Équateur, Le président Noboa doit éviter les abus et l’opacité dans les politiques de sécurité

À la veille du premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président Daniel Noboa, les faits montrent que les droits humains ont souffert sous le gouvernement actuel, a déclaré Amnesty International dans une synthèse [2] faisant état de ses préoccupations, en amont de l’examen de l’Équateur par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui débute lundi 28 octobre à Genève.

Face à la montée de la violence, le président a opté pour une ligne dure en matière de sécurité, qualifiant de « terroristes » les organisations impliquées dans le trafic de stupéfiants, déclarant un « conflit armé interne » et reconduisant sans cesse l’état d’urgence, dans le cadre du « Plan Fenix ». Amnesty International est préoccupée par les allégations de violations des droits humains commises dans ce contexte, notamment des milliers d’arrestations pour lesquelles il existe peu de preuves du respect d’une procédure régulière, des actes de torture et d’autres mauvais traitements dans les prisons, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, qui auraient été commises par les forces armées au cours d’opérations de sécurité. Ces opérations ont été menées dans l’opacité et les défenseur·e·s des droits humains ayant dénoncé des violations ont été montrés du doigt par les autorités de haut niveau, notamment le président.

« Des pouvoirs exceptionnels limitant les droits humains, qui étaient censés être temporaires, sont devenus la nouvelle norme en Équateur, et leurs conséquences négatives sont devenues évidentes. Les Équatorien·ne·s méritent de vivre en sécurité sans avoir à renoncer à leurs droits fondamentaux », a déclaré Ana Piquer, directrice du programme Amériques à Amnesty International. « La communauté internationale a un rôle essentiel à jouer en exigeant des autorités équatoriennes qu’elles fassent preuve de transparence et rendent des comptes, et c’est maintenant qu’il faut le faire. Les États-Unis, qui allouent des fonds considérables à l’Équateur, doivent veiller à ce que l’assistance en matière de sécurité ne soit pas utilisée pour porter atteinte aux droits humains. »

Les politiques de sécurité actuelles ne sont pas conformes aux normes en matière de droits humains

En janvier 2024, à la suite d’une série d’épisodes violents attribués à des bandes criminelles impliquées dans le trafic de stupéfiants dans la ville de Guayaquil, le président Noboa a déclaré l’état d’urgence [3] et un « conflit armé interne » [4]. Dans le cadre de ces mesures, les forces armées ont pris le contrôle des prisons dans tout le pays. Bien que l’état d’urgence national ait officiellement pris fin en avril 2024, le président a continué à le déclarer [5] régulièrement dans plusieurs provinces.

La durée indéterminée de l’état d’urgence porte atteinte aux normes internationales relatives aux droits humains, qui établissent que ces mesures doivent être exceptionnelles et temporaires. Le déploiement continu de l’armée dans des tâches de sécurité publique et de contrôle des prisons pose des risques pour les droits humains, car les soldats sont formés pour combattre un ennemi et non pour protéger les civil·e·s.

Amnesty International n’a pas effectué d’évaluation pour déterminer l’existence d’un conflit armé non international en Équateur. L’organisation est toutefois préoccupée par la décision d’appliquer le droit international humanitaire, qui pourrait être invoqué pour affaiblir certaines protections des droits humains. L’organisation rappelle aux autorités que le droit international relatif aux droits humains continue de s’appliquer même dans les situations de conflit armé, et que les droits humains doivent être protégés en permanence.

Concernant les allégations de violations des droits humains

Dans le cadre du « Plan Fenix », la police et l’armée ont mené plus de 120 000 opérations conjointes et arrêté 34 945 personnes entre janvier et juin 2024, selon des informations fournies [6] par le président dans son discours à la nation le 24 mai 2024. Lors de ce discours, Daniel Noboa a qualifié les personnes arrêtées de « criminels présumés », ce qui est en contradiction directe avec la présomption d’innocence. Confronté à une vague d’arrestations dans les rues, le bureau du défenseur public a déclaré à Amnesty International qu’il avait dû déployer des fonctionnaires supplémentaires dans les provinces où la présence militaire était accrue pour tenter de suivre le rythme. Le statut juridique des personnes arrêtées n’a pas été totalement éclairci.

Dans ce contexte, des membres de la police et des forces armées pourraient avoir été impliqués dans de graves violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture. Selon des données issues de demandes d’informations publiques, le bureau du procureur général a enregistré des signalements sur 12 possibles cas d’exécutions extrajudiciaires, quatre possibles cas de disparitions forcées et 95 possibles cas de torture, entre janvier et juillet 2024. En 2023, en revanche, le ministère public n’avait enregistré que cinq cas d’exécutions extrajudiciaires sur l’ensemble de l’année.

Tous ont déclaré avoir directement fait l’expérience d’une forme ou une autre d’incident de sécurité au cours de l’année écoulée

Amnesty International a appris [7] la possible exécution extrajudiciaire de Carlos Javier Vega Ipanaque, 19 ans, tué par des soldats alors qu’il circulait en voiture avec son cousin dans la ville de Guayaquil, le 2 février 2024. Ces deux jeunes gens n’étaient pas armés et ne représentaient pas de menace pour le personnel militaire ; pourtant, les blessures par balle présentées par la victime se trouvaient dans des zones mortelles de son corps. L’organisation a également reçu [8] des informations sur la possible disparition forcée de deux jeunes hommes, dont les forces armées se seraient rendues coupables dans la province de Los Rios, le 26 août 2024, dans le cadre d’une opération militaire.

