Les deux réformes draconiennes de la législation espagnole qui sont en cours d’examen constituent une attaque contre les droits des citoyens et une tentative d’officialiser des pratiques abusives contre les migrants et les réfugiés, a déclaré Amnesty International avant un vote du Parlement espagnol jeudi 26 mars 2015.
Le double coup porté à la législation espagnole avec les propositions de réformes du Code pénal et de la Loi relative à la sécurité publique va restreindre le droit à l’exercice pacifique de la liberté de réunion, d’association et d’expression. Il va aussi introduire de nouvelles mesures antiterroristes et légaliser les renvois sommaires illégaux au Maroc des migrants et des réfugiés des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, en Afrique du Nord.
« Aujourd’hui est un jour sombre pour l’Espagne car ces réformes attaquent sur plusieurs fronts toute une série de droits », a déclaré Gauri van Gulik, directeur adjoint du programme Europe d’Amnesty International.
« Ces amendements draconiens vont porter atteinte à la fois aux droits des citoyens espagnols et à ceux des migrants et réfugiés qui cherchent l’asile à Ceuta et Melilla. »
« Légalisation » des renvois sommaires illégaux de migrants et de réfugiés
Le nouvel amendement à la législation espagnole sur l’immigration contenu dans la Loi relative à la sécurité publique entrera en vigueur immédiatement. Il entraînera l’expulsion automatique et collective des migrants et des réfugiés aux frontières de Ceuta et Melilla en instaurant une nouvelle pratique administrative baptisée « rejet à la frontière ».
Le renvoi sommaire au Maroc, sans procédure officielle, privera les migrants et les réfugiés de l’accès à la procédure d’asile en Espagne et les exposera à un risque réel de graves violations des droits humains à leur retour au Maroc.
L’assurance, contenue dans l’amendement, que les rejets à la frontière « seront réalisés dans le respect des droits humains et des normes internationales de protection » sonne faux. L’amendement ne précise pas comment les droits des personnes tentant de passer la frontière seront protégés lors de ces renvois.
« Déjà, des migrants vulnérables qui cherchent la sécurité dans ces enclaves sont arrêtés et renvoyés au Maroc », a déclaré Gauri van Gulik.
« Au lieu de mettre un terme à cette pratique illégale, le gouvernement fixe ses propres règles et bafoue les droits de ces personnes ainsi que les obligations internationales de l’Espagne. »
Législation antiterroriste
Les propositions de modification du Code pénal espagnol augmentent le nombre d’infractions relevant du « terrorisme », introduisant des définitions vagues et des catégories d’infractions excessivement vastes. La définition du terrorisme a été élargie pour y inclure des actes tels que la « résistance » aux autorités publiques et le soutien « irréfléchi » à une entreprise terroriste, y compris à son insu.
Le fait de se rendre, ou de prévoir de se rendre, à l’étranger dans le but de collaborer avec des groupes extrémistes ou de s’entraîner auprès d’eux, même si la formation en question n’a pas lieu ou si aucun acte criminel n’est commis, deviendra illégal. Les dispositions relatives au partage d’informations, notamment fournies par des services secrets étrangers, font craindre que des éléments de preuve arrachés sous la torture ne soient transmis et utilisés à des fins de renseignement.
Il sera aussi interdit de faire sur les réseaux sociaux des déclarations pouvant être « perçues » comme des incitations à commettre des attaques violentes, même si aucun lien direct ne peut être établi entre ces déclarations et un acte de violence.
Ces restrictions menacent les droits à la liberté d’expression et d’association, la présomption d’innocence, le droit de circuler librement, le droit à la vie privée, et le droit de quitter son propre pays et d’y revenir. ?« S’il y a bien quelque chose que nous avons appris ces dernières années, c’est que les réactions excessives des gouvernements aux attentats peuvent entraîner des lois et des pratiques abusives et inutiles », a déclaré Gauri van Gulik.
« L’Espagne doit tenir compte de cette leçon et veiller à ce que toute nouvelle mesure adoptée soit absolument nécessaire et proportionnée et vise clairement à assurer la sécurité des gens, tout en respectant les droits humains. Or, les amendements proposés ne répondent pas à ces critères. »
Restrictions du droit de manifester et de la liberté d’expression et de réunion pacifique
Les nouvelles infractions prévues aux termes de la Loi relative à la sécurité publique restreignent abusivement les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, érigeant en infractions certaines formes légitimes de manifestation et alourdissant les peines pour d’autres.
Les nouvelles dispositions limitent les lieux et les moments où des manifestations peuvent avoir lieu, et prévoient notamment une interdiction des « rassemblements spontanés » à certains endroits et des amendes pour ceux qui les organisent. ?Les policiers auront toute latitude, sans aucune garantie de procédure, pour infliger des amendes aux personnes qui leur « manquent de respect ». De même, la loi prévoit une « interdiction de l’image » limitant le droit de filmer des policiers et prévoyant des amendes pouvant aller jusqu’à 30 000 euros pour ceux qui diffuseraient de telles images. Ces dernières années, des vidéos filmées pendant des manifestations avaient été essentielles pour prouver un recours excessif à la force et d’autres violences policières dans le cadre du maintien de l’ordre.
Par ailleurs, les amendes pour de nombreux troubles à l’ordre public seront infligées non plus par des tribunaux mais par les autorités gouvernementales, ce qui met en péril les garanties relatives aux procès équitables. Les exigences en matière de preuve étant moins élevées dans les procédures administratives que dans les procédures pénales, le transfert de certaines infractions du Code pénal à la Loi relative à la sécurité publique se traduira par une baisse des garanties. Les versions des faits présentées par les policiers seront d’office présumées exactes.
Les amendements au Code pénal, qui modifient sensiblement l’infraction de « troubles à l’ordre public », introduisent aussi d’autres restrictions du droit de manifester. Ainsi, certains crimes sont requalifiés d’« aggravés » quand ils sont commis, entre autres, dans le cadre d’une manifestation ou d’un rassemblement de grande ampleur. La définition du délit d’« entrave » est si ambiguë qu’elle pourrait inclure des actes de résistance passive, qui risquent d’être mis sur le même plan que des actes de violence.
Du fait de leur définition très vague, les nouvelles infractions ou les infractions amendées pourraient être appliquées à des comportements protégés par le droit international relatif aux droits humains. En conséquence, les nouvelles dispositions législatives ne sont pas conformes au principe de l’exactitude juridique, qui veut qu’une loi soit rédigée avec suffisamment de précision.
« L’Espagne fait un grave pas en arrière en matière de liberté d’expression et de réunion. La peur du terrorisme et des troubles à l’ordre public ne doit pas être une excuse pour empêcher les gens de manifester pacifiquement ni pour accroître l’impunité de la police. »