Espagne. Le pays ne saurait faire figure d’exception aux yeux du monde lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les crimes du passé

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Amnesty International a engagé le gouvernement espagnol à s’acquitter de ses obligations internationales en ce qui concerne les crimes commis par le passé et à protéger les droits des victimes en veillant à ce qu’une enquête judiciaire efficace soit menée sur les disparitions forcées commises dans le cadre de la guerre civile et sous le régime de Franco, de 1936 à 1975.

L’organisation a soumis cette requête à l’occasion de la publication d’un nouveau rapport réfutant les mythes et les idées fausses qui entourent l’enquête sur les disparitions forcées et d’autres crimes relevant du droit international perpétrés au cours de cette période. Ce rapport fait suite aux recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations unies du 31 octobre, qui appelle les autorités espagnoles à se conformer à leurs obligations internationales en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Préoccupé par les obstacles persistants auxquels se heurtent les victimes dans leur quête de justice, de vérité et de réparation, le Comité a invité les autorités espagnoles à abroger la loi d’amnistie de 1977 et à garantir que la prescription ne s’appliquera pas aux crimes relevant du droit international. En outre, il a exhorté le gouvernement à mettre sur pied une commission indépendante chargée d’établir la vérité historique sur les atteintes aux droits humains et les violations du droit international humanitaire commises pendant la guerre civile et sous le régime de Franco, et de veiller à ce que les dépouilles des victimes soient localisées, exhumées et identifiées, puis remises aux familles.

Selon Amnesty International, l’Espagne, dont les tribunaux sont actuellement saisis d’un grand nombre d’affaires de disparitions forcées, fait perdurer une situation d’injustice depuis bien trop longtemps. L’organisation redoute que l’Espagne ne rejoigne les quelques pays du monde qui tournent le dos à leur obligation d’enquêter sur les disparitions forcées et d’autres crimes relevant du droit international.

Mythes et idées fausses

Le 20 octobre 2008, le parquet espagnol a contesté l’instruction ouverte par le juge Garzón (principal artisan des poursuites contre l’ancien président chilien Augusto Pinochet) sur les crimes commis par le passé, en invoquant notamment la loi d’amnistie de 1977 et l’annulation d’un crime au titre de la prescription. Cette démarche risque de déboucher sur la création de mécanismes d’impunité non conformes aux règles applicables aux crimes relevant du droit international.

Tout État qui passe sous silence les droits des victimes, en partant du principe qu’un laps de temps trop long s’est écoulé, se place au-dessus des lois internationalement reconnues. Le fait d’entraver les poursuites dans les affaires de disparitions forcées bat en brèche le droit international, qui fait partie du système juridique espagnol.

À la lumière de cette situation, Amnesty International a publié Myths and distortions et un rapport intitulé Spain : The obligation to investigate the crimes of the past and guarantee the rights of the victims of enforced disappearance during the Civil War and Franco’s regime. Dans ces deux documents, l’organisation souligne que les tentatives du parquet espagnol visant à bloquer la procédure sont absolument incompatibles avec le droit international, mais aussi avec le droit espagnol.

Lorsqu’il a fait appel, le parquet a fait valoir que la Loi sur la mémoire historique de 2007 n’autorise pas les enquêtes judiciaires, puisqu’elle prévoit déjà des mesures suffisantes et appropriées pour les victimes. Pourtant, aux termes même de cette loi, ses dispositions sont compatibles avec le fait d’engager des poursuites et d’avoir accès à une procédure judiciaire ordinaire et extraordinaire inscrite dans la législation ou dans les traités et pactes internationaux ratifiés par l’Espagne.

Amnesty International a analysé la manière dont plus de 25 États ont abordé la question des disparitions forcées commises par le passé. Il s’agit des pays qui comptent le plus grand nombre de disparitions forcées signalées au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions. D’après ce Groupe de travail, le gouvernement espagnol s’était montré incapable de fournir une quelconque information tangible afin d’élucider le sort réservé à trois personnes dont la disparition lui avait été signalée.

Par ailleurs, l’Espagne compte parmi les pays auxquels le Comité des droits de l’homme a dû rappeler que ni les lois d’amnistie, ni l’annulation d’un crime au titre de la prescription, ne sauraient être invoquées pour éviter d’engager des poursuites dans ce type d’affaires.

Alors que l’Espagne a encouragé à plusieurs reprises la tenue d’enquêtes sur des crimes contre l’humanité commis dans d’autres pays, comment le parquet peut-il remettre en question ou contester le fait de s’acquitter de l’obligation d’enquêter sur des crimes graves commis durant la guerre civile et sous le régime de Franco ?, s’est interrogé Esteban Beltrán, directeur de la section espagnole d’Amnesty International. L’Espagne ne peut se positionner au sein de la communauté internationale comme un État qui bafoue ses obligations.

Complément d’information

Le 16 octobre 2008, le tribunal central d’instruction numéro 5 de l’Audience nationale a reconnu sa compétence pour enquêter sur les crimes de disparitions forcées commis durant la guerre civile et sous le régime de Franco. Un grand pas a alors été franchi vers l’obligation internationale qui incombe à l’État de garantir justice, vérité et réparation aux victimes de ces crimes atroces.

Le 20 octobre, le parquet a fait appel devant l’Audience nationale de la décision de poursuivre les investigations.

Depuis plus d’un siècle, les crimes contre l’humanité sont reconnus en droit international pour leur caractère particulièrement choquant pour la conscience de l’humanité. Les disparitions forcées ou les détentions illégales – lorsque aucune information n’est fournie concernant le lieu où se trouvent les détenus – constituent des crimes très graves au regard du droit international.

Il est possible d’exiger de l’État qu’il s’acquitte de sa responsabilité internationale vis-à-vis des victimes. Les gouvernements de transition vers la démocratie, et leurs successeurs, n’ont pas pris en compte les droits des victimes de graves atteintes aux droits humains, privées d’un recours utile et d’une réelle réparation. Les auteurs présumés de ces crimes n’ont pas été traduits en justice et aucune enquête impartiale n’a été diligentée afin de recenser les crimes commis.

Le droit de savoir quel sort a été réservé à la personne disparue est un droit inaliénable des victimes, qui ne saurait être mis à mal par la prescription. Le crime de disparition forcée demeure permanent tant que le sort des victimes n’a pas été élucidé.

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