La militarisation de la sécurité publique a encore accru les risques et les difficultés auxquels sont confrontés les défenseur·e·s des droits humains. Lors d’une visite à Quito et Guayaquil en juin 2024, Amnesty International a rencontré plus de 20 organisations de défense des droits humains et au moins 15 défenseur·e·s de l’environnement des régions de l’Amazonie, de la Sierra et de la côte. Tous ont déclaré avoir directement fait l’expérience d’une forme ou une autre d’incident de sécurité au cours de l’année écoulée, ou connaître un·e défenseur·e des droits humains ayant vécu ce genre de situation. Des défenseur·e·s des droits humains ont également fait état de tentatives de stigmatisation de plus en plus fréquentes de la part des autorités de haut niveau. Tout au long de l’année, Daniel Noboa a fustigé [9] à plusieurs reprises les défenseur·e·s des droits humains qui travaillent pour les droits des personnes en détention, les qualifiant d’« antipatriotiques ». Des organisations ont également signalé que les représentants de l’État n’étaient pas disposés à les rencontrer et qu’il leur était de plus en plus difficile d’accéder aux informations publiques, notamment aux données relatives aux droits humains, et aux plans et politiques du gouvernement, tels que le « Plan Fenix ».

Détérioration des conditions de détention

La situation des prisons est particulièrement préoccupante depuis le déploiement des forces armées en janvier 2024. C’est à l’intérieur des prisons que la plupart des cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements ont été rapportés. L’Alliance pour les droits humains de l’Équateur, aux côtés du Comité des familles pour la justice dans les prisons et du Comité permanent pour la défense des droits humains (CDH Guayaquil), a publié fin avril 2024 un rapport détaillant plus de 100 plaintes pour torture et autres mauvais traitements dans les prisons équatoriennes depuis la déclaration de l’état d’urgence.

Amnesty International a également reçu des informations préoccupantes sur le manque d’accès aux services de base pour les personnes privées de liberté, notamment à la nourriture, à l’eau et aux médicaments, que l’État est tenu de fournir aux personnes placées en détention. Lors d’une visite à Guayaquil en juin 2024, des familles de détenus ont indiqué à l’organisation que les visites familiales et les communications avaient été suspendues. Celles-ci n’ont été rétablies qu’en juillet 2024, sous la pression d’organes internationaux, dont le Comité des Nations Unies sur la torture, et d’organisations de défense des droits humains.

Un indicateur de la grave détérioration des conditions de détention cette année est le nombre d’alertes que le bureau du médiateur a envoyées au bureau du procureur général concernant le traitement des prisonniers. En août 2024, il avait lancé 27 alertes, selon des données obtenues par Amnesty International à la suite d’une demande d’informations publiques. Ce chiffre contraste fortement avec le nombre total d’alertes envoyées en 2023 (six) et en 2022 (trois). Outre ces alertes, le bureau du médiateur a signalé au moins 24 décès en détention depuis janvier 2024.

L’entrée des forces armées n’a pas non plus garanti la sécurité du personnel pénitentiaire. Selon les médias, au moins trois directeurs de prison ont été tués cette année, dont le directeur de la prison de Litoral dans la province de Guayas [10], la plus grande du pays, ainsi que les directeurs des prisons des provinces de Manabi [11] et de Sucumbios [12].

Rôle de la communauté internationale

Dans ce contexte, il est crucial que l’Équateur veille à ce que ses politiques de sécurité soient conformes aux lois et aux normes internationales en matière de droits humains. La communauté internationale peut jouer un rôle de poids en exigeant des autorités équatoriennes qu’elles fassent preuve de transparence et de responsabilité. Les 28 et 29 octobre, le Comité des droits de l’homme des Nations unies évaluera les performances de l’Équateur sur le terrain des droits humains, et émettra des recommandations à l’intention du gouvernement.

Les États-Unis ont également un rôle clé à jouer dans la défense des droits humains en Équateur, étant donné leur aide financière et leur coopération avec les forces de sécurité, notamment en ce qui concerne le contrôle des stupéfiants et l’application de la loi. Jusqu’en 2023, l’Équateur a reçu [13] plus de 200 millions de dollars de fonds de coopération de la part des États-Unis, principalement à des fins de sécurité et de défense. En février 2024, le président Noboa a ratifié [14] deux accords de coopération militaire avec les États-Unis, établissant un cadre pour les opérations du personnel militaire américain en Équateur et permettant des opérations navales conjointes pour lutter contre le trafic de stupéfiants et d’autres activités illicites. Le Commandement Sud des États-Unis (SOUTHCOM) a en outre récemment accueilli [15] l’Équateur dans le cadre de son initiative en faveur des droits humains. Étant donné leur vaste implication dans les activités de sécurité de l’Équateur, les autorités américaines doivent s’assurer que toute assistance technique et financière à l’Équateur est utilisée conformément au droit international relatif aux droits humains et au droit fédéral américain.

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