérité concernant les violations des droits humains perpétrées par le passé » a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Suite aux violences sans précédent et les pertes de vies humaines survenues après la destitution de Mohamed Morsi, les enquêtes doivent impérativement fournir de vraies réponses, au lieu de servir à étouffer les responsabilités des forces de sécurité. Les autorités égyptiennes ne peuvent pas se permettre de traiter ce carnage à grand renfort d’opérations de relations publiques dans les capitales du monde, en réécrivant l’histoire et en enfermant les sympathisants de Morsi. »

La commission devrait enquêter sur la responsabilité des hauts fonctionnaires impliqués dans la chaîne de commandement, notamment les instructions qu’ils ont données, leur connaissance et leur rôle dans l’autorisation et le contrôle de l’usage de la force contre les manifestants, ou leur incapacité à empêcher les agissements illégaux de leurs subordonnés.

La commission devrait également déterminer l’existence de preuves concernant toute politique encourageant la répression meurtrière ou d’autres crimes graves. Elle devrait également faire la lumière sur l’incapacité des hauts fonctionnaires à prévoir une évacuation sécurisée des manifestants non armés, des blessés et des enfants, et à garantir que l’usage de la force par les forces de sécurité reste dans les limites de la légalité. Les autorités devraient rendre publics les résultats et les recommandations de cette enquête.

Le ministère public devrait mener une enquête impartiale et fiable sur les allégations d’homicides illégaux par les forces de sécurité, tout en garantissant que les informations sensibles ne soient pas falsifiées et que les fonctionnaires suspectés d’agissements répréhensibles soient suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l’enquête.

Des crimes sexuels sont commis en nombre sur la place Tahrir et ses environs depuis novembre 2012, selon les groupes de défense des droits humains. De nombreuses femmes ont subi des agressions sexuelles : certaines ont été violées, avec des doigts ou des objets pointus. Du 28 juin au 7 juillet 2013, des hordes d’hommes ont agressé sexuellement et parfois violé au moins 186 femmes. Nazra a soumis des recommandations au président et au gouvernement concernant le besoin d’intégrer les questions de genre et la perspective de l’égalité hommes-femmes dans les mécanismes de justice transitionnelle, en examinant les raisons structurelles des inégalités entre les genres, et en luttant contre les pratiques discriminatoires qui contribuent à fragiliser les femmes et à en faire des cibles pendant les périodes d’oppression et de conflit.

« Tout processus de recherche de la vérité doit prendre en compte l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains liées au genre commises depuis janvier 2011, que les gouvernements successifs ont ignorées jusqu’à présent, » a déclaré Mozn Hassan, directrice générale de l’ONG Nazra pour les études féministes. « Dans un premier temps, le gouvernement doit réagir face aux violences sexuelles commises à une échelle sans précédent sur la place Tahrir. »

Les initiatives récentes de l’Égypte pour enquêter sur les homicides de manifestants par les forces de sécurité n’ont pas abouti. En février 2011, Ahmad Shafik, alors Premier ministre d’Hosni Moubarak, a mis en place une commission d’établissement des faits et a nommé des commissaires indépendants pour enquêter sur les homicides de manifestants de janvier 2011. La commission a publié une synthèse des résultats de son enquête et de ses recommandations en avril 2011. La conclusion était que les forces de police avaient tué des manifestants, et qu’une réforme du secteur de la sécurité était nécessaire. Cependant, le rapport complet n’a pas été publié.

En juillet 2012, Mohamed Morsi a mis en place une commission d’établissement des faits pour enquêter sur les violences contre les manifestants de janvier 2011 à juin 2012. Le décret de Mohamed Morsi ordonnait à toutes les agences gouvernementales d’accéder à toutes les requêtes d’information de la commission, et donnait à la commission l’autorité nécessaire pour examiner « les mesures prises par les branches exécutives du gouvernement et l’étendue de leur coopération avec les autorités judiciaires ainsi que toute lacune existante », et pour exiger la coopération des agences de sécurité qui bloquaient précédemment l’accès à des informations importantes. La commission a finalisé son rapport et l’a envoyé à Mohamed Morsi à la fin du mois de décembre 2012, mais il a refusé de le rendre public. En avril 2012, le quotidien égyptien al Shorouk et le Guardian ont divulgué une version non finalisée de plusieurs chapitres du rapport concernant l’usage illégal de balles réelles par la police, et les tortures subies par des manifestants détenus par l’armée.

Les efforts pour traduire en justice les membres des forces de sécurité et les hauts représentants du gouvernement pour les homicides illégaux de manifestants, et notamment pour amener les plus hauts placés dans la chaîne de commandement à rendre des comptes, ont également été un échec total.

