Espagne. Le procès dit 18/98 met en lumière les failles de la législation antiterroriste espagnole


Déclaration publique

Index AI : EUR 41/009/2009 (Public)

Amnesty International salue la décision de la Cour suprême espagnole, rendue publique à l’occasion du jugement rendu le 26 mai, d’acquitter Sabino Ormazabal et plusieurs autres accusés précédemment déclarés coupables de« collaboration » à des actions terroristes lors du procès dit18/98.

Sabino Ormazabal et d’autres membres de la Fondation Joxemi Zumalabe, une organisation de la société civile basque fournissant un soutien matériel et des informations à d’autres organisations non gouvernementales pour les aider à renforcer leurs capacités, avaient été condamnés le 19 décembre 2007, par l’Audience nationale. Sabino Ormazabal et plusieurs autres accusés avaient été reconnus coupables, au titre de l’article 576 du Code pénal, de « collaboration » avec une organisation terroriste pour avoir prôné la désobéissance civile, acte que la Cour avait considéré comme ayant un lien avec les actions du groupe armé Euskadi Ta Askatasuna (ETA, Pays basque et liberté). Cette décision intervient à l’issue d’une longue procédure judiciaire qui avait débuté en mai 1998 et d’un procès de seize mois. Cinquante-neuf personnes impliquées dans différentes organisations étaient accusées d’appartenance à, ou de collaboration avec une entreprise terroriste et d’autres infractions connexes. Quarante-sept avaient été reconnues coupables, parmi lesquelles les neuf personnes qui viennent d’être acquittées.

Amnesty International considère que l’interprétation de l’article 576 du Code pénal par l’Audience nationale était excessivement large et que les preuves ayant conduit à la condamnation de Sabino Ormazabal étaient insuffisantes et n’établissaient pas clairement de liens du type supposé par l’accusation entre la Fondation Joxemi Zumalabe et l’ETA. Aucun lien personnel direct n’avait été établi entre Sabino Ormazabal et l’ETA. Sabino Ormazabal est bien connu au pays basque pour son engagement dans le mouvement écologique et d’autres mouvements sociaux pacifiques. Il a toujours condamné les actions de l’ETA et le recours à la violence à des fins politiques.

Amnesty International s’est inquiétée à de nombreuses reprises de l’interprétation excessivement large à laquelle se prête le concept de « collaboration » avec une entreprise terroriste au titre de l’article 576 du Code pénal espagnol ; l’organisation craint que des poursuites ne soient engagées contre des personnes n’ayant fait qu’exercer de manière non violente et légitime des droits inscrits dans le droit international ; elle craint aussi que des actes criminels sans rapport avec le « terrorisme » ne soient poursuivis comme des actes terroristes. En particulier, l’article 576 du Code pénal espagnol rend passible de poursuites pénales le fait d’avoir « commis, sollicité ou facilité tout acte de collaboration aux actions ou objectifs d’un groupe armé ou d’un groupe ou d’une organisation terroriste », ce qui pourrait amener à criminaliser les actions de personnes qui défendent, de manière pacifique, une plus grande autonomie du pays basque.

Amnesty International condamne les graves atteintes aux droits humains commises par l’ETA en Espagne et reconnaît le droit et l’obligation du gouvernement espagnol de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité publique et combattre le terrorisme. Toutefois, Amnesty International continue de se faire l’écho du Conseil de sécurité des Nations unies, des chefs d’État et de gouvernement réunis au Sommet mondial des Nations unies en 2005, de l’Assemblée générale des Nations unies, de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des ministres du Conseil de l’Europe en soulignant que les mesures prises par les États pour protéger la vie et la sécurité des personnes se trouvant sur leur territoire, y compris des menaces de terrorisme, doivent être conformes aux engagements internationaux en matière de droits humains.

Dans son rapport, établi à l’issue de sa visite en Espagne en mai 2008, le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste écrit que selon lui, l’article 576 (entre autres) n’est pas suffisamment précis et ne respecte pas l’exigence de légalité. Il y a donc risque d’élargir la notion de terrorisme à des actes ne comportant pas ou n’associant pas d’élément intentionnel tel que la volonté de provoquer le décès ou des blessures corporelles graves à autrui ou de créer un état de terreur dans la population en général. Dans son rapport « Sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme » (A/HRC/8/13) rendu public en juin 2008, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme note l’obligation, pour les États, au titre de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de veiller à ce que lors de l’élaboration de lois anti-terroristes et de la modification des lois existantes la clarté et la certitude juridique soient respectées. Sans faire de référence explicite à l’Espagne, la haut-commissaire critique les lois comportant des définitions vagues, confuses ou excessivement larges du terrorisme, susceptibles de conduire à des restrictions abusives à l’exercice légitime de libertés fondamentales telles que la liberté d’association, d’expression et d’opposition pacifique politique et sociale. La haut-commissaire note également que le fait d’inclure des actions non violentes dans les définitions du terrorisme augmente le risque et le nombre de poursuites engagées à l’encontre de personnes ayant exercé de façon légitime et non violente des droits inscrits en droit international. Dans ses observations générales du 27 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’était également inquiété des définitions très larges du terrorisme dans les articles 572-580 du Code pénal et avait appelé à une révision de ces articles.

Amnesty International craint que la définition de « collaboration » à une activité terroriste au titre de l’article 576 du Code pénal, trop vague et trop large, ne viole le principe de légalité et de certitude juridique et ne satisfasse pas aux exigences de précision et de clarté requises en droit pénal. En conséquence, un acte pouvant être qualifié de criminel selon la définition de la « collaboration » donnée par l’article 576 pourrait ne pas constituer d’infraction dûment reconnue par la loi selon les normes du droit international relatif aux droits humains. Amnesty International renouvelle donc son appel au gouvernement espagnol pour qu’il revoit certains articles de sa législation antiterroriste afin d’éviter le risque de sanctionner l’expression pacifique d’opinions. Toute loi relative à ce sujet doit être claire, sans ambiguïté et ne pas pouvoir être interprétée de manière excessivement large.

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