Empêcher de nouveaux homicides

Les dizaines d’homicides récemment commis par des policiers qui ont visé des personnes soupçonnées de consommation et de vente de stupéfiants montrent que les réformes de la police promises par le président, qui auraient dû avoir lieu pendant le mois où les opérations anti-drogue ont été suspendues dans le pays, ne se sont pas concrétisées.

Selon les chiffres communiqués aux médias par la Police nationale philippine, au moins 27 homicides ont été commis au cours d’opérations anti-drogue depuis que le gouvernement a relancé sa campagne de lutte contre les stupéfiants, le plan « Double Barrel Reloaded » (« Double canon rechargé »), il y a 10 jours.

Le mois dernier, Amnesty International a publié un rapport intitulé « If you are poor, you are killed » (index AI : ASA 35/5517/2017, en anglais), qui rend compte d’homicides illégaux commis par des policiers et par des inconnus, parfois payés par la police, au cours d’opérations anti-drogue.

La récente série d’homicides apporte la preuve que cette implacable « guerre contre les pauvres » se poursuit, malgré la création d’une nouvelle agence anti-drogue qui, d’après les engagements pris par le chef de la police Ronald Dela Rosa, doit « garantir la pleine responsabilité et la discipline de tout le personnel ».

À la suite de la mort du ressortissant coréen Jee Ick-joo, tué en garde à vue, le président Duterte a suspendu la campagne anti-drogue et a promis de « nettoyer » la Police nationale philippine des policiers dévoyés. Depuis lors, cependant, rien n’indique que des enquêtes indépendantes et efficaces aient été menées sur les exécutions extrajudiciaires signalées, ni que les réformes concrètes nécessaires aient été introduites pour mettre fin aux homicides illégaux commis par des policiers et à la corruption au sein de la police.

De plus, alors que de vives préoccupations ont été exprimées étant donné que les exécutions extrajudiciaires commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue » pourraient être assimilables à des crimes contre l’humanité, le gouvernement philippin n’a réagi à aucune des autres violations des droits humains sur lesquelles Amnesty International et d’autres organisations comme Human Rights Watch ont recueilli et publié des informations.

Afin que soit mise en œuvre la réforme de la Police nationale philippine nécessaire d’urgence, Amnesty International appelle le gouvernement à : donner la priorité à des enquêtes rapides, impartiales, indépendantes et efficaces sur les homicides liés à la drogue dans lesquels des policiers sont impliqués directement ou indirectement ; suspendre du service actif tout policier sur lequel pèsent de sérieux soupçons de participation à un homicide illégal ; engager des poursuites systématiquement lorsque les enquêtes révèlent des éléments suffisants et recevables tendant à prouver que des personnes ont commis des infractions impliquant des violations des droits humains. Aucun suspect ne doit être écarté des enquêtes et exempté de poursuites, y compris s’il exerce des fonctions de commandement ou d’autres fonctions hiérarchiques supérieures, et ce quel que soit le grade ou le statut.

Pour enquêter sur les violations des droits humains actuellement commises, les autorités philippines doivent autoriser immédiatement, sans condition, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le Rapporteur spécial sur le droit à la santé à procéder à une évaluation indépendante de la campagne anti-drogue du gouvernement.

Complément d’information

Depuis le début de l’année 2017, la situation des droits humains aux Philippines continue à se dégrader. En février, la principale opposante à la « guerre contre la drogue » menée par le gouvernement, la sénatrice Leila de Lima, a été arrêtée sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques. Ces dernières semaines, des alliés du président ont menacé d’empêcher davantage encore la sénatrice de s’exprimer en lui imposant le silence par une décision de justice. Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains, dont la Commission internationale de juristes et Human Rights Watch, ont appelé à la libération immédiate et inconditionnelle de Leila de Lima et à l’abandon de toutes les charges retenues contre elle.

En mars, les législateurs de la Chambre des représentants ont voté le rétablissement de la peine capitale pour les infractions relatives aux stupéfiants. Amnesty International s’oppose en toutes circonstances et sans aucune exception à la peine capitale car elle constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. L’organisation appelle le Sénat à rejeter le projet de loi.

En novembre et décembre 2016, Amnesty International a mené des recherches approfondies sur le terrain pour enquêter sur 33 affaires d’homicides liés aux stupéfiants et sur la mise en œuvre des politiques anti-drogue aux Philippines.

Les conclusions de ces recherches, publiées le 1er février 2017, font apparaître que les homicides liés aux stupéfiants, dans l’immense majorité des cas, sont manifestement des exécutions extrajudiciaires. Les recherches ont également mis en évidence l’existence de liens étroits entre les autorités nationales et certaines des personnes armées qui ont commis des homicides liés à la drogue. La plupart des personnes tuées étaient des hommes issus de zones urbaines pauvres, ce qui fait de la « guerre contre la drogue », en réalité, une guerre contre les pauvres.

Dans la plupart des cas sur lesquels Amnesty International a recueilli des informations, il existait un lien entre les homicides et les « listes de surveillance en matière de stupéfiants » préparées par des représentants de l’État et partagées avec la police, sans que celle-ci ait procédé à des vérifications en bonne et due forme ou ait réellement enquêté sur les personnes figurant sur ces listes.

Les recherches ont également révélé que des enfants avaient été blessés, voire tués, au cours d’opérations anti-drogue, et que ces opérations portaient atteinte au droit de la population à la santé, amenant des consommateurs de drogue à suivre, sur une base non volontaire, des programmes de désintoxication inadéquats et rendant inaccessibles des services essentiels de dépistage et de traitement.

En mai 2017, le bilan des Philippines en matière de droits humains sera examiné par les États membres de l’ONU dans le cadre de l’Examen périodique universel. En 2012, le gouvernement s’était engagé à s’attaquer aux problèmes de l’impunité et de la torture et des mauvais traitements au sein de la police et des organes chargés de faire respecter la loi.

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