En France, les familles des personnes mortes aux mains de la police réclament justice Par Kartik Raj, responsable de campagne à Amnesty International

Cela fait quatre ans que Lamine Dieng est mort à Paris au cours d’une interpellation, mais la douleur de ses sœurs Ramata et Fatou est toujours à vif – on le voit immédiatement lorsqu’on les regarde compulser des photos en noir et blanc de leur frère.

Le temps n’a pas apaisé leur chagrin, expliquent-elles, car comme les proches d’autres personnes mortes aux mains de la police française, elles attendent toujours que justice soit faite.

« Lamine n’a pas été respecté de son vivant, son corps non plus n’a pas été respecté, nous a dit Ramata lorsque nous nous sommes entretenus avec elle le mois passé. Et nous avec, a poursuivi la jeune femme. Notre douleur a été bafouée avec un mépris inhumain. » Le père de Lamine n’a pas été autorisé à pratiquer les rites funéraires effectués traditionnellement dans leur culture, et tous les membres de la famille se sont sentis « dépossédés, considérés comme moins que rien ».

Des proches de plusieurs personnes mortes aux mains de la police se sont joints à Amnesty International pour participer au lancement, mardi 29 novembre, d’un rapport fondé sur des recherches entamées de longue date par l’organisation sur le phénomène d’impunité de fait des brutalités policières en France.

Le dernier rapport d’Amnesty International, France. « Notre vie est en suspens » – Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite, rassemble en particulier les témoignages de proches de victimes, d’avocats et d’autres personnes concernées, qui ont été recueillis lors d’une mission effectuée le mois dernier à Paris et en région parisienne.

Tous les membres des familles des victimes avec lesquels nous nous sommes entretenus – tous, sans exception – nous ont dit qu’ils n’arrivaient pas à faire leur deuil, et ce pour la raison suivante : les autorités n’ont pas établi la vérité sur ce qui s’était passé ni fait en sorte que les responsables présumés soient traduits en justice, ou bien tardent excessivement à le faire.

Des vies en suspens

Beaucoup de ceux qui ont témoigné auprès de nous le disent sans ambages : sans vérité, sans justice, ils ont l’impression que leur vie est en suspens.

Les cinq hommes dont les cas sont détaillés dans le rapport étaient issus des minorités dites « visibles » en France. Lamine Dieng, âgé de 25 ans, était un Français d’origine sénégalaise. Les quatre autres étaient des étrangers vivant en France : Abou Bakari Tandia, un Malien âgé de 38 ans, Ali Ziri, un Algérien de 69 ans, Abdelhakim Ajimi, un Tunisien de 22 ans, et Mohamed Boukrourou, un Marocain de 41 ans.

Dans une maison d’une ville tranquille de la banlieue parisienne, nous avons partagé un plat de merguez et de haricots verts avec le frère et la sœur de Mohamed Boukrourou. Abdelkader et Samira nous ont parlé de la mort de leur frère, intervenue en novembre 2009 lors de son interpellation à Valentigney, dans l’est de la France.

Alors que les neveux et nièces de Mohamed allaient et venaient dans le jardin, ils nous ont parlé du contrecoup ressenti par la famille après la mort de Mohamed, et particulièrement par leur mère, qui n’arrive pas à faire son deuil car elle n’a pas d’explication.

L’une des choses les plus douloureuses pour Samira est de ne pas pouvoir dire à la petite fille de Mohamed comment son père est mort. « Ça le suivra toute sa vie : “Il est mort dans un fourgon de police.” Les gens se disent qu’il n’y a pas de fumée sans feu. S’il est mort dans un fourgon de police, c’est qu’il s’est bien passé quelque chose. »

« J’ai tout perdu »

Boubaker Ajimi est le père d’Hakim Ajimi, mort en mai 2008 à Grasse, dans le sud-est de la France, après avoir été immobilisé au moyen de techniques de contrainte dangereuses. Il nous a raconté par téléphone comment la famille avait vécu la mort d’Hakim et pourquoi ses proches continuaient de se battre pour que la vérité éclate.

« J’ai tout perdu, nous a-t-il déclaré. J’ai perdu mon fils. Mais j’espère que justice soit faite, pour moi et pour le reste. […] On va tout faire et au moins après, j’aurai la conscience tranquille. »

Dans certains cas, une enquête a été ouverte mais l’affaire a ensuite été classée. Dans d’autres, la procédure, entamée il y a des années, s’éternise. Il n’y a qu’une affaire pour laquelle une date de procès a été fixée – les policiers impliqués vont comparaître près de quatre ans après la mort de victime.

Parallèlement à la publication du rapport, des représentants d’Amnesty International en France, en Algérie, au Mali, au Maroc, au Sénégal et en Tunisie ont signé une lettre ouverte conjointe au ministre français de la Justice, dans laquelle ils demandent qu’une enquête conforme aux normes internationales relatives aux droits humains soit menée pour chacun de ces cas.

Pour les hommes et les femmes avec qui nous nous sommes entretenus, il est essentiel que la vérité éclate et que justice soit rendue, pour que leur frère, leur fils ou leur neveu ne soit pas oublié.

« Sept ans après, on n’a pas encore de réponse », constate Souaibou Doucouré, dont le neveu, Abou Bakari Tandia, est mort en janvier 2005 après être tombé dans le coma lors de son interpellation à Courbevoie, le 5 décembre 2004, pour un contrôle d’identité.

Souaibou est venu nous rencontrer dans les locaux d’AI France. Il nous a parlé de son regret de n’avoir pu expliquer à la mère d’Abou Bakari les raisons de la mort de celui-ci. Cette femme est depuis décédée.

Avec un sourire triste, et toute l’intensité de sa voix grave et calme, il a ajouté : « Même si ça dure 20 ans, tant que moi je suis en vie je continuerai. »

Le sentiment de tristesse et de colère qui pousse les familles, calmes et déterminées, à se battre pour faire éclater la vérité et la justice, n’est de toute évidence pas prêt de s’éteindre.

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