Le ministère public a enquêté sur le rôle d’Hosni Moubarak et d’autres hauts représentants du gouvernement dans les homicides de manifestants. La cour pénale du nord du Caire a condamné Hosni Moubarak et son ancien ministre de l’Intérieur pour avoir failli à la protection des manifestants en janvier 2011, tandis que les quatre adjoints au ministre de l’Intérieur chargés de donner des ordres aux forces de police pour l’encadrement des manifestations de janvier ont été acquittés par manque de preuve. L’accusation a affirmé que l’Agence de sécurité nationale des renseignements généraux et le ministère de l’Intérieur ne l’avaient pas suffisamment aidée à recueillir davantage d’éléments de preuve. La cour a déclaré qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour « déterminer que les auteurs des homicides de manifestants étaient des représentants du gouvernement et des membres de la police. » En janvier, la plus haute instance d’appel d’Égypte, la Cour de cassation, a annulé la condamnation d’Hosni Moubarak. Un nouveau procès a été ouvert le 13 avril.

Depuis 2011, les cours n’ont condamné que trois agents de sécurité non gradés à des peines d’emprisonnement. Presque trois ans après le renversement d’Hosni Moubarak, seulement deux policiers purgent une peine pour les homicides d’au moins 846 manifestants en janvier 2011. Un seul policier se trouve en prison, après sa condamnation à une peine de trois ans pour avoir tiré sur des manifestants lors des rassemblements de la rue Mohamed Mahmoud en novembre 2011, où la police a tué 51 manifestants en cinq jours. Le ministère public n’a poursuivi aucun autre représentant de la police pour la mort de 451 manifestants.

Trois soldats purgent des peines de deux et trois ans d’emprisonnement pour l’homicide de 13 chrétiens pendant une manifestation à Maspero, au Caire, en octobre 2011. Aucune enquête n’a eu lieu concernant l’homicide de 14 autres manifestants par les forces armées lors de la même soirée. Il n’y a pas eu d’enquête non plus concernant les violences de décembre 2011, où la police militaire a tabassé des femmes, notamment à coups de pieds, ni concernant les actes de torture perpétrés sur des manifestants par la police militaire en mars 2011 à Lazoghli dans le centre du Caire, ou en mai 2012 à Abbasiyya.

Les rapports présentés par les commissions d’établissement des faits précédentes ont contribué aux enquêtes criminelles. En mai, le ministère public a soumis un dossier d’éléments de preuve supplémentaires dans le nouveau procès d’Hosni Moubarak et d’Habib Adly, ancien ministre de l’Intérieur, se fondant sur une enquête complémentaire menée suite au rapport de la commission d’établissement des faits nommée par Mohamed Morsi.

L’une des campagnes de la Communauté nationale pour les droits humains, Warakom Beltaqrir, (« Nous vous observons quant à ce rapport »), qui appelle à la publication du rapport de cette deuxième commission d’établissement des faits et à la mise en œuvre de ses recommandations, a obtenu et a publié ce dossier, qui contenait des preuves de l’usage de la force meurtrière par la police sur des manifestants pacifiques en janvier 2011, et de l’intervention du ministère de l’Intérieur dans les registres des munitions afin de camoufler ces violations.

Selon les organisations de défense des droits humains, le ministre de la Justice transitionnelle devrait publier les rapports des commissions d’établissement des faits de février 2011 et juillet 2012 dans leur entièreté.

« La lutte pour l’obligation de rendre des comptes doit être totale », a déclaré Ahmad Ragheb, de la campagne Warakom Beltaqrir. « Toutes les familles des manifestants pacifiques tués ces trois dernières années, que ce soit à Tahrir, Mohammed Mahmoud, Ettihadia, Port Saïd ou Rabaa, ont le droit de savoir comment leurs proches sont morts, et elles ont le droit de voir leurs assassins rendre des comptes. »

Les organisations ont appelé la commission d’établissement des faits à élaborer des recommandations concernant une réforme légale et institutionnelle visant à garantir la non-répétition des violations des droits humains commises par le passé. Les réformes devraient modifier les institutions chargées des questions de sécurité et la législation nationale afin de les rendre conformes au droit international et aux normes s’y rapportant. Par exemple, chaque crime au regard du droit international devrait constituer un crime distinct au regard du droit national, notamment les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture, les disparitions forcées, et les exécutions extrajudiciaires.

La législation concernant les réunions publiques qui est entrée en vigueur autorise explicitement les forces de sécurité à faire usage d’armes à feu pour défendre la « propriété ». Cette loi va à l’encontre du droit international et des normes s’y rapportant, qui précisent que le recours aux armes à feu ne doit intervenir qu’en cas de menace de mort ou de blessures graves. Selon les organisations de défense des droits humains, cette législation concernant l’usage de la force et des armes à feu par la police devrait être amendée et se conformer aux normes internationales et aux bonnes pratiques nationales. Les concepts de nécessité et de proportionnalité devraient être intégrés dans la Loi relative à la police et dans les décrets complémentaires, et l’usage de la force meurtrière devrait être explicitement restreint aux situations de menace de mort ou de blessure grave.

La commission d’établissement des faits devrait également recommander la mise en place d’un mécanisme de contrôle pour garantir que tous les responsables de violations graves des droits humains et de crimes au regard du droit international soient relevés de leurs fonctions.

Enfin, le gouvernement égyptien devrait coopérer avec le Bureau du Haut Commissariat des droits de l’homme des Nations unies, comme il s’est engagé à le faire pendant la session de septembre du Conseil des droits de l’homme. Le gouvernement égyptien n’a cependant pas fourni les visas demandés en août pour les observateurs du Bureau du Haut Commissariat.

« La population égyptienne ne pourra pas faire confiance à son nouveau gouvernement et à son système de justice tant que les responsables des homicides de manifestants, y compris ceux qui se trouvent aux plus hauts niveaux de la chaîne de commandement, n’auront pas rendu des comptes », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient de Human Rights Watch. « Les autorités égyptiennes n’ayant pas tenu leurs promesses d’enquêter sur les faits liés à ces homicides, et encore moins de punir les responsables, leur engagement à l’égard de la justice et de la vérité est sérieusement remis en question. »

Voir ci-dessous une liste d’incidents au cours desquels les forces de sécurité ont tué des manifestants depuis janvier 2011.

Liste d’incidents au cours desquels les forces de sécurité ont tué des manifestants depuis janvier 2011.

 6 octobre 2013 : au moins 57 manifestants ont été tués au cours de la dispersion des marches allant de Dokki et Ramsès à la place Tahrir, les forces de police et les forces armées ont été déployées, aucun mort parmi les forces de police, aucune enquête n’a été ouverte sur les abus des forces de sécurité ;

 16 août 2013 : au moins 120 civils et deux policiers sont tués au cours d’affrontements à l’épicentre des manifestations sur la place Ramsès et pendant les marches, la police a été déployée, aucune enquête n’a été ouverte concernant les abus policiers ;

 14 août 2013 : sit-in des frères musulmans à Nahda et Rabaa al Adawiya, jusqu’à 1 000 manifestants selon le Premier ministre et neuf policier tués, aucune enquête n’a été ouverte concernant les abus policiers ;

 27 juillet 2013 : rue Nasr, au Caire, la police a été déployée, 95 manifestants et un policier ont été tués, aucune enquête n’a été ouverte concernant les abus policiers ;
 8 juillet 2013 : l’armée a été déployée devant le siège du club de la Garde républicaine au Caire, 61 manifestants, un soldat et un policier ont été tués, aucune enquête n’a été ouverte sur les abus de l’armée ;

 5 juillet 2013 : devant le siège de la Garde républicaine au Caire, l’armée tire sur cinq manifestants, aucune enquête n’a été ouverte ;

 Janvier 2013 : devant la prison de Port Saïd, la police a tué 46 personnes en trois jours, deux policiers ont été tués, une enquête a été ouverte, mais personne n’a été cité à comparaître. La police a tué neuf personnes à Suez. Aucun policier n’a été poursuivi en justice ;

 Janvier 2013 : la police a tué deux manifestants pendant les rassemblements, un devant le palais présidentiel, et un en centre-ville. Aucun policier n’a été poursuivi en justice ;

 Novembre 2012 : près de la place Tahrir, deux personnes ont été tuées au cours de la commémoration de la rue Mohamed Mahmoud ;

 Décembre 2011 : devant le siège du gouvernement, au Caire, l’armée a été déployée, 17 personnes ont été tuées, aucune enquête n’a été ouverte ;

 Novembre 2011 : rue Mohamed Mahmoud, la police a été déployée, 51 manifestants ont été tués, un policier a été condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement qu’il purge actuellement, après avoir été filmé en train de tirer dans les yeux des manifestants, aucune autre enquête sur les forces de sécurité n’est en cours ;

 Octobre 2011 : Maspero, 27 manifestants chrétiens coptes ont été tués, trois soldats ont été condamnés par un tribunal militaire à des peines de deux et trois ans d’emprisonnement pour avoir été au volant de véhicules de transport de troupes qui ont tué des manifestants. Aucune enquête n’a été ouverte concernant le décès par balle de 13 manifestants ;

 Janvier 2011 : au Caire, à Alexandrie, à Suez et dans d’autres villes, 846 manifestants ont été tués sur des places et près de commissariats, selon les estimations les plus prudentes, deux policiers ont été condamnés à des peines de prison.

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